Partir seul.e, c'est casquer pour deux
Vous aviez prévu de partir seul.e en vacances ? On espère pour vous que vous avez anticipé dans votre budget de raquer pour votre mec/meuf imaginaire.
Excursion dans le tourisme solo
Avant, quand on disait vacances, on pensait congés payés, grandes tribus qui s’entassent dans les clubs de vacances, nombreux comme une équipe de foot, voitures à ras du sol (vous l’avez ?). C’était avant que le trip en solo s’impose comme le Saint Graal du voyage. En quelques années à peine, prendre des vacances seul.e est passé du stade ultime de la lose à une action aussi cool que Cardi B jetant son escarpin au visage de Nicki Minaj. Le Lonely Planet a publié, en janvier 2018, son premier
Solo Travel Handbook, des études de la British Psychological Society assurent que les voyageur.euse.s solos seraient plus intelligent.e.s que les autres et, dans certains pays, l’acte devient même militant comme le montre le hashtag #viajosolo (je voyage seule, pour les LV1 allemand au premier rang). Mais alors qu’une personne sur quatre a décidé de prendre le large toute seule en 2018, selon une étude de la firme MMGY Global, et que les trois autres sont en train d’y réfléchir, comme le montre l’explosion des requêtes Google à ce sujet (plus 40 % entre 2015 et 2017), le.la voyageur.euse solo continue de se faire avoir. On vous explique pourquoi l’industrie touristique refuse d’entendre que de temps en temps on aimerait bien se la jouer perso.
IL N’EST PAS RENTABLE
Vous êtes célibataire ou vous apprêtez à entrer dans une détox de Tinder ? Cela pourrait vous coûter cher. 2314 € (oui, c’est très précis) à en croire le magazine britannique Good Housekeeping. Sur l’addition : les charges supplémentaires, les assurances, l’abonnement Netflix et les vacances. Selon leurs calculs, le voyage est le pôle pour lesquels les personnes en couple et les célibataires ont le plus gros écart de budget. La note monte vite : un taxi pour l’aéroport payé tout.e seul.e, une chambre double qu’on casque plein pot, et surtout, le fameux « supplément single » souvent appliqué par l’hotellerie. Le concept ? Quand vous occupez une chambre prévue pour deux, le coût de préparation de votre chambre, le nettoyage, les produits mis à dispos sont les mêmes que vous soyez un.e ou deux. Pire encore, vous occupez seul.e une superficie qui pourrait être vendue pour un couple. Vous représentez donc un manque à gagner pour l’hôtel ou le tour-operator qui, pour s’y retrouver, impose des suppléments pouvant aller de 10 à 100 % du prix du voyage à ses client.e.s qui viennent solo. Une discrimination critiquée par l’américaine Bella depaulo dans son ouvrage
Singlism (Double Door Books, 2011) qui toucherait dans de nombreux domaines les personnes célibataires. Et on ne vous parle même pas des barbecues coréens où vous serez obligé.e de commander deux menus même si personne ne partage votre table (true story). Dans un grand élan égalitariste, des membres de l’industrie touristique, le site de bons plans de voyage Travelzoo en tête de cortège, ont lancé en septembre dernier la campagne #Soloseptember visant à faire tomber ces suppléments exorbitants. « Le tourisme reste un produit de consommation comme les autres, rappelle Bertrand Réau, sociologue du tourisme. Il répond à une stratification de la clientèle. Dans ce cas précis, il s’agit d’une stratification des statuts familiaux. »
ON VEUT LE CASER
L’industrie touristique n’a pas encore fait sa révolution sexuelle et reste très attachée à ses petits couples et ses familles. Que des gens puissent vouloir se lancer dans un tête-à-tête avec eux-mêmes, les tours-opérators et agences de voyages semblent avoir encore du mal à le comprendre. Résultat, la panoplie d’offres adressée au solo n’a souvent qu’un seul objectif : qu’il.elle ne le reste pas très longtemps. Comment ? En vous proposant, par exemple, de partir pour un voyage entre potes avec des gens qui ne le sont pas (vos potes). Depuis quelques années, le nombre d’entreprises spécialisées dans le voyage « women only » a explosé (+230 % aux États-unis depuis 2010 selon le site Gutsy Traveler, spécialiste des voyages des femmes). En France, Copines de Voyage, lancé en 2016, a réussi à créer à grand renfort de publications sponso sur les réseaux une communauté de 500 000 personnes sur Facebook pour envoyer des groupes de femmes qui ne se connaissent pas en vacances dans les Galapagos. Si philosophiquement vous avez un problème avec la non-mixité, votre autre option se situe du côté de l’amourette de vacances, avec les offres de voyages pour célibataires qui ne veulent pas le rester. C’était le projet de Meetic qui, après ses ateliers cuisine, lançait en 2016 ses premières vacances-clubs entre célibataires. Pour 700 € tout inclus, vous partiez en solo sur l’île de Naxos, histoire de revenir en duo à Charles-de-gaulle une semaine plus tard. Depuis, d’autres agences ont suivi le filon. Coviago, par exemple, organise des voyages de rencontre pour célibataires, selon les affinités astrales (personne n’a envie de voyager avec un Lion qui va photo-bomber vos clichés de vacances). Prochain départ, un séjour nature de 10 nuits en Patagonie chilienne pour 2420 € (c’est les Taureau qui vont être contents). Si la rétrogradation de Vénus ne vous dit trop rien, The One propose également des séjours pour célibataires réunis autour de passions communes. Kung-fu, calligraphie, sensations fortes… Au moment où l’on vous parle, un groupe fait connaissance à Marrakech sur un green de golf, encadré par un love coach. Un peu comme dans
Love Island, mais sans les caméras.
LEAVE BRITNEY ALONE
Et pour les solos qui sont bien décidé.e.s à le rester ? Morne plaine. Très timidement, les gros noms du tourisme sont en train de peaufiner leurs offres pour s’adresser à cette nouvelle clientèle qui n’a longtemps été qu’une niche – aujourd’hui, 35 % des ménages des pays développés sont constitués d’une personne seule – et qui pourrait se révéler intéressante financièrement : parce qu’ils n’ont pas les congés de la Zone C à gérer, ni les semaines de vacances en commun à négocier, les solos voyageraient jusqu’à six fois et plus dans l’année, contre deux à trois fois
“L’INDUSTRIE TOURISTIQUE N’A PAS ENCORE FAIT SA RÉVOLUTION SEXUELLE ET RESTE TRÈS ATTACHÉE À SES PETITS COUPLES”
pour les couples et les familles. Résultat, le Club Med propose maintenant une offre solo sur certains villages à quelques périodes de l’année. Thomas Cook et Voyageurs du Monde offrent désormais des séjours individuels en veillant à limiter les surcoûts. Du côté des croisiéristes, qui ont longtemps été réputés pour être les plus radicaux en matière de supplément single (sur un paquebot, le mètre carré vaut de l’or), c’est la compagnie norvégienne Norwegian Cruise qui a été la première, en 2010, à lancer des « studios » pour les voyageur.euse.s seul.e.s, en leur assurant même un accès privatif à certaines zones du navire (i.e sans gosses qui courent partout). « Progressivement, l’industrie touristique commence à prendre en compte les attentes des voyageur.euse.s solos et à réfléchir à de nouvelles manières de les accueillir », poursuit Bertrand Réau. À tel point que certains voyagistes ont décidé d’en faire un argument de vente. Boudant les hôtels traditionnels et leurs lits king sizes aux dimensions ridicules dans lesquels elles.ils se perdaient au milieu des draps, les solos ont boosté le renouveau des hostels (non, on ne se tape pas un trip vieux français, c’est le nom donné aux auberges de jeunesse). Pour la petite histoire, ces établissements, nés vers 1910 en Allemagne, ont été conçus à l’origine pour accueillir les écolier.ère.s en classe verte. Une idée qui se répand dans toute l’europe dans les 30’s avant que les auberges soient prises d’assaut par les backpackers des années 60. Mais avec l’explosion du voyage solo, c’est une toute nouvelle offre d’hostels haut de gamme qui s’installe aujourd’hui dans les grandes villes. « Les voyageur. euse.s solo font partie intégrante de notre concept, assure Franck Delafon, fondateur des hôtels HO36 qui ouvrent en décembre prochain leur cinquième adresse à la Plagne. Les auberges ont encore cette image désuète, avec des dortoirs peu accueillants comme dans les années 60. Ce que nous proposons, c’est de pouvoir s’offrir, seul.e, la possibilité de voyager en plein centre-ville ou dans un hôtel aux pieds des pistes, avec des tarifs aussi accessibles en dortoir qu’en chambre privée. »* Des safe-places où se rendre seul.e sans que ça vous coûte un bras, et dans lesquels vous pourrez, en plus, trouver des spots où avoir l’air très occupé.e. Des grandes tables communales, des hubs avec ordinateurs, des canapés où vous affaler le crâne dans un casque. Histoire de bien faire comprendre que, non, vraiment, vous n’êtes pas là pour vous faire des potes.
* Comptez 69 € pour une nuit en chambre privée dans le centre-ville. 99 € au pied des pistes. Et 25 € pour une place dans un dortoir.