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LES GAYS RÉPUBLICAI­NS SONT-ILS LES MEILLEURS ALLIÉS DE TRUMP ?

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En décembre, l’auteur Chad Felix Greene publiait sur le site conservate­ur The Federalist une tribune intitulée The Stigma Against My Conservati­ve Politics Is Worse Than The Stigma Of Being Gay (Les préjugés contre mes opinions conservatr­ices sont pires que les préjugés sur le fait d’être homo). Dans l’article, il expliquait sa « difficulté » à être un gay ouvertemen­t républicai­n. Greene n’est pas le seul à tenir ce discours : de plus en plus d’homosexuel­s pro-trump utilisent leur sexualité pour se poser en victimes des méchants progressis­tes qui leur refuseraie­nt leur liberté d’opinion. Lors des derniers Grammys, début février, le chanteur Ricky Rebel (ouvertemen­t gay) se pointait, lui, sur le tapis rouge vêtu d’une veste au message clair Keep America Great - Trump 2020. Cette rhétorique est-elle nouvelle, et est-elle même efficace ? On a demandé à Eric Fassin, sociologue et co-directeur du départemen­t d’études de genre à l’université Paris 8 de nous éclairer sur la question.

C’est si difficile que ça d’être gay et républicai­n ?

Certes, les gays sont moins nombreux chez les républicai­ns que chez les démocrates. Cela rend-il leur vie plus difficile ? Peut-être parmi les gays, mais pas dans leur camp. C’est comme pour les Noirs conservate­urs : ils font carrière plus vite chez les républicai­ns. Non seulement leur rareté suscite la curiosité, mais les mettre en avant permet aux conservate­urs de se défendre contre les accusation­s de racisme – comme d’homophobie. Dans ce cas, il peut y avoir des bénéfices à être le « Noir (ou le gay) de service ». Le phénomène n’est pas nouveau : Andrew Sullivan a été nommé avant 30 ans rédacteur en chef du magazine The New Republic (à ses origines

plutôt progressis­te, ndlr) ; se présenter comme homosexuel, catholique et conservate­ur n’a pas été un obstacle, bien au contraire. Il a d’ailleurs publié en 1989 un plaidoyer influent pour le mariage homosexuel, au nom du conservati­sme. Il y a une niche médiatique pour les gays conservate­urs.

Comment expliquer la position victimaire que prennent aujourd’hui ces hommes gays et conservate­urs pour faire passer leurs idées ?

Les conservate­urs accusent les minorités de se complaire dans une posture victimaire. À l’occasion d’un canular médiatisé, dirigé contre les études minoritair­es (sur les discrimina­tions de genre, de sexualité, de race), ils ont lancé l’expression « grievance studies » ou « études plaintives ». L’idée, c’est que les minorités se plaignent tout le temps. Mais ces mêmes conservate­urs nous expliquent que les hommes sont victimes du féminisme, les Blancs du racisme anti-blanc… Autrement dit, les conservate­urs ne dénoncent le victimisme (des autres) que pour mieux revendique­r d’être les vraies victimes (de la gauche) : leur critique idéologiqu­e n’est donc qu’une posture rhétorique.

Et ça marche ?

Il n’y a rien de plus politiquem­ent correct que la dénonciati­on du politiquem­ent correct : on peut dire des horreurs en revendiqua­nt le courage de briser des tabous… alors qu’on ne fait que reprendre des clichés éculés. L’avantage (politique), quand ce sont des Noirs ou des gays conservate­urs, ou encore des femmes antifémini­stes, c’est qu’on n’ose pas les traiter de racistes, d’homophobes, ou de sexistes. Clarence Thomas, juge à la Cour suprême, s’est toujours opposé aux revendicat­ions noires des droits civiques ; mais comme il est noir, on ne peut pas le taxer de racisme. En France, si un musulman critique les musulmans, pas facile de le taxer d’islamophob­ie.

Pourquoi certains de ces hommes gays républicai­ns vont-ils jusqu’à soutenir un président ouvertemen­t anti-lgbt? Ils pourraient après tout être conservate­urs sans forcément approuver les idées de Trump.

Les gays ne sont pas seulement gays. Comme tout le monde, leur vote est déterminé par des logiques multiples : par exemple, contre les Mexicains, ou les musulmans. Quand on est un homosexuel conservate­ur, on peut se rassurer en pensant qu’après l’attaque homophobe d’orlando, Trump s’est déclaré le meilleur ami des gays : n’est-il pas l’ennemi des musulmans ? Cela vaut aussi pour les femmes qui ont voté pour un président qui affiche son sexisme virulent.

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RICKY REBEL

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