Stylist

Royal Chafouin

- Aude Walker rédactrice en chef

“LE CHIEN LUI RAPPELAIT SON PÈRE”

Ce chien était arrivé dans la famille comme l’hôte de Théorème de Pasolini débarque dans la demeure milanaise : en y foutant un bordel magistral. On peut dire qu’il n’avait pas le physique de son caractère. Entre le labrador, le basset et le caniche, il avait une gueule de peluche. Et était parfaiteme­nt odieux. Quand ses maîtres rentraient du travail, il ne levait ni sa croupe ni ne bavait de bonheur. La seule personne qu’il honorait d’un nano-mouvement de queue était la gardienne de l’immeuble qui est à peu près la personne la plus désagréabl­e de la planète. Comme ses humeurs n’étaient malheureus­ement pas mutiques, sa présence avait vite fait de tendre parents et enfants. Car en plus d’être moyen sympa, il était bagarreur. Les sorties dans le quartier se finissaien­t souvent dans le sang. Ou au poste. La dernière fois le cadet avait compté 47 cicatrices sur le corps de l’animal, pourtant pas bien vaste. Plusieurs fois, un des membres de la famille avait proposé de le « placer », en pensant très fort à un autre mot. Mais la mère l’aimait bien, le chien lui rappelait son père, à elle. Assumant total son petit syndrome de Stockholm, elle le défendait et le protégeait dès qu’elle pouvait. Avec succès. Jusqu’à ces vacances à Chamonix. Ils avaient été invités par des amis dans un grand chalet. Et n’avaient pas pu laisser le chien problémati­que à la gardienne qui acceptait généraleme­nt de le garder moyennant grasse finance. Pour éviter de perdre leurs derniers amis, ils avaient installé l’animal dans le garage, à côté d’un petit chauffage électrique. Un matin, le soleil était à peine debout, le fils prenait son café dehors. Ayant un sursaut de pitié pour son chien ou un coup de nostalgie de la relation qu’il aurait dû entretenir avec lui, il alla lui ouvrir la porte. À peine eut-il le temps de tenter de le saluer que celui-ci bondit et se mit à courir vitesse jet privé dans la forêt. Très vite, le fils ne vit plus rien et n’entendit qu’un son d’entre-dévoration. Il avait dû croiser un autre chien. Ou un renard. Ou un poltergeis­t en vadrouille. À l’idée de s’être débarrassé de ce chien, il ressentit un immense soulagemen­t et eut immédiatem­ent honte. Il s’en alla réveiller toute la maison pour lancer les recherches. Père, mère, fille, fils, amis… Ils cherchèren­t tous très longtemps l’animal dans la forêt. De retour, bredouille­s, ils allèrent faire un tour dans le garage, on ne savait jamais. Et c’est avec stupeur qu’ils ne trouvèrent… rien. Mais plus rien. Croquettes, gamelle, couverture, chauffage, jouets, laisse, panier. Tous les effets du chien avaient disparu. Comme s’il avait fait ses valises avant de s’évaporer sans laisser de traces (p.30). Ce fut le début de la fin de cette famille. Ils s’accusèrent les uns les autres, soupçonnan­t l’un de kidnapping organisé, l’autre de meurtre canin. Il n’y eut plus que suspicion, honte, méfiance, parano, haine. De retour chez eux, ils constatère­nt que toutes les affaires parisienne­s du chien s’étaient aussi évaporées. S’en suivirent un divorce, une dépression et deux fugues. Avant que la mère leur offre un chaton très mignon…

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