ROBOTS APRÈS TOUT
C ’est quoi, un jeu vidéo difficile ? À en croire de vieux souvenirs d’enfance, c’est une nuit passée les yeux collés à l’écran à se tordre les pouces sur une manette rudimentaire, pour venir à bout d’une bestiole pixellisée au terme de quelques centaines de tentatives (nostalgie). Mais pour David Cage, sorte de Christopher Nolan du joystick devenu en dix ans le nom le plus suivi et le plus clivant du gaming d’auteur, un jeu difficile n’est pas affaire de challenge technique et autres délires masos : il consiste à savoir bien décider, et assumer les conséquences. Le premier écran
de son Detroit : Become Human, thriller SF ultra-attendu (« comme le messie » pour certains, « au tournant » pour beaucoup), nous prévient : choisissez bien votre niveau de difficulté, le plus corsé pourrait vous amener à « tuer des
personnages centraux ». Wow : le same player shoot again, c’est terminé ? Eh oui : on entend rarement ça dans le jeu vidéo mais ici, on n’a
qu’une vie. En 2038, les humains cohabitent avec des androïdes, dont certains se découvrent un libre arbitre et tentent de conquérir leur liberté. On en contrôle alternativement trois, et ce qui compte n’est pas le gros déjà-vu de la dystopie (une louche de Blade Runner, un filet de A.I., etc.), mais la folle expérience de responsabilité et de tension à laquelle elle nous invite : on traverse des crises, des dilemmes, on fait des choix en quelques secondes, et on en subit les conséquences jusqu’à la fin. Certains poussent fort le curseur du drame : il est question de violence domestique, de tendances suicidaires, de traumas d’enfance à ne réveiller sous aucun prétexte. Alors certes, Detroit ne vous demandera pas de devenir un virtuose de la combinaison de touches impossibles. Il préférera la fluidité d’une narration aux airs de grande cinématique interactive, comme un blockbuster arborescent à la lisière du film et du jeu. Mais pourtant vous pourriez, au détour d’un mauvais choix, regretter vos bons vieux craquements de phalanges. T.R. Detroit : Become Human de David Cage, Quantic Dream, 55 € (PS4).
Le règne des consoles qui filent des entorses au poignet est terminé, celui de celles qui en filent au cerveau commence.