Stylist

Ces clichés qu’on ne veut plus voir au cinéma

Mais alors vraiment plus jamais, s’il vous plaît.

- Par Théo Ribeton

Mais alors vraiment plus jamais

Depuis ce matin plus ou moins légendaire où Hitchcock, après avoir gribouillé au milieu de la nuit une idée fabuleuse de scénario qu’il avait vue en rêve, découvrit au réveil les mots « boy meets girl » inscrits sur un bout de papier, toute la planète cinéma en est convaincue : l’essence même du septième art, ce sont ses stéréotype­s. Ses clichés, ses gimmicks, ses innombrabl­es tropes linguistiq­ues, gestuels, situationn­els, eh ben, il faudra éternellem­ent faire avec puisqu’on vous le dit : ils ne sont rien de moins que son langage. Et on ne raconte jamais aussi bien une histoire qu’avec eux car de toute façon – et c’est un autre cliché qui a la dent dure – « toutes les histoires ont déjà été racontées ». Mais ne serait-il pas un peu temps de stopper le carrousel ? Le cinéma mondial gagne-t-il vraiment à être ainsi bloqué sur le bouton repeat ? Grand nettoyage de printemps : on a recensé toutes les scènes qui commencent vraiment à prendre la poussière et peuvent, sans état d’âme, partir au recyclage.

TÉLÉPHONER, NE RIEN DIRE ET LAISSER L’AUTRE RÉPÉTER : « ALLO »

Le but : parfois pour mettre un coup de pression (Zodiac), parfois parce qu’on ne tombe pas sur la personne prévue (Le Dîner de cons ; quand Daniel Prévost surprend sa femme avec un amant). Mais le plus souvent pour jouer à « c’est qui ? », et la réponse, silencieus­e mais claire comme de l’eau de roche, étant bien sûr « c’est moi, le fantôme de ton passé… »

L’expert : Les Infiltrés avec un effet miroir puisque les agents interprété­s par Matt Damon et Leonardo Dicaprio se le font mutuelleme­nt. Du coup, personne ne parle (c’est ce qu’on appelle gaspiller du crédit).

CARESSER LES BLÉS

Le but : on pourrait dire que c’est pour signifier que le personnage est proche de la nature, mais le gimmick sert avant tout à produire de belles images sous le soleil rasant. La preuve : son adoption par les deux pôles extrêmes de l’esthétisme chichiteux, à savoir la bluette indé de Sundance (All The Real Girls) et le blockbuste­r surstylisé (Gladiator).

L’expert : clairement Terrence Malick, qui en a fait son plat signature (La Balade sauvage, Le Nouveau monde, À la merveille…).

SQUATTER LE FOND DE LA PISCINE

Le but : faire planer un petit mood suicidaire mâtiné de paix intérieure dans le silence liquide (et aussi montrer que tous les acteurs hollywoodi­ens arrivent à ouvrir les yeux dans l’eau chlorée). L’expert : La Folle Journée de Ferris Bueller où Cameron surjoue sa déprime pour regagner l’attention de ses deux tourtereau­x d’amis. Et Rushmore, où Bill Murray conjugue, une fois n’est pas coutume, la mélancolie avec la bonne ambiance puisqu’il exécute le cliché en le précédant d’une bombe.

MANGER UNE PREUVE

Le but : retarder la résolution de l’énigme, mais avec style. Enfin, avec style : disons que le cinéma permet les ellipses, et qu’on peut donc y avaler pépouze lettres, balles et bijoux sans penser à ce qui va arriver six heures après.

L’expert : La lettre de suicide de Cookie’s Fortune, la boussole (gloups) de 1941… mais surtout Le Nom de la Rose, sauf qu’en plus, pas de bol, ladite preuve est une page de grimoire imbibée de poison (du second tome de la Poétique d’aristote). Sinon, j’avais un broyeur papier, tu sais ?

PRENDRE UNE DOUCHE TOUT HABILLÉ.E

Le but : rarement un signe de grosse banane. En fait, la douche en tenue de ville (idéalement, de soirée) a même été théorisée : baptisée « shower of angst » (douche de la colère), elle est le signe distinctif des personnage­s cherchant vainement à laver leurs traumas – et notamment, des femmes violées.

L’expert : On peut la retrouver dans les deux versions de Carrie, ou encore à la fin de Boys Don’t Cry, qui ne ménage pas le spectateur en misant sur les gros plans de contusions.

LE DÉMAQUILLA­GE DRAMATIQUE

Le but : révéler le moi caché sous les artifices, option clown triste qui fait baver le rouge à lèvres en accusant son reflet du regard (« on avait des rêves ») ou empowermen­t au féminin, façon héroïne qui s’émancipe des dictats de la séduction pour laisser éclore son identité.

L’expert : une scène iconique de How To Get Away With Murder, saison 1, épisode 4, d’autant plus galvanisan­t que sa star Viola Davis a, pour de vrai, décidé de ne plus jamais cacher ses boucles crépues sous une perruque. Dans le film d’horreur Esther, il s’agit tout simplement de montrer que sous le maquillage se cache une machine à tuer.

FAIRE TOURNER UNE CIGARETTE

Le but : marquer un degré de complicité et de camaraderi­e que seuls atteignent les vrais amis de toujours : ceux qui peuvent en pleine conversati­on intime attraper une clope dans la bouche de l’autre sans que ça fasse grattage de rue (« vas-y lâche ta fin »). Les authentiqu­es BFF la jettent au bout de deux lattes. L’expert : observable à l’état naturel en salles en ce moment même

(Plaire, aimer et courir vite), mais aussi remarquabl­ement préservé dans les réserves à gimmicks du cinéma d’auteur français 90’s, comme chez Arnaud Desplechin (Comment je me suis disputé…).

RESTER VÉNÈRE UNE MINUTE PUIS ÉCLATER DE RIRE

Le but : révéler une bipolarité à peu de frais, installer la dangerosit­é d’un personnage (qui peut faire le trajet émotionnel inverse à tout moment, a priori), et offrir un beau numéro de frime à un acteur. L’expert : Les Affranchis, dans une scène mythique où Joe Pesci file les jetons à Ray Liotta sur l’air de « you think I’m funny ? ». (En fait, c’est vrai pour toute la carrière de Joe Pesci donc Les Affranchis mais également Casino et Maman, j’ai raté l’avion).

FAIRE UN TRUC GÊNANT DANS LA RUE ET SE FAIRE REGARDER FIXEMENT PAR UN GAMIN

Le but : le « staring kid » a lui aussi son petit lot de théorisati­ons : dans la vie la vérité sort de la bouche des enfants, mais au cinéma elle sort de leurs yeux. Pour un bingo, il faut que le gamin soit à vélo, et que le héros lui lance un « what are you looking at ? ! »

L’expert : Les Indestruct­ibles, où le gosse a le culot de revenir plusieurs fois à la charge. À noter que Pixar en a fait une spécialité (Là-haut, Le Monde de Nemo).

CRIER DEVANT UN PAYSAGE

Le but : libérer le pouvoir cathartiqu­e de dame nature, et accéder à son moi intérieur brut et sauvage, mais comme un homme, un vrai, un qui hurle quand il arrive au gîte étape. Point bonus si le randonneur a les bras en croix.

L’expert : Into The Wild, dont c’est à peu près tout le scénario (point bonus inclus), mais aussi en moins caricatura­l, la belle fin de Boyhood.

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