Stylist

PARCE QUE LES FLEURS C’EST PÉRISSABLE

- Par Marie Kock Rédactrice en chef société

Ca avait commencé avec les fleurs. Il n’y en avait manifestem­ent pas pour tout le monde dans ce cimetière qu’elle arpentait en chaussures techniques pour observer les oiseaux – eux aussi avaient rapidement capté que la dernière demeure des humains était l’un des rares endroits à Paris où l’on pouvait être au calme au milieu d’une végétation qu’on domestiqua­it moins qu’ailleurs. Elle n’avait pas eu besoin de jumelles pour s’apercevoir que si certaines tombes étaient ornées avec soin, parfois croulant sous les couronnes et les arbustes qui finiraient par donner de l’ombre aux pierres écrasées par le soleil, d’autres étaient désespérém­ent vides. À la suite de cette balade fauvettes à tête noire, rossignols et épitaphes, elle avait commencé à revenir, toujours avec les jumelles mais aussi avec des petits pots de lierre, de pourpier vivace, de bruyère et de laurier qu’elle s’était mise à répartir équitablem­ent sur les tombes les plus délaissées. Un matin où elle arrangeait le chèvrefeui­lle d’un caveau qui n’avait pas accueilli de nouveaux membres depuis 1926, elle vit se dérouler dans un carré adjacent une mise en terre sans fleurs mais surtout sans personne : pas de visage dévasté, pas d’yeux rougis, pas de mains serrées sur les mouchoirs en papier, pas de discours ni de mots maladroits pour accompagne­r cet homme ou cette femme. Elle épousseta la terre sur son pantalon avant de se diriger vers les employés des pompes funèbres. Ils lui donnèrent son nom, Denise, son âge, 86 ans, et la permission de dire quelques mots pour la défunte inconnue. Sans indices pour rendre hommage à une vie qui avait bien dû être aussi pleine que beaucoup d’autres, elle se mit à fredonner maladroite­ment la ritournell­e que sa mère lui chantait tous les soirs pour l’endormir. « Derrière chez nous y a un étang… Derrière chez nous y a un étang… trois beaux canards y vont nageant…» Elle n’arriva pas à réciter Le Canard blanc aussi bien qu’elle l’aurait voulu mais ce n’était pas si mal pour une première. C’est en tout cas ce que lui avaient dit un an plus tard les croque-morts pour fêter sa dixième représenta­tion d’enterremen­t (p.40). Entre-temps, elle s’était améliorée. Elle se renseignai­t sur ces mort.e.s oublié.e.s de tou.te.s pour choisir le poème ou la chanson qui pourrait évoquer un.e amoureuxeu.se avec qui il.elle aimait rigoler, un amour de la mer ou de la vitesse, une façon de pencher la tête devant l’objectif qui n’appartenai­t qu’à lui.elle. Elle n’aurait pas pu le jurer, mais à chaque fois, il lui avait semblé que les oiseaux étaient plus nombreux dans les arbres autour.

QUELQUES MOTS POUR LA DÉFUNTE INCONNUE

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