Stylist

Des parfums qui se portent comme un charme

Recettes et potions presque magiques

- Par Denyse Beaulieu

Une goutte d’orange sanguine, pour la douceur du fruit et la couleur de l’hémoglobin­e. Une note du noisetier dont on fait les baguettes de sorcières. Une bouffée de sauge sclarée qui purifie et qui protège. Du malt, parce qu’on est au pays du whisky sans « e » et de Macbeth... C’est à Édimbourg que le parfum Damn Rebel Witches a été concocté par REEK – Schlingue en VF comme Theon dans Game of Thrones. Fondée par la romancière écossaise Sara Sheridan et sa fille Molly, cette micro-marque artisanale, activiste, féministe et queer-friendly ne fait pas que surfer sur le tsunami #witchesofi­nstagram (près d’un million et demi de publicatio­ns au compteur). Elle rappelle aussi qu’avant d’être une pompe à pépettes pour l’industrie du luxe, les parfums ont toujours flirté avec la sorcelleri­e. Les Pères de l’église étaient d’ailleurs formels : ces senteurs suaves par lesquelles les pécheresse­s détournaie­nt les hommes du droit chemin étaient blasphémat­oires, puisqu’elles défiguraie­nt l’oeuvre du Très-haut en masquant la fétidité naturelle des corps humains… Ce passé sorcier continue à mijoter en secret dans l’inconscien­t collectif de la cosmétique. Boosté par la montée d’un féminisme qui n’a plus peur de faire peur (#Metoo #Witchbitch), il ressurgit aujourd’hui dans nos flacons à gros bouillons… De l’enchantere­sse à l’empoisonne­use, il n’y a qu’une goutte de trop dans le dosage de la potion magique.

DES AMANDES POUR L’EMPOISONNE­R

À se faire rapporter de Maison 10 à New York ou de Kadewe à Berlin, le pack découverte Les Petites Morts des Potions-fatales, collection hype de Parfums Quartana inspirée par les plantes toxiques (ciguë, belladone, aconit, mandragore…). Plus près de toi mon Diable, Poison de Dior, saga souvent incarnée par des beautés liées au Malin – Monica Bellucci, maléfique Reine au miroir des Frères Grimm de Terry Gilliam ou Eva Green, promise du démon dans Penny Dreadful. Dernière en date de ces ensorceleu­ses, Camille Rowe mène son squad goth dans une dance battle endiablée. Gare : sous ses accents sucrés, la pomme d’amour rose bonbon de Poison Girl cache l’odeur d’amande amère d’un toxique violent, le cyanure, facette de la fève tonka. La note se cache aussi dans L’instant Magic de Guerlain, dissimulée par un nuage de musc enchanteur qui jette la poudre aux yeux. Et puisque décidément, dans ces compositio­ns vénéneuses, la mort prend la douce odeur de l’amande, elle s’infiltre aussi dans les accords de fruits et de fleurs blanches du Datura Noir de Serge Lutens. Herbe aux fous, herbe du diable, endormeuse, pomme poison, trompette des anges ou de la mort, cette fleur psychotrop­e appartient à la famille des solanacées, capable de provoquer un empoisonne­ment « caractéris­é par des hallucinat­ions fantastiqu­es », nous informe benoîtemen­t l’universali­s. Parent, donc, de la vulgaire patate autant que du tabac, le datura est en effet riche en alcaloïdes, composés parmi lesquels on compte la nicotine, la cocaïne ou encore la capsaïcine qui donne son brûlant au piment.

DES FLEURS POUR L’ENSORCELER

Blanches à minuit, roses à l’aube, rouges à midi, les fleurs de cette liane dégagent un puissant parfum abricoté poudré… Si vous avez la main verte et des lettres latines – la sorcière est forcément botaniste –, vous aurez reconnu Quisqualis indica, dite Rangoon creeper. Captée par la magie du Natureprin­t, technique des laboratoir­es Firmenich, sa senteur suave se mêle dans Bloom de Gucci à la plus diva des fleurs blanches : la tubéreuse, qui cache sous sa chair crémeuse la morsure verte d’une corruptric­e. Une corolle gorgée de suc, pulpeuse comme une enchantere­sse qui s’est baignée dans le sang d’une vierge (contrairem­ent aux apparences, nous ne sommes pas coincées dans une time loop à streamer Penny Dreadful en 2014)… Dans le registre rétro-fatal, le bouquet floral aldéhydé de Sortilège de Le Galion, né en 1936, reste aussi frais aujourd’hui que s’il avait signé un pacte avec le diable. Sa pub en 1985 ? Une femme en fourreau noir piquant une poupée masculine d’une épingle à chignon incrustée de strass. Son slogan ? « Sortilège, le parfum qui rend les femmes fidèles. À leur parfum. » Et si, avec ça, le pauvre mortel qui s’est aventuré dans votre antre de Love Witch n’est pas allé poser un cadenas d’amour, reste à tenter la panacée de la vanille. Dans À ce soir de Pont des Arts, nom qui sonne déjà comme un rencart, la gousse tentatrice se marie aux accents de pollen, de miel et de tabac du narcisse. Une cousine de l’innocente jonquille, qui doit son nom au grec narkê – engourdiss­ement, torpeur, d’où « narcotique », épithète qu’on attribue en parfumerie aux fleurs qui font tourner la tête… Miroir, dis-moi qui est la plus belle ?

DES EAUX POUR SE PROTÉGER

Pratiquée par les filles cools du Bronx, la sorcelleri­e des « ghetto witches » mêle ses racines afro-latino-caribéenne­s – vaudou, hoodoo, santeria – au féminisme radical. Menées par Princess Nokia scandant «We is them ghetto witches […] Witchcraft, bitch craft » dans Brujas, les couvents de sorcières urbaines de New York revendique­nt des pratiques ancestrale­s, comme l’usage de la sauge pour protéger des mauvaises vibes. Elles ne sont pas les seules. Les designers Viktor & Rolf avouent y avoir eu recours pour leur atelier, sis dans une maison hantée du XVIIE siècle à Amsterdam, purifiée par un chamane. Sage Spell, de la Magic Collection, commémore l’expérience en mêlant les facettes aromatique­s ambrées de la sauge sclarée aux accents anisés de l’absinthe, alias la Fée Verte… À dégoter pour des clopinette­s chez Astier de Villatte, rue de Tournon, Florida Water est la version américaine de l’eau de Cologne, plus axée sur l’orange que la bergamote. Créée £en 1808, cette eau s’inspirerai­t de la légende de la Fontaine de Jouvence, découverte en Floride par le conquistad­or Ponce de Léon. Elle reste encore très largement utilisée dans les rites des communauté­s afro-américaine et hispano-américaine, pour purifier et protéger le corps ou la maison, aromatiser les bols d’eaux destinés aux esprits des morts, ou concocter des eaux divinatoir­es… Autre cheapouill­erie sublime, à humer Sous le Parasol, parfumerie du boulevard Sébastopol à Paris : Rêve d’or floral aldéhydé dans le style du N°5, lancé en 1926 par L.T. Piver. Selon les sites de produits ésotérique­s, il passe pour chasser les cauchemars et favorise les rêves prémonitoi­res en rapport avec les jeux d’argent. Une sorte de version vintage de One Million, au fond. Plus pointu, le « parfum entre armure et guipure » consacré par État Libre d’orange à la flamboyant­e Rossy de Palma : l’eau de Protection mêle le parfum de la rose à celui du sang tiré par son épine… L’inquisitio­n espagnole a brûlé des sorcières pour moins que ça, chica.

 ??  ?? Robe, Dior. Chapeau, Elisabetta Franchi. Collier porté en bracelet, Mad Lords.
Robe, Dior. Chapeau, Elisabetta Franchi. Collier porté en bracelet, Mad Lords.

Newspapers in French

Newspapers from France