Stylist

MIROIR MON BEAU MIROIR

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Dans le recueil Lettres à l’ado que j’ai été (dirigé par Jack Parker, éd. Flammarion), une bande variée d’essayistes, Youtubeuse­s et autres comiques entament une correspond­ance rêvée avec leur moi d’avant. Façon de dénouer leurs douleurs adolescent­es pour, évidemment, s’adresser en creux aux teens d’aujourd’hui. Façon, aussi, de mesurer le fossé qui sépare l’époque de l’émetteur de celle du destinatai­re : oui, j’ai changé, mais peut-être pas autant que le monde, coco. Voyager dans le temps, se rencontrer soi-même et s’offrir une deuxième chance, c’est la même chose qui se passe dans La Belle et la

Belle, un peu de surnaturel en plus. Margaux (Sandrine Kiberlain), prof lunaire

et esseulée, y tombe nez à nez avec Margaux (Agathe Bonitzer), étudiante de

vingt ans sa cadette. À peine échangente­lles quelques mots que ça leur crève les yeux : Margaux et Margaux ne sont qu’une seule Margaux, à deux moments

de son existence. L’aînée va se piquer de coacher l’autre malgré ses réticences, secouer ses habitudes de coucheuse fuyarde pour lui épargner une vie de solitude. On pense à Marty Mcfly en goguette en 1955, tâchant de remettre son histoire familiale sur les bons rails. Excepté que c’est la version romance frenchie : ni Delorean ni skate volant, mais un tandem assorti d’un Melvil Poupaud qui trompe l’une avec l’autre, papillonna­nt entre Lyon, Paris et les Alpes autour d’un argument modestemen­t fantastiqu­e. C’est tendre, intensémen­t joué (sur le papier ça sentait la minauderie mais Bonitzer et Kiberlain ont du muscle) et ça augure quelques migraines (attends, du coup elles ont les mêmes parents, donc ils ont quel âge ?). La différence avec les Lettres à

l’ado… ? C’est qu’ici, le sujet est justement d’effacer le fossé temporel : de génération en génération, les mêmes coups d’un soir, les mêmes pick-up lines, les mêmes tromperies évitables produisent à jamais les mêmes effets – on ressort de la salle avec la ferme conviction que les lois de l’attraction sont bel et bien éternelles. À voir si c’est si rassurant. T.R.

La Belle et la Belle de Sophie Fillières avec Agathe Bonitzer, Sandrine Kiberlain, 1 h 35.

 ??  ?? Cohabiter avec son soi d’avant ou son moi de demain : on n’a jamais été autant scotché à soi-même.
Cohabiter avec son soi d’avant ou son moi de demain : on n’a jamais été autant scotché à soi-même.

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