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Pourquoi (on pense que) les serial killers portent tou.te.s les mêmes lunettes.
Le regard assassin Pourquoi (on pense que) les serial killers portent tou.te.s les mêmes lunettes À Youtuber avec précaution Adios la fast-fashion, Youtube se prend désormais de passion pour les fringues de luxe
Ces derniers temps, les séries, films et documentaires sur les serial killers sont devenus aussi communs qu’un banal scandale sexo-politicomédiatique en pleine période électorale (coucou Benjamin Griveaux). Cela fait déjà quelque temps qu’on vous bombarde de séries fictions criminelles – You, Mindhunter, Killing Eve – ou de documentaires qui reviennent sur les plus grandes affaires de serial killers – Inside The Criminal Mind, Killer Ratings, Conversations With A Killer: The Ted Bundy Tapes, I Am a Killer. Bref, les histoires de serial killers semblent aussi inépuisables que les spin-off des Anges et des Marseillais. Fin novembre, c’est la chaîne de télévision britannique ITV qui a dévoilé en grande pompe la toute première photo promo de sa prochaine série Des qui sera diffusée à l’automne 2020: un show consacré au fameux tueur en série anglais Dennis Nilsen. S’il est devenu tristement célèbre pour avoir tué une quinzaine de personnes au nord de Londres dans les années 70, Dennis est aussi connu pour avoir arboré des grandes lunettes de vue à double foyer, un accessoire qui lui a permis de se forger un look signature à l’image de tou.te.s ses autres confrères et consoeurs. Car oui, à y regarder de plus près, il semblerait bien que tou.te.s les serial killers de la terre se soient passé le mot afin de porter une paire de lunettes rétro dont la forme approche souvent celle du classique modèle aviator. Vous en doutez? Réfléchissez bien. Francis Heaulme ? Lunettes. Dennis Rader aka «BTK» et Edmund Kemper dépeints dans la série Mindhunter? Lunettes. Rosemary West, serial killer britannique à qui Netflix va consacrer sa prochaine saison de Making a Monster? Lunettes. Le Zodiac Killer aux USA? Lunettes. Chez Stylist, cette liste nous a fait nous demander pourquoi les serial killers s’étaient tou.te.s mis.es à porter les mêmes lunettes. Spoiler ? Les points de vue divergent.
possibles tueur.euse.s en série, de futur.e.s agresseurs ou des leaders de secte en devenir. Passé plutôt inaperçu lors de sa publication, le sketch cumule désormais plus de 1,2 million de vues sur Youtube, preuve que l’idée même des lunettes comme signe de reconnaissance des serial killers a fait son chemin ces dernières années, notamment grâce aux séries et représentations de plus en plus nombreuses des grand.e.s tueur.euse.s en série. Aujourd’hui, si vous tapez « serial killer glasses » sur Amazon, vous serez directement dirigé.e vers le modèle « So In Luxe Aviator Retro Fashion Glasses », désormais en rupture de stock (peu rassurant). Le terme « Serial Killer Glasses » est devenu un hashtag populaire sur Twitter, Instagram ou Reddit où il est utilisé comme une sorte de running gag dès que quelqu’un poste une photo avec des lunettes qui le.la font ressembler au.à la prochain.e meurtrier.ère sur le point de défrayer la chronique. Mais, s’il y a bien un tueur en série à qui attribuer la paternité de la tendance des lunettes de serial killers, c’est Jeffrey Dahmer (cannibale nécrophile américain coupable d’avoir tué dix-sept hommes et jeunes garçons dans les 70's), comme nous l’explique Tori Telfer, autrice de Lady Killers: Deadly Women Throughout History (éd. Harper Perennial, 2017) : « Si les lunettes de tueur.euse.s en série peuvent prendre différentes formes, ce sont les lunettes de Jeffrey Dahmer qui ont assurément défini le look du serial killer. Après que le monde entier a vu cette paire d’aviator aux verres légèrement fumés sur son nez, le style a gagné en notoriété.» Au point qu’il infuse toute la pop culture. « De nos jours, c’est une sorte de fashion statement ironique, ajoute Tori Telfer. C’est un look qui embrasse le concept du “sexy nerd” et qu’on peut trouver autant sur Tumblr et Pinterest que sur les visages de Kendall Jenner, Bella Hadid ou Beyoncé.»
MISE AU POINT
L’esthétique des « serial killers glasses » est tellement généralisée qu’elle a même droit à son entrée dans le fameux Urban Dictionary qui les qualifie comme des « lunettes aux montures lourdes ou sévères oscillant entre quelque chose de branché et de louche ». Mais pour saisir pourquoi ce modèle de lunettes a définitivement été associé aux tueur.euse.s en série, il faut aller regarder du côté des statistiques et faire un petit calcul pour comprendre ce qui s’apparente davantage à un concours de circonstances qu’à une obsession stylistique. Premier constat : selon une étude du Vision Council of America, environ 75 % de la population adulte mondiale utilisent des produits de correction de la vision et parmi ces 75 %, 64 % portent des lunettes. « En ce qui concerne la vue, les serial killers n’échappent pas
à la règle, analyse Tori Telfer. Mais parce qu’ils.elles ont souvent été examiné.e.s et scruté.e.s de manière minutieuse et exhaustive, voire presque fétichiste par une bonne partie des médias, leurs lunettes sont définitivement devenues partie intégrante de l’iconographie du serial killer.» Bingo! L’autre facteur à prendre en compte, c’est l’augmentation soudaine des tueur.euse.s en série. Selon les bases de données internationales sur les serial killers tenues et collectées par l’université de Radford (État de Virginie, USA), un peu partout dans le monde durant le dernier quart du XXE siècle, le nombre de serial killers a proliféré, passant de 293 cas recensés dans les années 1960 à 765 cas dans les années 70, montant jusqu’à 985 cas pour les années 80 et 991 cas pour les années 90 avant de brutalement retomber à 230 dans les années 2010 (rep’ à ça Coronavirus). La proportion de meurtres perpétrés par des tueur.euse.s en série a donc bel et bien explosé dans les 70’s et les 80’s, soit les décennies où le modèle de lunettes aviator était aussi populaire que Frank Michael l’est aujourd’hui dans les maisons de retraite de la région PACA. Pas étonnant donc qu’autant de mugshots de criminel.le.s aient à l’époque immortalisé cet accessoire et le regard glaçant qui va avec. Car c’est bien à partir de la fin des 70’s, lorsque le FBI a intégré des techniques issues de la science du comportement dans ses enquêtes et développé le métier de profiler, le tout dans le but de faire face à l’augmentation démesurée et inédite des meurtres en série, que les lunettes de style aviator sont devenues les synonymes du visage du mal. Si bien que, même si certain.e.s meurtrier.ère.s ne portaient pas du tout de lunettes, on les leur a attribuées à tort.
VISION TROUBLE
Dans les années 60 et 70, un tueur en série surnommée Le Tueur du Zodiaque a terrorisé le nord de la Californie en tuant au moins cinq personnes et en envoyant à la presse une série de lettres et cryptogrammes. Encore non identifié à ce jour, on ne sait pas s’il portait des lunettes ou non. En 1969, deux témoins l’ayant aperçu établissent auprès de la police de San Francisco un portrait-robot où le meurtrier porte des lunettes. Problème : d’autres témoins l’ayant vu un autre jour n’ont jamais fait état des lunettes. Le mystère reste donc entier mais en dit long sur notre propension à dissocier ou non cet objet emblématique des tueur.euse.s en série. Comme si dès que quelqu’un le portait, il avait le pouvoir de brouiller notre vision. Car, jamais un accessoire n’aura suscité autant d’interprétations contradictoires : les lunettes peuvent aussi étrangement adoucir notre jugement. Dans les 80's, Dorothea Puente, tueuse en série coupable d’avoir tué et enterré sept personnes dans son jardin, a ainsi pu retourner une partie de l’opinion en sa faveur grâce à ses grandes lunettes claires, si propres qu’elles ont fait douter une grande partie des gens sur sa capacité à commettre de tels crimes. Les gens l’ignoraient à l’époque, mais ils ont sûrement été victimes d’une stratégie qu’on appellera plus tard la « nerd defense ». Étudiée, en 2008 par Michael Brown, professeur en psychologie à l’université Suny Oneonta de l’état de New York, cette technique consiste à faire porter des lunettes à l’accusé.e. Résultat, il.elle paraît plus inoffensif.ive et moins vigoureux.euse aux yeux de l’assistance. En d’autres termes, moins capable de violence. Et c’est exactement ce qu’a ressenti le reporter Martin Kuz. Après avoir rencontré Dorothea Puente en prison vingt ans après les faits pour un article publié dans Sactown magazine (The Life and Deaths of Dorothea Puente, d’août-septembre 2009), il la décrit dans son sujet comme apparaissant « totalement inoffensive » avec ses « lunettes rondes trop grandes pour son visage qui agrandissent ses beaux yeux bleu clair ». « Pourquoi est-on si intrigué.e.s par les criminel.le.s violent.e.s qui ont l’air de pas être capables de “dépecer des jeunes filles” ? Et pourquoi leurs looks provoquent chez nous une sorte de convoitise et de glorification à leur égard ? », nous donne à réfléchir Lucy Jones, journaliste à The Independent. En janvier 2019, cette dernière marquait les esprits en écrivant What Netflix’s Ted Bundy Tapes and You tell us about entitlement and privilege (2019), un article critiquant la manière flatteuse dont sont dépeint.e.s et considéré.e.s dans notre société certain.e.s tueur.euse.s en série vu.e.s comme plus séduisant.e.s. Hélas, ça ne risque pas de changer, surtout quand on voit qu’en février 2019, un dénommé Zak Bagans a acheté aux enchères une paire de lunettes ayant appartenu à Ted Bundy pour la modique somme de 50 000 dollars. Le but de cet achat? Exposer l’accessoire de mode dans son « musée hanté » de Las Vegas.