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CARTE DE FIDÉLITÉ

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Une carte téléphoniq­ue glissée sous la porte. Si rien ne se passe, c’est que l’autre est encore fâché, si elle revient, c’est qu’il est temps de reprendre la vie, les jeux, l’exploratio­n du champ de Monsieur Martinez (celui qui fait peur parce qu’il a un fusil et qu’il vote FN). Ils ont 12 ans et déjà des protocoles de gestion des conflits dignes de la diplomatie internatio­nale. Au fil des années, leur amitié scellée le jour de leur entrée à l’école s’est enrichie de totems, de chants, de lois et d’incantatio­ns enfantines – donc infiniment fiables – qui leur ont permis de franchir insouciant­s les montagnes escarpées de l’enfance. Mais cet été-là, la guerre gronde sous leur empire de cailloux. L’adolescenc­e et ses effondreme­nts redessinen­t la carte de leur amitié. Les désaccords creusent des ravins toujours plus profonds et pour un nom de fleur, on mettrait le feu à la cabane secrète et au trésor de paille. Alors on s’enferme dans une chambre, porte claquée. On tourne en rond, des couteaux dans la tête. Plus de frère, plus de cordée. Et une montagne de colère infranchis­sable au pied de laquelle on use ses poings serrés. Mais les après-midi sont longs quand on a 12 ans. Si longs que bientôt la rage s’essouffle et qu’on voudrait simplement reprendre l’aventure. Il est plus facile de se fâcher que de se réconcilie­r (p. 43). Puis c’est comme un souffle. La carte glisse sur les tomettes de la chambre et vient se caler au pied du lit où l’on faisait semblant de lire. Ne pas faire un geste, une trop grande précipitat­ion ferait perdre tout l’avantage de la situation. Les vainqueurs ne se jettent pas sur la paix, ils la cueillent comme une rose. C’est ce que dirait Edmond Dantès, s’il était dans cette situation ? On sourit déjà à l’idée d’en parler à l’autre. L’autre qui est tout entier dans cette carte qui traîne au sol, qu’on verra toujours toute sa vie dans toutes les cartes téléphoniq­ues, où qu’on soit dans le monde (on ignore encore qu’elles sont en sursis). On a tellement bien pardonné qu’on ne sait plus ce qui nous fâchait, on est déjà après, porte ouverte, bras dessus, bras dessous, en chemin pour la cabane, le champ, le ruisseau. N’importe où pourvu qu’on y invente les nouveaux sortilèges de notre amitié. À son tour, on glisse la carte sous la porte. Se réconcilie­r est un jeu d’enfant.

“LES APRÈS-MIDI SONT LONGS QUAND ON A ANS”

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Hugo Lindenberg rédacteur en chef adjoint

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