Culturist
Des idées pour se coucher moins bête
Il y a une formule qui revient à chaque fois que sort un film centré sur un couple gay ou lesbien : « Ce n’est pas un film sur l’homosexualité.»
Call Me By Your Name ?
Sur le coup de foudre. La Vie d’adèle ? Sur l’amour impossible entre bourgeois et prolétaires. Certes, on peut s’amuser de l’excès de zèle avec lequel ce « c’est pas le sujet » est parfois dégainé. Mais on peut dire que la formule est fondée (puisque de toute façon, c’est quoi, un « film sur l’homosexualité ») et surtout qu’aujourd’hui, elle tombe à pic : tous les personnages de Plaire, aimer
et courir vite ont passé la tempête du « sujet ».
Hommes jeunes ou non, vivant leur amour
et leur sexe de toutes sortes de façons, ils ne s’interrogent plus, n’ont plus peur d’être rejetés, savent depuis un bail qui ils sont et ce qu’ils veulent et laissent devant le film un
boulevard de questions. Comment on se résigne à mourir de la sexualité qu’on a vécue (Pierre Deladonchamps, le héros, last man standing d’une génération décimée par la séropositivité qui va bientôt l’emporter à son tour) ? Comment on ment aussi gaiement aux autres qu’on s’avoue tout à soi (Vincent Lacoste, génial dans un numéro d’ultra-aisance sociale et érotique limite Il est libre
Max) ? Et surtout : c’était quoi l’amour clandestin, ce monde qui n’existe quasi plus ? Les rencards secrets, la vie cachée ? Là-dessus, Honoré, plutôt dans sa veine mélo sobre (Dans Paris) que musical excentrique (Métamorphoses), joue presque le rôle de l’historien, du chroniqueur : le film déroule si précisément tous les codes, les jeux de regard, les termes propres à la France gay des 90’s. Les endroits où on se rencontre, ceux où on couche, les stéréotypes cryptés (les « Maxim’s », les « Whitman », les « Wrong blondes »), les précautions à prendre et celles dont se débarrasse. Un parler, un vivre que Plaire, aimer et courir vite recense à la façon d’un testament : la teinte est nocturne, marbrée, et la mort est bien sûr partout. Mais le film, étrangement, a l’air de sourire. T.R. Plaire, aimer et courir vite de Christophe Honoré avec Pierre Deladonchamps, Vincent Lacoste, Denis Podalydès, durée : 2 h 12.