VOILÀ L’ÉTÉ
Dix ans pile après La Graine et le
Mulet, Abdellatif Kechiche retourne donc à Sète mais aussi dans le temps : été 94, Amin, jeune scénariste immigré à Paris, revient quelques semaines dans le giron familial, y trouve les cousins, les amies restées là. Les touristes se mêlent à la masse des autochtones : la journée, on se partage l’ombre des parasols, le soir, les coins de table, la nuit, les bouches. Et c’est tout ? Oui. Mais c’est manifestement bien assez, quand on s’appelle Kechiche, pour lancer une oeuvre totalement dévorante, si avide de matière, de peaux, de flirts, de fêtes, que le cinéaste a
carrément décidé de couper le banquet en deux. La suite, son « chant deux », devrait ainsi sortir dans quelques mois, durant lesquels l’ogre n’a rien prévu d’autre, paraît-il, que de tourner un troisième épisode (l’appétit vient en mangeant). Un autre, puis un autre, puis encore un autre :
Mektoub est porté par cet insatiable désir consistant à vouloir raconter non pas une, deux, ou trois, mais toutes les histoires à la
fois. Personne, ici, ne sera donc laissé de côté : ni cette fille croisée sur la plage qu’on trouvait d’abord un peu fade, ni ce pilier de comptoir gueulard qu’on pensait vite condamné à jouer les lourdauds. Tous, d’une façon ou d’une autre, seront invités à jouer des coudes, à faire entendre leur voix, grâce à une narration ivre et sans entraves qui dessine progressivement une incroyable élégie hors-monde. Après l’éducation dans L’esquive ou la lutte des classes dans
La Graine et le Mulet, Kechiche n’a même plus besoin de frictionner ses anonymes avec des questions sociétales pour en faire des demi-dieux. Donc : film gentil, Mektoub ? Pas franchement : au sommet de l’olympe, les émois de ces héros alimentent une sorte de guerre ouverte des désirs, de bataille hormonale où se télescopent les sourires, les eye contacts, les mains baladeuses. Imaginez une saison entière de Sous le soleil, mais emportée par le souffle épique d’un péplum. C’est bien simple : on n’avait jamais vu ça au cinéma. L.B. Mektoub My Love : Canto Uno d’abdellatif Kechiche avec Shaïn Boumedine, Ophélie Bau. Durée : 2 h 55.