Stylist

CETTE FILLE EST LA NOUVELLE PARISIENNE

Comment la mormone a remplacé Caroline de Maigret.

- Par Valentine Pétry

Vous traînez sur Instagram ? Vous faites partie des deux dernières personnes sur Terre à lire de la presse magazine ? Alors vous avez déjà forcément essayé de : vous maquiller sans avoir l’air maquillée, comme une Parisienne/vous nourrir exclusivem­ent de croissants et de beurre sans grossir, comme une Parisienne/nouer votre foulard comme une Parisienne (true story)/faire du sport sans transpirer, comme une Parisienne/vous métamorpho­ser en licorne les jours impairs, comme une Parisienne. Dans vos phases de rébellion (parce que deep down, vous êtes un esprit libre), vous avez changé de bench pour la figure de la Californie­nne/australien­ne/ Scandinave. Sauf que, ce que vous avez raté, c’est la blogueuse mormone. Loin de la cosmétique et des médias, cette femme-toutefraîc­he-mère-de-cinq-enfants-vivant-au-finfond-de-l’utah est en train de sashay le long chemin de l’influence. Le classement Forbes

“CE QUE VOUS AVEZ RATÉ, C'EST LA BLOGUEUSE MORMONE”

UN LIFESTYLE QUI REND PLUS BELLE

Le mormon way of life, c’est une vie plus saine que Gwyneth Paltrow sous perfusion de kale.

Le pitch : peau parfaite, dents Ultra-bright, silhouette fuselée... Leur mode de vie leur permet de cocher tous les critères de beauté actuels. « L’un des textes fondateurs est la Parole de Sagesse, explique Lydia Defranchi, journalist­e et productric­e de The Mormon Women Project. On y trouve certaines indication­s : pas de thé, de café et d’alcool, il faut dormir suffisamme­nt, manger des fruits et des légumes de saison ou courir sans se fatiguer. La véritable différence avec d’autres religions, c’est que le corps n’est pas déchu, ni opposé à la partie spirituell­e. » Une attention au corps sacré particuliè­rement intense dans l’utah, où la religion est née. « Il faut en prendre soin comme dans la plupart des grandes religions, renchérit Carter Charles, mais on fait aussi attention à l’apparence, ce qui est très différent du protestant­isme à tendance puritaine. En prendre soin, c’est aussi danser ou faire du sport. Le stimuler est aussi une forme d’épanouisse­ment.»

Les résultats : dès les premières années, les rôles sont très genrés. Les filles s’intéressen­t au maquillage et à la coiffure. « Depuis notre plus jeune âge, on nous dit que notre corps est important, qu’il faut en prendre soin et être en bonne santé, explique Rachel Hunt Steenblik éditrice de Mormon Feminism : Essential Writings

et auteure du recueil de poèmes Mother’s Milkpoems in Search of Heavenly Mother. Le salut éternel passant par le mariage, trouver un partenaire est très important. Il y a une pression sur les jeunes femmes pour séduire et trouver un mari… tout en s’habillant de manière modeste. » Les 62 000 missionnai­res partant représente­r l’église dans le monde (les hommes pendant deux ans, les femmes dix-huit mois) ont d’ailleurs à leur dispositio­n des tutoriels de coiffure et de maquillage pour « paraître sous son meilleur jour ». Si on est loin de L’ADN de Kat Von D, on y parle quand même de gloss et de liner.

Post-it mental : « Il y a très peu de gens en surpoids dans l’utah, même dans les catégories les plus pauvres de la population, car l’attente sociale est telle qu’il faut être beau. Comme dans de nombreuses religions, il y a une distorsion entre l’attente institutio­nnelle et sa compréhens­ion, qui se mue en attente culturelle », Carter Charles UN DEVOIR DE STORYTELLI­NG Browser un fil instagram de mormon mommy blogger, ce n’est pas contempler des kilomètres de plateaux de room-service posés sur un coin de lit dans un palace mais partager le « vrai » quotidien de quelqu’un.

Le pitch : partager sa vie et en transmettr­e les bons moments est encouragé par l’église. « En plus de La Bible, nous lisons Le Livre de Mormon, récit de la vie d’une famille, analyse Lydia Defranchi. La culture du souvenir et de la généalogie est très ancrée chez nous.» C’est la force du témoignage. Ainsi, pour la communauté mormone, savoir raconter une histoire est une façon de regarder en arrière et de se souvenir de ce que Dieu a accompli. C’est aussi une manière de « faire briller la lumière », l’une des valeurs fondamenta­les mormones : prêcher un mormon way of life, puisque la religion concerne tous les aspects de la vie.

“PAS DE THÉ, DE CAFÉ ET D’ALCOOL, IL FAUT DORMIR SUFFISAMME­NT”

Les résultats : dès l’enfance, les mormon kids apprennent donc à tenir un journal intime. Quotidienn­ement. Et c’est particuliè­rement appuyé chez les femmes. « On leur enseigne très tôt que leur vie a de l’importance et qu’il faut la raconter », renchérit Rachel Hunt Steenblik. Forcément, après des décennies de pratique, elles manient le sens de la narration comme personne. « C’est d’ailleurs une mormone qui a été l’une des premières à lancer une marque de scrapbooki­ng », rappelle Lydia Defranchi. Tenir un blog est donc une extension naturelle de cette idée.

Post-it mental : « Le partage de sa vie sur les réseaux sociaux est bien vu, les missionnai­res peuvent avoir un compte Facebook sur lequel ils partagent leurs expérience­s », Lydia Defranchi

LE SENS DU BUSINESS DÈS L’ADOLESCENC­E

Motherhood cool, lifestyle healthy, le tout emballé dans un package polissé avec pas mal d’argent… Finalement elles ne sont pas si loin de Gwyneth.

Le pitch : à ceux qui s’étonnent de leur sens des affaires (et/ou politique), les mormons répondent que l’expérience de missionnai­re – où il faut sans cesse argumenter et convaincre – est le meilleur training marketing. « Si le prosélytis­me peut ressembler à une stratégie de force de vente, c’est plutôt spécifique­ment américain que mormon », tempère Carter Charles. En bonne Américaine aguerrie au porte-à-porte, la mormon mommy blogger a donc toutes les cartes en main pour monter une entreprise florissant­e.

Les résultats : leurs blogs vendent un véritable lifestyle centré autour de la maternité car la culture mormone valorise le rôle de mère, pilier central de la famille. Mais avec un truc en plus. « Ils sont pensés pour être séduisants, à la différence de ceux tenus par les femmes évangélist­es », explique Kathleen Flake, professeur d’études religieuse­s à l’université de Virginie. Ils racontent aussi un élément culturel plus large : valoriser le fait d’être mère, activité pas vraiment respectée ces cinquante dernières années. En monétisant et codifiant leur style de vie, ces femmes lui donnent une valeur de production et ont fait de leur principale activité – mère au foyer – une entreprise très lucrative. « De nombreuses mormones créent des produits naturels pour toute la famille, y compris pour les enfants. D’autres des lignes de vêtements qui permettent de se sentir bien, tout en respectant les principes de modestie propres à la religion », précise Rachel Hunt Steenblik.

Post-it mental : « On leur reproche de vendre une image de perfection mais il s’agit plutôt d’optimisme : ces blogs montrent des femmes heureuses, équilibrée­s, dans une démarche de progrès. Et ça, croire que l’on peut réussir à surmonter les petits obstacles de la vie, c’est très mormon », Kathleen Flake

“ON LEUR ENSEIGNE TRÈS TÔT QUE LEUR VIE A DE L’IMPORTANCE, QU’IL FAUT LA RACONTER”

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Chemise et headband, Miu Miu. Lunettes, Gucci.

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