Des idées pour se coucher moins bête
Didier Eribon au Théâtre de la Ville (Retour à Reims),
Édouard Louis à la Colline
(Qui a tué mon père) : les scènes françaises vivent leur grand moment de sociologie en adaptant les héritiers auto-déclarés de Bourdieu. Il faut remonter légèrement dans le temps et quitter Paris pour en prendre la mesure. Moins médiatisées, les adaptations des textes d’annie Ernaux ont ouvert le bal de la saison 2018/19. Ainsi Cécile Backès a-t-elle monté coup sur coup Mémoire de fille et L’autre Fille, emmenés sur les routes du Nord à la rencontre d’un public qui n’oserait peut-être pas franchir les portes de l’institution, de peur que rien, dans ces lieux, ne s’adresse à lui. Le théâtre chercherait-il à se racheter une conscience politique, lui qui ne cesse de rappeler sa mission de service public sans toujours s’interroger sur l’homogénéité sociale de ses spectateur.rice.s ? Lorsqu’il se saisit de Retour à Reims (qui vient de se terminer au Théâtre de la Ville), c’est à sa mère que Thomas Ostermeier pense, elle qu’il n’a jamais invitée à assister aux premières de ses spectacles parce qu’il en avait honte – c’est le fil directeur de toute cette vague : une honte de transfuge de classe à démêler. La question sociale est aussi intime. C’est sur la vision d’un père abîmé par la vie que s’ouvre Qui a tué mon père d’édouard Louis. Dialogue à une voix – puisque les mécanismes de domination privent certains de leurs mots – l’adaptation se fera d’une seule présence au plateau, celle de Stanislas Nordey. Dans cette confrontation entre le paternel réduit au silence et le fils qui, voulant prendre sa défense, doit parler à sa place, se joue une double violence insoluble. Si le théâtre français vit son grand moment de sociologie, c’est peut-être aussi parce que ces textes doivent passer par l’épreuve de la chair et de la voix pour que l’on comprenne que la politique n’est, comme l’écrit Édouard Louis, rien d’autre que « la distinction entre des populations à la vie soutenue, encouragée, protégée, et des populations exposées à la mort, à la persécution, au meurtre ». A.J.-C. Qui a tué mon père d’édouard Louis, mise en scène de Stanislas Nordey, du 12 mars au 3 avril au Théâtre de la Colline, Paris-20e.