Snowflake
D’humeur inégale, sensible à la moindre remarque : bienvenue dans l’ère du snowflake
1 CE QUE ÇA SIGNIFIE
Littéralement « flocon de neige ». Le terme snowflake est utilisé pour railler une personne qui fait preuve de sensibilité (who said sensiblerie ?) face à la violence verbale ou physique. Très en vogue dans la manosphère, cette constellation de sites, chaînes Youtube et comptes Twitter portés par la haine des minorités, l’insulte snowflake cherche à disqualifier toute recherche de « safe space » ou à moquer la notion de « trigger » en l’associant à de la faiblesse. Elle vise souvent les millenials, dans un fantasme d’une jeunesse pleurnicheuse et efféminée. En avril 2017, le quotidien conservateur britannique The Sun qualifiait ainsi de parfait exemple de la « Snowflake generation » une jeune étudiante n’ayant pas pu se rendre à ses cours le lendemain de l’élection de Trump parce qu’elle n’arrivait pas à arrêter de pleurer, ou encore les jeunes ayant popularisé l’expression de « post Brexit depression ». Et la droitosphère s’est déchaînée, lors de l’arrivée de Friends sur Netflix en début d’année, contre tous ceux qui, découvrant ou redécouvrant la série, osaient s’étonner du sexisme, de la grossophobie et de l’homophobie d’une bonne partie des dialogues de la série culte des années 90. #Onpeutplusriendire
3 POURQUOI ÇA PREND ?
À la différence du social justice warrior, terme utilisé par les Républicains et l’alt-right pour injurier les Démocrates, le snowflake peut être aussi progressiste que Michael Moore et conservateur que Clint Eastwood. Au point de devenir un point Godwin du débat publique de l’ère Trump. Il y a un an, suite à la cérémonie des Oscars, la commentatrice politique conservatrice Tomi Lahren avait décidé de remettre le prix du meilleur snowflake à Meryl Streep. Pas très original mais OK. De son côté,
The Daily Beast a qualifié Kellyanne Conway (conseillère de Trump) de « conservative snowflake » dans un article publié le 24 avril dernier. Balle au centre. Depuis, chaque partie s’est réapproprié l’insulte. D’un côté, par exemple, les pro-environnements et leur pancarte « I’m a snowflake and together we are an avalanche » et de l’autre, les climatosceptiques pro-trump avec leur pâle copie « Damn right we’re snowflakes. And winter is coming ». Les flocons, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît.
2 LES ORIGINES
Aujourd’hui aussi populaire qu’une réplique de candidat de téléréalité, le terme snowflake, qui est même entré dans l’édition 2018 du très respecté Oxford Dictionary, est d’abord apparu, il y a une vingtaine d’années, sur les campus universitaires américains afin de critiquer l’hypersensibilité de certains étudiants face au système éducatif. Mais l’injure trouverait véritablement son origine dans une punchline du roman Fight Club (1996) également citée dans l’adaptation ciné de David Fincher, trois ans plus tard : « Tu n’es pas spécial. Tu n’es pas beau et tu n’es pas un snowflake à part. Tu es fait de la même matière organique en décomposition que le reste du monde. » Si son auteur Chuck Palahniuk s’est attribué l’invention
du terme dans une interview au Evening Standard en janvier 2017, les Sciences Humaines voient les choses autrement. Selon le Merriam-webster
Dictionary, snowflake est utilisé comme insulte depuis plus de cent cinquante ans, mais avec des sens différents. Dans les années 70, le vocable désignait de façon désobligeante un homme noir accusé d’agir comme un Blanc (une sorte de « bounty » 1.0). Et cent ans plus tôt, dans le Missouri des années 1860, un snowflake dénommait une personne opposée à l’abolition de l’esclavage.
4 SA VERSION NÉFASTE
Si le snowflake ne ferait pas de mal à une mouche, il en existe une version bien plus dangereuse. On la connaît sous le nom de Incel, pour Involuntary Celibate, des hommes « ayant fait voeu de chasteté contre (leur) gré » (lire : à cause de ces putes-toutes-des-salopes-qui-nous-fontl’enfer). Ces hommes célibataires s’autoproclament puceaux fragiles drivés par la frustration et l’émotion. Sur les forums Incel, parmi d’autres termes dans leur glossaire très inspiré, apparaît la figure du nice guy, représentant un homme tout faible qui a du mal à séduire les femmes, alors qu’il ne leur
VOUS ÊTES UN SNOWFLAKE EN PUISSANCE SI :
Vous ne supportez pas qu’on critique l’une de vos idoles d’adolescence (au hasard Britney Spears ou Christina Aguilera) alors que vous savez pertinemment au fond de vous qu’elles ont toujours été à côté de la plaque.
Vous avez une fâcheuse tendance à vous plaindre des gens qui se plaignent et à reprocher aux autres ce que vous devriez en fait vous reprocher d’abord à vous-même #effetmiroir.
À chaque fois que les fêtes de fin d’année approchent et que vous savez que vous allez devoir vous taper votre oncle facho au dîner de Noël, vous faites tout pour vous faire arrêter par votre médecin pour incompatibilité familiale. apporterait rien que du respect (of course). Ce qui en a naturellement poussé certains à nicely tuer des gens, en les écrasant par exemple, comme à Toronto, le mois dernier.
6 POURQUOI IL FAUT PAS TROP EN RIRE Chaque phénomène de société apporte ses parodies, ses mèmes et ses excès. C’est sans doute pour cette raison que la chaîne de supermarchés britannique Sainsbury’s a annoncé le mois dernier la commercialisation d’un snowflake chicken, un poulet vendu dans un nouveau type d’emballage conçu spécialement pour celles et ceux qui ont peur de toucher de la viande crue. On pourrait en rire si une récente étude réalisée par la compagnie d’assurance anglaise Aviva ne démontrait pas que, parmi les 16-24 ans, 72 % pensent que le terme snowflake est injustement utilisé. Et 74 % d’entre eux estiment que l’utilisation répétée de l’insulte pourrait avoir des effets négatifs sur la santé mentale des jeunes.