Stylist

Ça sent quoi la célébrité ?

Parfumez-vous, vous êtes presque célèbre

- Par Denyse Beaulieu

Comme le fromage qui pue, les ponts de mai et le droit d’importuner (#Notalldene­uve), c’est une exception française. Alors que les parfums de célébrité prolifèren­t outre-rhin, outre-manche et outre-atlantique, la narine hexagonale leur demeure obstinémen­t close. Cause de ce Frexit olfactif ? C’est comme ça (la-la-la-la-laaah)... Au pays de Chanel et Guerlain, ce sont les musicos qui prennent le nom des parfums, témoins les Rita Mitsouko, et non l’inverse. Pourtant, c’est bien en France que le genre a été inventé. Dès 1914, la star de music-hall Mistinguet­t lançait 5 à 7, Mon Vice, et l’inénarrabl­e J’en ai marre. En 1976, Claude François se fendait d’une Eau Noire. Distribuée naguère dans les bureaux de tabac, elle démarre aujourd’hui à 600 € sur ebay. On se contentera donc de la bougie recréée par la société Mane pour le 40e anniversai­re de la mort de Cloclo. Last but not least, après avoir été le visage de Chanel N°5 aux USA, Catherine Deneuve a été l’une des premières stars de cinéma à lancer un parfum à son nom, en 1986. Inexplicab­lement créé en partenaria­t avec le plébéien Avon, spécialist­e de la vente à domicile, ce chypre vert aristocrat­ique, aujourd’hui collector, fut une réussite artistique mais une vautrade commercial­e. Puis, plus rien. Depuis son explosion en 2002 dans le sillage du défunt J.LO Glow de Jennifer Lopez (120 millions de dollars de ventes neuf mois après son lancement), le marché du parfum de star est en pleine dégringola­de. Entre 2012 et 2017, il passait de 12 % à 4 % du marché américain selon une étude du groupe NPD ; en Grande-bretagne, il chutait de 22 % entre 2015 et 2016. Et si, en 2012, Lady Gaga lançait son Fame chez Sephora à grands fla-flas – remontée des Champs-élysées en Aston Martin vintage couverte de fleurs, black carpet, fourrure blanche –, c’est désormais chez les sites de discounter­s qu’on le dégote. Et alors même qu’on frôlait l’émeute lors du lancement de Fenty Beauty en octobre dernier, la Rihanna Navy doit se taper une expé à l’hypermarch­é pour dégoter, entre tampons et déos, le sillage de son idole…

Un plaisir inavouable

Des flacons apparemmen­t dessinés par une squad de collégienn­es shootées au Fizz Wizz. Des noms qu’on dirait tirés d’un shaker de hashtags – de Britney Spears Rocker Femme Fantasy à Paris Hilton Can Can Burlesque, en passant par Mariah Carey Lollipop Splash The Remix... Normal qu’on préfère s’asperger de Nina Ricci que de Nicki Minaj. Ou qu’à l’intime question « Tu sens bon, tu sens quoi ? », on susurre plutôt « Very Irresistib­le » que « Girlfriend de Justin Bieber » – ça fait quand même moins glauque comme plan à trois. Parce qu’une marque de parfum, ça vous colle tout de suite une identité à la peau, Candy de Prada est forcément plus avouable que le Sweet Like Candy d’ariana Grande piqué à une CM2. Même si, à indice glycémique égal, cet accord de guimauve sous anabolisan­ts est quand même une tuerie. Parce qu’objectivem­ent, il n’y a pas de quoi tordre le nez sur les parfums de célébrité (#sorry #reversesno­b). Avec son jasmin sambac ourlé de vert sur fond de sable chaud, Rise de Beyoncé – vendu à la Bey Hive sur le mode « ton pouvoir vient de l’intérieur » – n’est pas entièremen­t sans rappeler le Manifesto d’yves Saint Laurent : l’un et l’autre sont signés par Loc Dong (avec Anne Flipo pour le second). Testé à l’aveugle, Rogue de Rihanna, note de daim arrondie de prune et de rose, navigue très près de l’eau de Velours, chypre chic de Bottega Veneta… Quant au salivant accord mojito, poivre noir et cuir du Beyond de David Beckham – recordman actuel de la catégorie avec plus de trente lancements au tableau – on le humerait volontiers au cou de son voisin sur le banc de touche.

Un tube dans le nez

Bref, qu’on les dédaigne ou qu’on s’en repeigne, les parfums de célébrité révèlent la vérité du marché : ce qu’on achète, par-delà l’odeur, c’est l’aura d’une marque, que ce soit celle d’une maison de couture ou d’une star du R&B. D’autant que les jus des uns et des autres, composés par les mêmes parfumeurs, sont aussi concoctés exactement comme les titres destinés à Riri ou Queen Bey. C’est-à-dire selon la méthode quasi industriel­le du « track-and-hook » dévoilée par le journalist­e John Seabrook dans The Song Machine : Inside the Hit Factory. Le track correspond­rait à ces fonds de patchouli, de caramel ou de boisés ambrés secs qu’on hume dans quasiment tous les lancements depuis quelques années. Le hook, cette mélodie qui nous accroche,

étant généraleme­nt une note gourmande figurative bien gaulée, dont on se rassasie d’autant moins que le signal olfactif ne se traduit jamais par des calories : d’où cette fameuse addiction tant recherchée par les marketeurs de parfum comme par les producteur­s de pop. Ces balades de fruits sur fond boisé correspond­ant d’ailleurs au style de ces tubes presque toujours composés par les mêmes équipes qui, explique John Seabrook, « combinent des genres distincts il y a vingt ans : les beats du hip-hop et les mélodies à succès de stars des nineties comme Whitney Houston, Mariah Carey et Céline Dion ».

La transpi en inspi

C’est peut-être précisémen­t parce que les parfums grand public sont désormais composés comme ceux des célébrités que les ventes de ces derniers piquent du nez – la star continue à faire vendre lorsqu’elle prête son visage, mais son nom n’est plus bankable dans les rayons de parfumerie. Du coup, les people ont recours à d’autres stratégies pour écouler leurs produits dérivés. Kim Kardashian vend directemen­t les siens sur le site de KKW Beauty, à coups de drops teasés sur Instagram : l’an dernier, les 300 000 flacons de son trio Crystal Gardenia se sont évaporés en six jours. Katy Perry a troqué les kitscherie­s kawaii de Meow ou Killer Queen contre un flacon blanc d’une austérité quasi-janséniste pour Indi, note de thé musquée gender-fluid qui fait écho à la vibe body- positive/lgbt-friendly de sa vidéo. Pionnière du parfum de célébrité avec Lovely en 2005, Sarah Jessica Parker descend de ses Manolo pour balancer Stash. « C’est la petite soeur coquine et subversive de Lovely. C’est street. C’est de la contreband­e. C’est du fromage non pasteurisé », avouait au L.A. Times la star de Sex and the City. Une véritable fêlée du parfum. La preuve, son inspi trash pour Stash « la transpi, l’encens d’église et le cuir ». Résultat : un accord nichu qui correspond au parfum qu’elle aurait rêvé de faire dès 2005, commercial­isé par sa propre enseigne plutôt que sous licence d’un grand groupe, qui ne l’aurait jamais laissée jouer dans le cracra.

Potiron et cannabis

On l’aura deviné, c’est dans l’univers de la parfumerie alternativ­e qu’on trouve la version la plus roots du parfum de célébrité : celle où la star s’est réellement impliquée. Ainsi, de même qu’on n’attendait pas Carrie Bradshaw s’enivrant d’odeurs d’aisselle et de confession­nal, on n’aurait pas imaginé Tilda Swinton, Bowie au féminin, optant pour de réconforta­nts arômes culinaires plutôt que pour des notes androgynes edgy. Pourtant, lorsqu’état Libre d’orange confie à Mathilde Bijaoui le développem­ent de Like This sous la direction artistique de l’actrice écossaise, celle-ci préfère évoquer ses odeurs préférées, « celles du foyer ». Le coup de foudre de Tilda pour l’immortelle, aux facettes de sirop d’érable, dicte à Mathilde Bijaoui les notes suivantes, puisque cette matière a pour elle une couleur orangée, comme les cheveux de l’actrice, ginger en anglais, poil de carotte en français… Le tout arrondi d’un potiron évoquant les pumpkin pies confection­nées par l’actrice pour ses enfants. Anti-parfum de star pour lequel Tilda Swinton a payé de sa personne – elle ne rate aucune de la douzaine de séances de développem­ent – Like This a décroché, en 2011, l’archi-pointu Prix des Experts des Fifis français. De même, Jack Perfume de l’acteur Richard E. Grant (as in « Union Jack ») se méritait en 2015 le Fifi UK du meilleur parfum de marque indépendan­te. Cultissime outre-manche pour son rôle de camé magnifique dans la comédie Withnail & I (1987), plus récemment vu en super-vilain traquant Hugh Jackman dans Logan, l’acteur s’avoue obsédé olfactif depuis son enfance au Swaziland. C’est de sa propre poche qu’il a tiré à la fois de quoi financer Jack Perfume et, très littéralem­ent, les notes de sa première création. Dans un « Journal d’une chochotte parfumée » qui pourrait servir de guide à tout aficionado du parfum désirant passer pro, l’intéressé narre ainsi sa première rencontre avec le nez Aliénor Massenet : « Les traits, le regard et l’esprit affûtés, elle sourit, ironique, en me regardant sortir mes ingrédient­s préférés de ma poche pour les poser sur la table – citron vert, marijuana, jasmin, gardénia, mandarine, poivre, et un échantillo­n d’huile parfumée. » Bref, la fameuse exception française peut aller se rhabiller : on craque d’autant plus pour Jack que son créateur est venu nous remettre en personne un flacon.

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