Culturist
Des idées pour se coucher moins bête
Puisque personne ne nous entend crier dans l’espace, autant y faire du BDSM.
Les cosmonautes IRL ont tellement la tête sur les épaules que ça en devient parfois monstrueux : en parallèle de leur bac +19, ils ont une fâcheuse tendance à faire aussi du bricolage, du triathlon, de la photo argentique, de l’escalade et un peu de saxophone. Ces hobbies, cette santé, c’est leur hygiène personnelle : une manière de se garder de toute déviance, car dans une carlingue au milieu du vide, il s’agit de ne pas vriller. Les pulsions, le sexe, la folie : voilà le grand tabou de l’espace, et le grand sujet de High Life, premier film de SF de Claire Denis. Le quotidien interstellaire d’un équipage composé non pas de scientifiques poli.e.s et parfait.e.s mais de criminell.e.s, soumis.e.s à une expérience consistant en un aller simple vers un trou noir. Au programme sur la route : insémination artificielle, tuerie généralisée et body horror. Denis a emmené dans les étoiles la violence pathologique de Trouble Every Day, le soupçon incestueux des Salauds, bref, tout le « sale petit secret » de son cinéma, ses sexualités morbides et inavouables. Lo-fi, épuré, High Life ne ressemble à rien de ce qu’on a déjà vu dans l’espace : ni sa gravité (moins un flottement qu’une inertie étrangement lourde), ni ses espaces (le vaisseau est un cube, son intérieur un couloir pénitentiaire), ni ses sons (un silence blanc, kubrickien, nous étrangle plus fermement que le plus terrifiant des drones). Ni même tout simplement ses situations : en ouverture, une image à la fois banale et tellement inhabituelle en SF qu’elle devient un vertige – celle d’un bébé dans son parc, protégé par les soins tendres de son papa, Rob Pattinson. Un flash de tendresse auquel le film reviendra régulièrement, comme pour passer la pilule de tout son delirium masochiste et son hécatombe sexuelle. Et une manière de prolonger aussi First Man, où l’on apprenait récemment que Neil Armstrong aurait bien troqué la Lune pour tenir dans ses bras son enfant, décédé quelques années plus tôt. Ici l’enfant est bien là, sa présence est bouleversante, et on voit même ses premiers pas (les vrais) car un petit pas, là-haut, c’est lourd de sens, hein Neil ? Et c’est pas la perfection lisse de Thomas Pesquet qui nous fera ressentir tout ça. T.R. High Life de Claire Denis avec Robert Pattinson, Juliette Binoche, 1 h 50.