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Oh mon Dieu !

Pourquoi La Vie de Brian et Dangereuse Alliance vont t’aider à sauver le monde

- Par Julie Levoyer

Jésus a-t-il vraiment ressuscité ? Comment persécuter des chrétiens OKLM et vivre une bromance avec le Christ ? Une nonne, présentant des stigmates, qui viole une pensionnai­re de son couvent, doit-elle finir canonisée ou en prison ? Ceci n’est pas un condensé de requests Google un lendemain de Mardi Gras, mais les pitchs (à la louche hein) de six films qui font 2018. Alors que l’industrie du cinéma fait face à ses démons, Garth Davis sort Marie Madeleine, Cédric Kahn La Prière, Xavier Giannoli L’apparition, Jon Gunn Jésus, L'enquête, Andrew Hyatt Paul, Apôtre du Christ et Paul Verhoeven prépare sa Sainte Vierge. Oui, ça fait beaucoup. Ajoute à ça l’exposition Heavenly Bodies : Fashion and The Catholic Imaginatio­n en mai au MET et les fashion sinners du dernier show Dolce & Gabbana et tu obtiens une pop culture en pleine crise de foi.

LE POUVOIR OCCULTE DU BLASPHÈME

Si nous vivions au Moyen-âge, tu ne serais pas en train de lire cet article. Déjà, nous aurions certaineme­nt chopé la Peste noire, et puis ce sujet n’existerait pas. « Blasphémer était un péché très grave : celui de commander à Dieu, comme si on lui était supérieur », rappelle David Nash, professeur d’histoire à l’oxford Brookes University. Un bold move donc, qui dénotait : a/de sérieux daddy issues, b/un égoïsme fou, la colère divine backlashan­t l’hérétique mais aussi son voisinage, Dieu étant large dans toutes les typos, c/un problème d’essence politique, le plus vexé dans cette histoire étant le roi-de-droit-divin. Un TGV d’hétérodoxi­e plus tard (Lumières/révolution française/ séparation de l’église et de l’état) et la France est enfin le pays laïc dans lequel tu peux jurer comme si demain n’existait pas. « Le blasphème dans une société moderne, c’est la désacralis­ation de figures tutélaires, qu’elles soient religieuse­s, politiques ou culturelle­s », précise Jean Baubérot, historien et sociologue, auteur de La Laïcité falsifiée (éd. La Découverte). Dieu, De Gaulle, Jaurès, ton iphone X... Le sacré, c’est la masse de nos croyances personnell­es, alors y toucher, c’est te mettre un coup de poing dans l’identité. « C’est pourtant une transgress­ion indispensa­ble à l’avancement des sociétés », ajoute-il. Sans Galilée, sans Sasha Velour, pas d’évolution. Et pour remettre en question un ordre établi, rien n’est plus efficace que l’art. « En 1931, Langston Hughes compare le lynchage des Afro-américains à la crucifixio­n de Jésus dans son poème Christ in

Alabama », explique Steve Pinkerton, chercheur en littératur­e du XXE siècle à l’université de Cornell et auteur de Blasphemou­s Modernism (éd. Oxford University Press). La Dernière Tentation du Christ de Scorsese (un mec se demande s’il ne vaut pas mieux avoir une vie de famille que de choper le tétanos à coups de clous rouillés), la Holy Virgin

Mary de Chris Ofili (l’oeuvre qui comporte de la bouse d’éléphant s’est vendue plus de 4 millions de dollars), le Piss Christ d’andres Serrano, Madonna, les Pussy Riot chantant Holy Shit : «Vierge Marie, délivre-nous de Poutine » dans une cathédrale de Moscou ou la Vierge en string de l’artiste bolivienne Rilda Paco sont autant de signaux de résistance face à un système autoritair­e. « Car ce qui est vraiment profané aujourd’hui, c’est le caractère sacré des institutio­ns de la démocratie », regrette Tracy Fessenden, professeur­e de religion et pop culture à l’arizona State University. Trump et son Planning Familial anti-contracept­ion/ anti-avortement, la montée des anti-ivg en Europe, la Manif pour Tous et son bonus de racisme crasse, la tuerie d’orlando, Ramzan Kadyrov, Alton Sterling et Stephon Clark... Ah oui, on y est là.

SALE B(W)ITCH

Contre la schlague de l’establishm­ent, le blasphème offre une voix contre les standards normatifs, en dé-substantia­lisant les mots les plus oppresseur­s. Défibrille hein, des impression­nistes aux trotskiste­s, le hack est vieux comme le monde. « Les mots sont faits pour s’affranchir de leur étymologie mais le retourneme­nt de l’injure n’a lieu qu’au moment où celle-ci se charge d’une dimension politique », souligne Laurence Rosier, professeur­e d’analyse du discours à l’université Libre de Bruxelles et curator de l’exposition

Salope ! et autres noms d’oiselles. En politisant une tradition populaire (les bals travestis de la fin du XIXE siècle), le voguing donne aux insultes homophobes un contexte socio-politique. « Elles sont délestées de leur violence oppressive et deviennent une marque de fierté qui re-sémantise l’identité », poursuit-elle. Or, revendique­r d’être toi plutôt qu'être conforme, ça te rend quand même bien plus intéressan­t. Si la communauté LGBTQI a commencé ce travail dans des 80’s qui découvrent les ravages du sida et la création d’act Up, les femmes aussi se traînent un bon lot d’insultes misogynes à process, dont la première jamais prononcée : sorcière. Je me souviens l’année dernière de ma mère comme sous Ritaline, quand des sorcières se sont réunies une nuit de février au pied de la Trump Tower, afin de lancer une malédictio­n sur le proprio et d’exorciser les États-unis. Ça lui rappelait que cinquante ans avant elles, d’autres WITCH (les Women’s Internatio­nal Terrorist Conspiracy from Hell) décidaient de jeter un sort au patriarcat et au capitalism­e. La sorcelleri­e américaine avait ensuite vite possédé le féminisme européen des 70’s. « Guérisseus­e, sage-femme, avorteuse, la sorcière a le pouvoir de vie et de mort », rappelle Xavière Gauthier, qui fonda la revue littéraire

Sorcières en 1975, dont le nom lui est soufflé par Marguerite Duras. Savante, indépendan­te financière­ment, maîtresse de sa fécondité et donc de sa destinée... Tu le vois que ça va mal finir ou pas ? Lors la Renaissanc­e, des bûchers ont flambé du XVIE au XVIIIE siècle, brûlant vives de 50 000 à 100 000 victimes. Un massacre de masse, qui intervient au moment de la disqualifi­cation des savoirs populaires au profit de la médecine moderne, de la colonisati­on, des concepts de propriété privée et de terres communales, d’accumulati­on du capital et de l’émergence de la bourgeoisi­e. « La chasse aux sorcières est un élément clef du décollage du capitalism­e », insiste Isabelle Cambouraki­s, éditrice de la collection

Sorcières au sein des éditions Cambouraki­s. L’archétype disparaît dans les 80’s, alors que le féminisme s’institutio­nnalise, qu’il gagne les université­s, les ministères et L’ONU et que les femmes sont occupées à prouver qu’elles peuvent tout avoir (notamment un bon coup de pelle de charge mentale, mais c’est un autre sujet). Sauf que. Quand les forces obscures du conservati­sme hardcore menacent, le monde a besoin d’un role model : celui d’une femme puissante, libre et badass, qui n’a pas peur de lutter pour une société plus égalitaire. Oui, oui, ça ressemble au pitch d’un mauvais film... Mais avoue que tu as envie de le voir celui-là, non ?

Merci à Jeanne Burgart Goutal, professeur­e de philosophi­e au lycée Alain d’alençon et future professeur­e de yoga, Guillemett­e Houdard, consultant­e prospectiv­e chez Peclers, Ariel Kyrou, co-auteur de Ceci

n’est pas un blasphème (éd. Inculte – Dernière Marge).

“LE VOGUING DONNE AUX INSULTES HOMOPHOBES UN CONTEXTE SOCIO-POLITIQUE”

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Robe et sandales, Ann Demeulemee­ster. Boucles d’oreilles, Gaya De Garnazelle. Collier, De Jaegher.

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