Et laissez couler les rumeurs sur les solaires
Un jour, une fille a mis de la crème solaire et quand elle est rentrée dans l’eau, la mer est devenue écarlate. N’importe quoi ? Exactement.
Avant, le monde était simple, le clivage gauche-droite voulait encore dire quelque chose et l’équation « SPF = 0 coup de soleil = moins de chances de choper une maladie » résonnait dans votre bonne conscience de juillet à fin août. Et puis tout a changé, notamment quand le médecin Bertrand Kiefer, rédacteur en chef de la Revue
médicale suisse, a annoncé en mai dernier à la télévision que rien ne prouvait que les crèmes solaires diminuent le risque de mélanome : l’apparition de ce dernier ne serait apparemment pas reliée à l’exposition solaire. Pire, les producteurs de crèmes solaires bourreraient les formules de substances potentiellement dangereuses, qui se faufilent dans le sang, jusqu’à laisser des traces dans le lait maternel. Combustion spontanée collective en Romandie. Quant à vous, jusque-là OKLM dans votre tramway, vous êtes en train de vous promettre de jeter vos SPF à la poubelle et de rôtir comme un poulet de grain tout l’été : la peau nue, l’esprit libre, le coeur léger. Histoire de vous remettre les idées en place, voici six preuves que vous avez complètement tort.
LA RUMEUR : les crèmes solaires tuent les océans
En trente ans, 27 % des récifs coralliens ont sashay away. La décision d’hawaï de bannir les crèmes solaires de ses plages dès 2021 a vite mis les formules sur le banc des accusés. À raison d’1 litre de crème déversé par seconde dans l’océan (25 000 tonnes par an quand même), le lien de cause à effet est vite établi. Sauf que.
La vérité : le principal coupable, c’est le réchauffement climatique, responsable d’une surchauffe de l’eau. Dès que la température franchit les 31 C°, le corail blanchit. Un refroidissement pourrait lui permettre de se régénérer mais l’océan reste chaud bouillant, provoquant une extinction massive des récifs et des espèces marines qu’ils abritent. Deuxième responsable : la pollution qui entraîne un rejet de déchets industriels et une acidification de l’eau. Se suivent enfin : la pêche au cyanure ou à la dynamite et finalement certaines crèmes solaires, celles qui contiennent les filtres oyxbenzone et octinoxate, dont l’impact sur les coraux a été prouvé par une étude publiée dans la revue Archives of Environmental Contamination of Toxicology. C’est d’ailleurs ces formules qui sont visées par Hawaï.
Le réflexe : certains producteurs de protections solaires ajustent leur démarche environnementale en révisant leurs filtres mais également d’autres ingrédients. « Les écrans minéraux de petite taille, comme le dioxyde de titane, sédimentent au fond de la mer. On ne connaît pas leur impact sur l’environnement. Il en va de même pour les silicones, non biodégradables », explique Alexandre Couttet, chef de groupe monde Eau Thermale Avène. La marque s’engage auprès de Pur Projet (entreprise qui transplante du corail sur des structures artificielles pour restaurer l’écosystème marin) et réduit ses formules à deux fois moins de filtres par rapport à celles du marché.
LA RUMEUR : les formules contenant de la vitamine A provoquent le cancer de la peau
En 2010, une étude publiée par l’association américaine Environmental Working Group démontrait la présence d’ingrédients susceptibles d’augmenter le risque de cancer de la peau. En tête de gondole : le retinyl palmitate, un dérivé de vitamine A, présent dans 41 % des formules testées.
La vérité : en Europe, la vitamine A et ses dérivés sont interdits en tant que filtre UV mais pas en tant qu’ingrédients. Néanmoins, cette famille est photo-sensibilisante et donc vraiment à proscrire quand il y a un risque d’exposition au soleil. « Or, tous les laboratoires sont soumis à des tests drastiques auprès d’experts toxicologiques indépendants pour que les produits soient conformes aux réglementations en vigueur », rappelle Aurélie Guyoux, directrice scientifique chez Institut Esthederm. Il n’y a donc pas lieu de trouver de la vitamine A dans une formule solaire.
Le réflexe : ces actifs sont utilisés dans des soins anti-âge. Vérifiez que votre routine n’en contient pas pendant toute la période où vous serez au soleil.
LA RUMEUR : les SPF ne sont pas fiables
Les tests seraient biaisés. Avant la mise sur le marché, les formules sont testées in-vivo (sur des vraies personnes) : la peau nue est d’abord irradiée D’UVB jusqu’à la première rougeur, puis à nouveau alors que l’épiderme est protégé par 2 mg de crème par cm2. Le temps qu’il faut pour choper un coup de soleil avec et sans protection permet d’obtenir une valeur SPF. Vous couvrez-vous de 2 mg de crème sur la plage ? Non (2 mg, c’est énorme). Les SPF n’offriraient donc jamais le niveau de protection de leur claim.
La vérité : les associations qui remettent régulièrement en cause la validité des SPF testent les produits in-vitro : en laboratoire, sur des plaques en verre et mesurent le pouvoir d’absorption des UV. Une méthode qui n’est pas adaptée à toutes les formules, comme celles à base d’écrans minéraux qui réfléchissent les rayons au lieu de les absorber.
Le réflexe : « Le consommateur est responsable à 92 % de son SPF », rappelle Nathalie Broussard, directrice de la communication scientifique Shiseido. La quantité de produit appliquée, l’homogénéité de l’étalement, la durée et l’intensité de l’exposition influent sur l’efficacité de la crème. Pour rappel : une protection ad hoc, c’est une balle de tennis sur le corps et une balle de ping-pong sur le visage appliquées à l’intérieur, 15 minutes avant de sortir, puis réappliquées toutes les deux heures et après chaque baignade.
LA RUMEUR : les solaires, c’est bourré de perturbateurs endocriniens
C’est fort probable. Tout comme les aliments que vous mangez ou l’air que vous respirez.
La vérité : il n’existe pas vraiment de liste officielle des perturbateurs endocriniens. Et puis tout est question de dosage et d’associations : sous certains seuils, pas d’effets délétères, et des substances peuvent être tout à fait OK quand elles sont seules et former une catastrophe quand elles sont ensemble. Bref, c’est compliqué. Chaque année, l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail évalue des éléments pour en prouver les dangers, restreindre ou interdire leur utilisation. Parmi les filtres sur le gril : L’ethylhexyl methoxycinnamate (son autre petit nom : octyl methoxycinnamate) lorsqu’il est en surdose dans une formule. « C’est pourquoi le CSSC (Comité scientifique européen pour la sécurité du consommateur), L’ANSM (Agence nationale de la sécurité du médicament) et le NTP (National Toxicology Program) ont retenu un taux de 10 % pour une utilisation sécurisée, tenant compte de leur potentiel de pénétration cutanée », explique Aurélie Guyoux.
Le réflexe : vous pouvez retenir que s’ils ne sont pas encore condamnés, l’octocrylène et l’ethylhexyl salicylate sont suspectés. Ou alors vous pouvez télécharger l’application Clean Beauty et scanner les listes INCI sur les packs, ça vous dira tout sur les ingrédients utilisés.
LA RUMEUR : les formules sont toxiques
La faute aux nanoparticules (les PUF), ces éléments de synthèse ou d’origine naturelle, dont la taille inférieure à 100 nanomètres en ferait de vraies saletés tenaces, s’infiltrant dans le sang pour squatter l’organisme (on en retrouve même dans du lait maternel). Il y en a des milliers, dans les cosmétiques pour leur surface de couvrement imbattable mais aussi dans l’alimentation, les médicaments… Il y en a même dans les solaires bio (du zinc ou du dioxyde de titane). Vous flippez carrément là, hein ?
La vérité : « La rumeur populaire les accuse d’être toxiques pour la peau. Sauf qu’en cosmétique, elles ne passent pas au travers de la couche de cellules mortes qui jalonnent l’épiderme, comme l’a démontré une étude du journal scientifique Skin Pharmacy and
Physiology », explique Alain Géloën, conseiller scientifique pour Nivea. Tant que l’épiderme est sain. Sur une blessure ou un coup de soleil, là, elles peuvent se faufiler (bien) plus profondément, mais aucun rapport n’a encore démontré leur toxicité dans ces conditions. L’organisme européen Scientific Committee on Consumer Safety a d’ailleurs souligné que les nanoparticules TIO2, ZNO et MBBT sont considérées « sans danger dans le cadre d’un usage dans des produits cosmétiques ayant vocation à être appliqués directement sur une peau en bonne santé, intacte ou déjà abîmée par le soleil ». « En application topique, le risque pour la santé est quasi nul. En revanche, celui d’un mélanome provoqué par une exposition exagérée au soleil est bien réel », assène l’expert.
Le réflexe : pour les paranos : depuis 2013, la législation européenne impose de notifier leur présence sur chaque étiquette. Checkez L’INCI et si vous voyez NANO derrière un ingrédient, c’est que sa taille est infinitésimale.
LA RUMEUR : les solaires fragilisent la santé osseuse
La vitamine D, c’est ce qui permet d’assimiler le calcium et le phosphore et donc d’avoir des os solides, bien minéralisés. Elle est activée par les UVB. Si les SPF bloquent les UV, alors ils bloquent la vitamine D. Logique, non ? Non.
La vérité : la Commission européenne a interdit l’appellation « écran total » depuis juin 2008 car jamais une protection solaire ne sera capable de filtrer totalement les rayons UV. Un SPF 30 ne filtre que 96 % des UVB. Un SPF 50 uniquement 98 %. Ce qui laisse pile la dose nécessaire pour stimuler la synthèse de vitamine D. « De plus, sa production peut se faire toute l’année, pas seulement en été », rappelle Aurélie Guyoux.
Le réflexe : découvrez vos jambes ou vos bras 10 minutes, tous les deux jours, pour recharger vos batteries et revoyez votre alimentation en y intégrant des poissons gras comme le hareng, la sardine ou le saumon mais aussi des oeufs et du beurre. Ou de l’huile de foie de morue si vous ne connaissez pas la peur.
“TOUT EST QUESTION DE DOSAGE ET D’ASSOCIATIONS”