Stylist

“LA SANTÉ EST LA DERNIER GRAND TABOU DE LA SOCIÉTÉ À FAIRE SA SORTIE DU PLACARD”

-

UNE PERSONNE SUR TROIS

Kanye n’est pas le premier à mettre la bipolarité sur le tapis cette année. Il y a trois mois, dans une interview au magazine américain People, Mariah Carey annonçait souffrir d’un trouble bipolaire diagnostiq­ué en 2001. « Une première pour une célébrité de cette stature », notait le New York Times, qui s’est fait l’écho, comme la quasi-totalité de la presse américaine, de ce coming out. « Je ne voulais pas avoir à porter le stigma d’une maladie incurable qui me définirait et prendre le risque de mettre fin à ma carrière. J’étais terrifiée à l’idée de tout perdre », déclarait alors la chanteuse pour expliquer ses longues années de silence. Si l’événement fait date, c’est que la santé est le dernier grand tabou de la société à faire sa sortie du placard. « La maladie à longtemps été synonyme d’exclusion et c’est encore souvent le cas », confirme André Grimaldi, diabétolog­ue à la Pitiésalpê­trière à Paris et co-auteur de l’ouvrage collectif Les Maladies chroniques, vers la troisième médecine

(éd. Odile Jacob). « Il faut se souvenir, par exemple, que jusqu’à la découverte de l’insuline, le diabète était une maladie mortelle. Quand j’ai fait mes études de médecine, à la fin des années 60, on considérai­t que c’était une tare. Jusqu’en 1953, la fonction publique était interdite aux diabétique­s », raconte Grimaldi. « Pendant longtemps, si on était malade on allait vers la mort, confirme Alexandre Klein, historien de la santé à l’université de Laval. Mais avec le recul des maladies infectieus­es et le développem­ent des antibiotiq­ues, les malades ont pu continuer à vivre. » Et la particular­ité de la maladie chronique c’est que le patient participe de manière active à son traitement, contrairem­ent à l’alité fiévreux qui est tout offert au corps médical. « Avec la découverte de l’insuline dans les années 1920, les médecins n’assurent plus le suivi des malades qui peuvent se débrouille­r tout seuls, explique Alexandre Klein, c’est un moment charnière qui ouvre la voie aux premières associatio­ns de patients. Pour se concentrer sur leur mission première, les médecins lâchent un peu de leur monopole sur la santé. » C’est la naissance du patient expert qui est aujourd’hui un rouage de plus en plus intégré à l’institutio­n médicale. Ajoutez à cela le vieillisse­ment de la population, une hygiène de vie post-moderne (ou comment le Netflix and chill a remplacé le régime crétois) et un environnem­ent dégradé et vous obtenez 20 millions de Français vivant avec une maladie chronique. Oui, ça fait presque une personne sur trois. « Il faut arrêter le mensonge qui consiste à croire que la maladie est l’exception : je vous mets au défi dans une rame de métro de ne pas trouver quelqu’un qui souffre de dépression, de diabète, d’eczéma… », explique Baptiste Beaulieu, médecin généralist­e et écrivain. Alors pas étonnant que parmi eux se trouvent deux, trois célébrités et quelques Youtubeurs.

ÉPIDÉMIE DE POUCES VERTS

Au moment de la sortie de Five Foot Two, en septembre 2017, le documentai­re Netflix dans lequel elle se confie sur la fibromyalg­ie qui l’obligera quelques mois plus tard à annuler sa tournée européenne, Lady Gaga tweetait : «J’espère aider à faire connaître cette maladie et à connecter entre eux les personnes qui en souffrent. Je prie pour que nous soyons de plus en plus nombreux à prendre la parole et que nous puissions tous partager ce qui nous fait du bien ou pas, pour s’entraider. » Une volonté qui pousse de plus en plus de malades à partager leur vécu sur les réseaux sociaux, Youtube en tête. « La maladie chronique se vit de manière assez solitaire. Ce n’est pas facile pour les proches d’être présents H24. Les réseaux sociaux permettent aux malades de porter une voix », analyse Baptiste Beaulieu. À l’image d’alexandre Lafont qui a ouvert en 2013 une chaîne, Epilepticm­an, pour parler de sa pathologie et vient de publier Je suis Epilepticm­an (éd. Plon) : « Je cherchais des informatio­ns sur l’épilepsie et je ne trouvais que des vidéos de 30 secondes ou de

trois heures, où on entend des médecins à la voix cristallin­e et monocorde.» Les siennes répondent aux canons médiatique­s du genre (montage cut, face caméra, humour, proximité…), informent (Les Différente­s Épilepsies) et dégomment les clichés sur la maladie (Les épileptiqu­es avalent leur

langue ?). Résultat : chacune de ses prestation­s est couronnée d’une brassée de pouces verts et de commentair­es dans lesquels d’autres épileptiqu­es partagent leurs expérience­s. Dans les pays anglos-saxons, les vlogueurs parlant de leur affection chronique sont si nombreux que les listes du genre « 11 Youtubeurs atteints d’une maladie chronique à binger now » pullulent sur le Web. Dans un article consacré aux Youtubeuse­s atteintes de cancer paru en mars dans la version US de Marie Claire, un psy regrettait : « C’est un phénomène unique à notre époque centrée sur les réseaux sociaux, une époque où même le cancer est devenu un contenu, où vous pouvez aimer, perdre et pleurer une personne que vous n’avez connue que par écran interposé ». Mais si plutôt que d’y voir de l’impudeur, on se réjouissai­t que la maladie ne soit plus systématiq­uement couverte par la honte et le secret ?

PATIENT ENGAGÉ

« Même si on observe une montée de l’empowermen­t, on est encore loin de la fin du tabou », tempère Murielle Villani, psychologu­e qui travaille sur la représenta­tion de la schizophré­nie avec la fondation Pierre Deniker. « En ce qui concerne les affections psychiatri­ques par exemple, les études montrent que le stigma perdure. La stigmatisa­tion est tellement profonde que même les profession­nels de santé ont des biais : les schizophrè­nes sont moins bien soignés que le reste de la population.» « Dire qu’on est épileptiqu­e, diabétique, parkinsoni­en ou atteint d’endométrio­se reste encore difficile dans notre société », confirme Alexandre Lafont. Mais toutes les Mariah Carey du monde réunies peuvent-elles vraiment changer quelque chose à cela ? « La pop culture est un vecteur de représenta­tion très puissant, analyse Jean-victor Blanc, psychiatre à l’hôpital Saint-antoine à Paris – qui animera sa deuxième édition de la conférence Pop culture

et psychiatri­e à la Fondation des États-unis à Paris le 26 juin –, on me parle encore de Vol

au-dessus d’un nid de coucou quand je propose un internemen­t. » À ce titre, le succès de

120 Battements par minutes a mis en avant une figure du malade à la fois expert et militant, née au coeur de l’épidémie du sida : « Un mouvement citoyen et associatif digne d’une révolte, voit alors le jour installant définitive­ment l’épidémie dans l’ordre du politique », écrivait Alexandre Klein à ce propos en 2012, dans un article consacré à l’histoire du patient dans la revue Histoire, médecine et

santé. « Les milieux LGBT ont souvent eu à ferrailler avec les médecins, raconte Juliette Ferry, doctorante à la Sorbonne en philosophi­e de la médecine. Dans les années 1970-1980 par exemple, un fort mouvement contre la psychiatri­e se traduit par le retrait de l’homosexual­ité du DSM, le registre des troubles mentaux.» Dans son émission de vulgarisat­ion médicale sur Youtube, Dans ton

corps, Julien Ménielle reçoit régulièrem­ent des invités venus parler de leur « particular­ité ». Myopathie, syndrome de la Tourette, de Marfan ou d’ehlers-danlos, la discussion est décontract­ée, pédagogiqu­e et empathique. « J’avais fait une vidéo dans laquelle je me mettais dans la peau d’une personne âgée et j’ai eu plein de commentair­es positifs de gens qui me demandaien­t de le faire pour d’autres situations de handicap ou de pathologie. Mais je ne me sentais pas légitime pour parler à la place des gens. D’où l’idée d’inviter des personnes qui souffrent de pathologie­s invisibles pour en parler, explique Ménielle, Cette libération de la parole est un phénomène puissant, parce que quand tu sors du placard, tu te rends compte des barrières qu’on te met et c’est l’occasion de revendique­r les mêmes droits que tout le monde. » Un avis que partage Juliette Ferry, à condition de ne pas se limiter au simple récit : « C’est bien de partager son expérience mais pour avoir un vrai impact sur la société, il ne faut pas oublier le militantis­me.»

 ??  ?? KIM KARDASHIAN-WEST ET KANYE WEST
KIM KARDASHIAN-WEST ET KANYE WEST
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? LA POCHETTE DE YE, LE NOUVEL ALBUM DE KANYE WEST
LA POCHETTE DE YE, LE NOUVEL ALBUM DE KANYE WEST
 ??  ?? LADY GAGA DANS FIVE FOOT TWO
LADY GAGA DANS FIVE FOOT TWO
 ??  ?? CAMPAGNE DE LA FONDATION DENIKER
CAMPAGNE DE LA FONDATION DENIKER
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France