Stylist

« Je ne suis pas un X-men. »

Vous avez l’habitude d’être sur un millier de projets en même temps ? Préparez-vous à n’en choisir qu’un : le Y/project de Glenn Martens.

- par Antoine Leclerc-mougne photograph­e Jean-françois Robert

Un seul projet à choisir : celui de Glenn Martens

D epuis quelques saisons à Paris, Y/project est sur toutes les lèvres. La marque, qui a gagné le prix de L’ANDAM 2017 (l’oscar de la sape), s’est peu à peu positionné­e comme le leader d’une nouvelle génération de jeunes créateurs avant-garde (GMBH, Marine Serre, Afterhomew­ork-paris, Vetements). Derrière le succès de ce petit label qui habille aujourd’hui Rihanna et collabore avec des marques comme Diesel ou UGG, on trouve Glenn Martens, 35 ans. Originaire de Belgique, le designer, architecte de formation, s’est essayé à la mode comme Lindsay Lohan à l’organisati­on de soirées dans les clubs de Mykonos : sur un coup de tête. Après avoir intégré l’académie royale des Beaux-arts d’anvers, sorte de Harvard de l’industrie de la mode, Glenn est repéré par Jean Paul Gaultier avant d’aller travailler chez Y/project, fondé en 2010 par le designer Yohan Serfaty, décédé en 2013. C’est à ce moment qu’il fait de Y/project la maison qu’elle est aujourd’hui : des vêtements pensés à la fois pour le vestiaire masculin et féminin, des coupes qui défient les normes (manches allongées, volumes oversize, coutures décalées ou déplacées) et des styles aussi multiples qu’une playlist créée par un algorithme Spotify. Normal, Glenn, passionné d’histoire et d’architectu­re gothique comme celle de sa ville natale de Bruges, n’a pas hésité à mélanger ces références en y intégrant son amour pour les années 90, le sportswear et le tailoring. Avec pour seul mot d’ordre : la liberté, « absolue et fondamenta­le ». Du coup, on lui a demandé de réagir à huit clichés de la mode pour nous prouver qu’il était bien capable de s’affranchir des règles (spoiler : il a réussi).

CLICHÉ N°1 : UNE MARQUE DOIT FORCÉMENT ÊTRE INCARNÉE

« On peut tout à fait s’enlever ce concept de la tête. Pourquoi vouloir incarner une marque ? Chez Y/project, on ne cherche pas à créer un “army effect”, comme chez Balmain, par exemple, qui communique sur la notion d’appartenan­ce à un groupe uniforme avec son #Balmainarm­y. On n’a pas envie non plus d’avoir de muse ou d’égérie. Y/project est multiple et chaque personne est multiple. Il y a quelques saisons, j’ai shooté à Bruges une campagne avec des personnes avec qui j’ai grandi. L’année dernière, j’ai fait poser toute mon équipe devant l’objectif de la nouvelle campagne. Mon idée, c’est de montrer et de remercier les gens qui m’ont porté. »

CLICHÉ N°2 : UNE MARQUE = UNE CIBLE

«Y/project s’amuse à réinterpré­ter les archétypes: la pin-up, la bourgeoise, le clubber berlinois, l’hôtesse de l’air… C’est très éclectique. J’ai toujours dit que la marque pouvait autant être portée par un fan de Rick Owens que par mon grand-père ou mon père qui est juge. Les pièces peuvent même, pour la plupart, être arborées et par l’homme et par la femme. Si aujourd’hui beaucoup de labels communique­nt sur le genderflui­d, c’est quelque chose qu’on a développé très tôt et presque par hasard. Quand je suis arrivé, il y a quatre ans, la marque ne faisait que de l’homme et on m’a demandé de créer une ligne féminine. On était une petite équipe avec un petit budget. Il a fallu trouver une solution et l’idée a été naturellem­ent de développer des pièces qui pouvaient voyager d’un vestiaire à l’autre. Mais au-delà du genderflui­d, je veux vraiment que notre vêtement s’adapte à

toutes les personnes et à toutes les situations. En restant fidèle à cette idée, je peux me permettre de jouer avec le denim, le tailoring, la corseterie, le streetwear tout en reflétant mon quotidien et mon entourage. Paris est un vrai melting-pot avec des gens de différente­s origines et catégories sociales. Le vêtement doit célébrer cette richesse, où tout le monde se côtoie et se mélange.»

CLICHÉ N°3 : UN CRÉATEUR DOIT FORCÉMENT ÊTRE ISOLÉ

« La mode est un secteur très saturé aujourd’hui, beaucoup plus qu’il y a vingt ans. Les demandes sont plus importante­s. Il faut être toujours plus rapide, toujours plus innovant, plus créatif. C’est impossible pour un créateur d’affirmer qu’il fait tout, tout seul et qu’il dessine quatre collection­s par an. L’époque du créateur isolé dans sa tour d’argent est révolue. Celui qui dit le contraire est soit un gros menteur schizophrè­ne, soit un génie qui sort de X-men. Je crois aux X-men et aux mutants mais je n’en suis pas un. Je travaille en équipe. C’est essentiel d’avoir des opinions différente­s ; j’essaye d’être le plus flexible possible et le plus ouvert aux propositio­ns. Rester dans sa bulle et dans son petit confort, ça ne produit rien de bon. »

CLICHÉ N°4 : LA MODE DOIT TIRER LA GUEULE ET SE PRENDRE AU SÉRIEUX

« C’est très important de s’amuser au travail et quand il s’agit de la mode que je propose, ça doit se ressentir dans le vêtement. Chez Y/project,

beaucoup de nos pièces sont changeante­s donc, par définition, on peut s’amuser avec. Comme ces robes dont le décolleté peut être porté devant ou derrière. Ça permet de rendre la vie plus belle, moins morose du moins. Globalemen­t, je crois que la mode a un peu oublié ce que c’était que le fun. Presque tout le milieu renvoie cette impression. Beaucoup de défilés sont devenus des grandes messes silencieus­es et trop raisonnabl­es. C’est le cas aussi dans les études. Quand j’ai commencé à l’école de mode d’anvers, je me suis très vite pris au sérieux. On nous inculque un esthétisme très conceptuel et réfléchi, presque snob ; alors apporter un peu d’humour à travers le vêtement, ça fait du bien. Aujourd’hui encore, j’ai beaucoup d’amis et d’anciens camarades qui s’étonnent, voire se sentent offusqués du second degré affiché par Y/project. Après, on est d’accord. La mode reste un business très sérieux, une industrie avec des enjeux financiers considérab­les. Mais justement, ça me pousse à décompress­er. »

CLICHÉ N°5 : LA MODE DOIT FORCÉMENT TRANSMETTR­E LE BON GOÛT

« Il faut pousser les limites, c’est primordial ! J’ai très peu de tabous dans la conception de mes collection­s. Pour moi, la marque pourrait être la symbiose parfaite du sexy italien, du trash berlinois, du posh british et du chic français. Ça peut être un peu déroutant pour certaines personnes qui voient nos silhouette­s et pensent que ce n’est pas très beau ou harmonieux. L’enjeu

“LES DÉFILÉS SONT TROP RAISONNABL­ES”

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