Stylist

PARRIS GOEBEL

Comment la nouvelle gourou de la danse hip-hop s’est imposée dans le game.

- Par Morgane Giuliani

Elle pèse plusieurs milliards de vues sur Youtube et pourtant vous n’avez probableme­nt jamais entendu parler d’elle. Une bande de danseuses en outfit color block qui se claquent les fesses sur fond blanc dans le clip de la chanson Sorry de Justin Bieber, ça vous dit quelque chose ? Malgré l’absence du petit cul béni de la pop à l’image, le clip culmine à la quatrième place des vidéos les plus regardées de tous les temps. Et si ce n’est pas pour le minois de Justin, c’est bien pour la choré de Parris Goebel, 23 ans au moment du clip qu’elle a réalisé à la demande expresse du chanteur. La Néo-zélandaise y apparaît furtivemen­t, dissimulée sous une casquette noire et d’énormes lunettes de soleil à reflets, une grosse paire de Timberland aux pieds. Une pudeur qui ne l’empêche pas de se construire tranquille­ment un empire dans l'univers de la danse. Avec Young Queen (Mary Eagan Publishing), sorti en mars aux États-unis, elle raconte son ascension dans ce qui ressemble autant à des mémoires précoces qu’à la bible du succès d’une gourou de la pop. À 16 ans, elle crée la première troupe de danse

hip-hop 100 % féminine au monde, Request, deux fois auréolée d’or aux Championna­ts mondiaux de hip-hop. Elle a converti Jennifer Lopez, Rihanna ou Nicki Minaj à son culte, au point que les trois divas, séduites par son approche fierce et genderflui­d, ne manquent pas une occasion d’encenser leur nouvelle chorégraph­e préférée. Aujourd’hui, The Palace, son école de danse pourtant nichée à l’autre bout du monde, à Auckland, est devenu un temple pour les danseurs du monde entier qui y affluent pour avoir la chance de recevoir l’enseigneme­nt de Parris. Comment Goebel a-t-elle converti toute une génération de danseurs à son rythme et créé sa légende ? Suivez le tempo.

UN BON PREQUEL

Parris Goebel, c’est avant tout un destin hors norme. En tout cas, c’est ce que Young Queen, son autobiogra­phie, veut absolument nous faire entrer dans le crâne. À 15 ans, son père la déscolaris­e pour qu’elle se consacre à sa passion, la danse. « Ce n’était pas une décision difficile à prendre, puisque l’école n’allait pas l’aider à accomplir ses rêves », nous explique Brett Goebel, qui est depuis devenu son manager. « À l’époque, se lancer dans une carrière de danseuse n’était pas très en vogue, d’autant que la Nouvelle-zélande offrait très peu d’opportunit­és dans ce domaine », appuie la chorégraph­e. Peu importe. Elle se forme seule devant son ordi, avec les clips de Missy Elliott ou Usher qui tournent en boucle sur Youtube. En 2007, elle décide de monter Request, une troupe hip-hop 100 % féminine. Une première du genre. Les neuf filles, dénichées dans le vivier de ses potes, se font connaître en gagnant deux médailles d’or aux Championna­ts du monde de hip-hop. En 2009, à l’âge où ses camarades préparent leurs cartons pour la fac, Parris ouvre son école de danse, The Palace, dans un ancien immeuble de bureaux situé au beau milieu d’une zone industriel­le au sud d’auckland. « C’était dur, mais je savais que c’était mon destin », affirme la maîtresse des lieux. La première année, elle n’a que huit élèves, en 2011, ils sont déjà une centaine. En 2015, tout bascule avec le carton autour du clip de Bieber. « J’avais travaillé dur et patienté, je méritais ce succès », écrit Parris Goebel. Comme dans Fame : sa seule monnaie, c’est la sueur.

LE CHARISME D’UN LEADER

Au Palace, les danseurs affluent des quatre coins du globe pour approcher leur idole. Comme Chabaudie, désormais chorégraph­e de la troupe Human’s à Bordeaux, qui y a suivi un cursus de six mois en 2015. De 18 h à 4 h du matin tous les jours : « C’est le show à fond, tout le monde est à 3000 %, se souvient celle qui l’avait découverte sur Youtube. Elle voulait qu’on lui donne notre personnali­té. On n’avait pas le droit d’être sur la réserve. » Restée proche de son gourou, la Française décrit une « grande bosseuse très généreuse », du genre à offrir une tournée de burgers à 5 h du matin. « Je me vois comme une leadeuse, une visionnair­e qui brise les règles et ouvre la voie », résume Parris Goebel au

“À L’ÂGE OÙ SES CAMARADES PRÉPARENT LEURS CARTONS POUR LA FAC, PARRIS OUVRE SON ÉCOLE DE DANSE”

téléphone avec une voix bien plus douce que ce que suggère son immense notoriété. Chaque année, elle sélectionn­e quarante adolescent­s pour former la troupe Megacrew, et les envoyer à divers concours nationaux ou internatio­naux. « La compétitio­n m’a permis de me rendre compte que je peux être une cheffe géniale. » Ses danseurs frôlent la ferveur : « C’est une enseignant­e acharnée, assure Althea Strydom, une de ses danseuses. Elle sait très bien ce dont ses élèves sont capables. C’est facile de se sentir puissante et féroce à ses côtés, car on se nourrit de sa passion. » Roar.

UN MANAGER HORS PÈRE

Pour être autorisé à interviewe­r la Young Queen, il faut s’accrocher. Brett Goebel, son père et manager, nous accorde à la dernière minute un entretien minuté à la seconde près. « Ses parents la suivent partout où elle va. Son père est très présent, il est la ligne directrice de tout », confirme Kate Chabaudie. Ses mémoires révèlent que Brett Goebel a été à l’initiative des premières étapes cruciales de la carrière de sa fille. Monter une troupe 100 % féminine ? C’était lui. Uploader leurs répétition­s sur Youtube ? Toujours lui. Mettre la main au porte-monnaie pour ouvrir sa propre école de danse ? Vous avez compris. « Notre père lui a transmis sa confiance en lui, estime Kendal, l’une des soeurs aînées de la chorégraph­e. Il sait ce dont il est capable, et quels sont ses points forts. Parris a hérité de ces qualités. » L’intéressé ne veut pas tirer la couverture à lui : « Je ne dirais pas que je l’ai poussée, plutôt que je l’ai encouragée et guidée. Ses rêves étaient suffisamme­nt hauts pour une ado de 15 ans. » C’est aussi lui qui négocie les contrats de Parris et lui verse un salaire. « Tant que je peux me payer à déjeuner et un sac Louis Vuitton par mois, ça me suffit », s’amuse la chorégraph­e dans la presse locale, toujours dithyrambi­que au sujet des Goebel.

UN EMPOWERMEN­T MUSCLÉ

Dans Young Queen, Parris Goebel raconte avoir croisé à 16 ans un juré misogyne, qui lui fait comprendre que dans l’univers du hip-hop, les femmes n’égaleront jamais les hommes (oui, ici aussi). « Ça m’a rendue furieuse, écrit-elle. J’ai tout de suite voulu lui prouver qu’il avait tort. » En créant Request, Parris Goebel voulait « se trouver des alliées ». Pari réussi. « Elle a monté une troupe dédiée à la valorisati­on des danseuses, dans une industrie dominée par les hommes », se réjouit Althea Strydom, qui a intégré le crew en 2010. La jeune kiwi impose un style agressif inspiré du dancehall, grimace, sort les dents en twerkant. « Elle a ajouté une attitude sur le visage des danseurs, pour que chacun exprime sa personnali­té, et ça a été beaucoup copié, analyse Aurélie Loisel, boss du Lax Studio, dans le 20e arrondisse­ment de Paris, où la Néo-zélandaise s’est rendue quelques fois. Ses chorégraph­ies sont pensées pour des effets d’ensemble, les danseurs sont très synchronis­és. Ils se déplacent en triangle ou diagonale, et visuelleme­nt, ça claque. » Le mantra de Parris Goebel ? Parvenir à synthétise­r le masculin et le féminin par le mouvement. « Je veux que les gens voient que je suis capable d’être féminine et masculine », insiste celle qui s’est rasé le crâne pendant plusieurs années. « C’est l’une des caractéris­tiques principale­s de ma manière de bouger. Je prends tout ce que j’ai appris, des femmes et des hommes, pour devenir qui je veux : un boss, une reine, une leadeuse. » Ado, elle était fascinée par « les mouvements d’hommes blancs ». « J’adorais la manière dont ils se déplaçaien­t, qui était très différente de celle des femmes. Je les ai étudiés pour les imiter et y puiser mon inspiratio­n. » Un style genderflui­d, dont elle a fait une philosophi­e de vie. « Beaucoup de contrats me seraient passés sous le nez si je n’avais pas montré en audition qu’une femme peut être tout aussi puissante et capable de danser qu’un homme », écrit-elle. Aujourd’hui, « les femmes ont pris les devants. Nous avons les plus gros contrats du milieu du divertisse­ment », nous affirme-t-elle.

UN ENTOURAGE TRIÉ SUR LE VOLET

Que serait une néo-gourou sans sa ruche de stars ? La liste de collaborat­eurs de Parris Goebel ressemble à une table d’honneur aux Grammy Awards : Nicki Minaj, Jennifer Lopez, Ariana Grande, Rihanna, Justin Bieber, Nicole Scherzinge­r ou Janet Jackson, pour ne citer qu’eux. « Son travail est si puissant – des filles qui dansent comme des garçons, qui donnent tout au sol, avec une énergie énorme », résume Jenny from the block dans Young Queen. En 2012, elle avait propulsé Parris Goebel chorégraph­e de sa tournée Love Again. Trois ans plus tard, Justin Bieber lui confie la mise en clips de tout son album Purpose, soit treize vidéos. La dernière à avoir craqué ? Cardi B. Le 27 mai, la rappeuse a partagé sur son Instagram une prestation de la Royal Family, l’une des six troupes du Palace, aux Championna­ts nationaux néo-zélandais. « Les meufs, vous avez trop de talent ! » Un succès dans l’air du temps pour Maxime Delcourt journalist­e spécialisé hip-hop, auteur de 2PAC :

Me Against the World (Le Mot et le reste) : « Il suffit d’écouter les dernières production­s de Beyoncé, Rihanna ou Drake pour comprendre que le dancehall s’est immiscé dans les codes de la pop music mondiale. Les collaborat­ions de plus en plus nombreuses de Parris Goebel ne sont pas un hasard, elles ajoutent une dimension tubesque. Elles symbolisen­t l’intérêt croissant des artistes pop pour ce genre musical, et la danse qui en découle. » Mais la France résiste encore : « On ne connaît pas ses spectacles car on est trop centré sur l’aspect technique, les battles », regrette Kate Chabaudie.

UN BRANDING DE LUXE

En quelques années, Parris Goebel est devenue une marque à part entière. En 2014, cette métisse née d’une mère polynésien­ne a été sacrée Jeune Néo-zélandaise de l’année. « Son parcours est hors-norme, appuie Maxime Delcourt. Se faire un nom – ou mieux, se bâtir une vraie personnali­té – lorsqu’on travaille avec de tel.le.s artistes, ce n’est pas forcément évident. » Pour offrir une publicité de choix au Palace, elle envoie régulièrem­ent The Royal Family, sa troupe d’élite, en tournée aux quatre coins du monde. « Chaque apprenti.e sait très bien qu’il y a un nom, une réputation à assumer, révèle Kate Chabaudie. Il faut être là. » Même avant l’explosion de Sorry, Parris Goebel pouvait difficilem­ent faire un pas en Nouvellezé­lande sans devoir accepter des selfies. « Beaucoup de gens sont attirés par elle, observe Althea Strydom. Ils voient très bien le vide qu’elle est en train de combler dans l’industrie de la danse. Tout le monde veut prendre le train en marche. » Pour fêter les 10 ans du Palace, Parris Goebel a lancé le 4 juin un concours instagram entre écoles et troupes de danse. Le prix ? Une visite de sa part, peu importe où se trouvent les gagnant.e.s. Une idée 100 % gourou.

“SYNTHÉTISE­R LE MASCULIN ET LE FÉMININ PAR LE MOUVEMENT”

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