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Avant de confier votre santé aux influenceu­r.euse.s Instagram, scrollez cet article.

- Par Raphaëlle Elkrief

Si on a tou.te.s redécouver­t avec des grands yeux bovins l’existence de pandémies grippales bien vénères qui ont terrassé certain.e.s de nos ancêtres avant l’avènement du Covid-19 (grippe espagnole, grippe asiatique, grippe de Hong Kong) c’est parce que : 1. Nos « moi » antérieurs ont été d’une résilience sans faille. 2. Les autorités politiques et médicales ont tout fait pour éviter d’entretenir la mémoire d’un fiasco total. 3. Personne n’avait encore les outils pour raconter sa petite expérience pandémique au monde entier. Vous voyez où on veut en venir ? Alors que la crise sanitaire a été le principal sujet de discussion des six derniers mois, les réseaux sociaux se sont transformé­s en grandes salles de garde pour apprenti.e.s médecins. Genre, Laura Tenoudji, aka Mme Estrosi, testée positive au Covid-19, qui donnait en mars son bilan de santé quotidien en prenant position pour les protocoles de Didier Raoult. Ou Juliette Binoche qui se lançait deux mois plus tard dans une offensive anti-vaccins/bill Gates/5g. Pourtant, bien avant l’épisode coronaviru­s, votre feed instagram s’était déjà transformé en point santé du matin à la machine à café. Vos nouveaux collègues ? Les influenceu­r. euse. s santé, internes en médecine starifié.e.s, urgentiste­s en réa pédiatriqu­es anonymes, kinés youtubeur. euse. s et depuis peu, épidémiolo­gistes et spécialist­es en maladies infectieus­es : comment la micro-niche des instagramm­eur. euse. s santé est-elle en train d’asseoir son succès sur les réseaux sociaux, garantie sans dépassemen­t d’honoraires ?

HUILE D’OLIVE DANS LES OREILLES

Depuis plus d’un an, entre deux scanners, Sophie-hélène Zaimi, interne en radiologie dans un hôpital d’orléans, poste les clichés, anonymisés, de ses patient.e.s. Un simple carnet de notes, qui lui permet de légender ses cas et qui est suivi par d’autres étudiant.es, ravi.e.s de trouver dans leur timeline un mémo visuel sur la manière de différenci­er un abcès d’une métastase à L’IRM. Rapidement, son audience explose. « J’ai commencé à être lue par des nonmédecin­s, du coup j’ai adapté ma ligne éditoriale, explique-t-elle. J’étais suivie par 33 000 personnes avant le Covid, 41 000 après le confinemen­t. Instagram se révèle d’autant plus intéressan­t pour nous, médecins, qui nous devons de créer de la confiance thérapeuti­que.» Alors que plus de 70% des hôpitaux ont aujourd’hui leur page sur les réseaux sociaux, l’informatio­n médicale se digitalise par le biais de la nouvelle garde. Et est de plus en plus suivie par des profanes qui, tout en continuant de penser que c’est OK de hurler « on dégage !! » en utilisant un défibrilla­teur, viennent chiller sur cette sorte de MOOC visuel de première année de médecine. « Ce que je veux, c’est rendre le complexe accessible », explique To be or not Toubib, médecin aux urgences pédiatriqu­es qui anime une page suivie par 120 000 personnes sur Facebook, dont une énorme cohorte de parents inquiets. « On voit que les patient.e.s ont une vraie curiosité quant à leur propre santé, ielles veulent connaître les bases. C’est à nous de les aider à s’approprier cette culture scientifiq­ue un peu opaque.» Chez lui, l’empowermen­t des patient.e.s passe par des fiches ludiques sur les do et don’t de la pédiatrie (les chaussette­s vinaigrées en cas de fièvre, inutile – et l’huile d’olive dans les oreilles des gosses qui font des otites, c’est can’t aussi) et les conduites à tenir pour éviter d’engorger les Urgences pour rien. Bref, des conseils qui mêlent bon sens et dix ans d’étude. « Cela fait des années que les médecins témoignent que leur patientèle a changé, confirme Emma Strack, journalist­e et chroniqueu­se web au Magazine de la santé sur France 5.

Les patient.e.s arrivent avec un autodiagno­stic et des infos biaisées, face à un.e praticien.ne contraint.e d’abandonner la posture de la toute-connaissan­ce pour faire de la pédagogie. L’idée aujourd’hui, c’est de permettre aux individus de se saisir de leur santé. Sur les premiers secours, la médecine préventive… » Au mois de mars, Gucci proposait à L’OMS de prendre le contrôle de ses comptes instagram et autres réseaux sociaux (soit une audience d’environ 70 millions de personnes) pour encourager leurs abonné.e.s à adopter de bonnes pratiques pendant l’épidémie. Et l’assurance Maladie peut se vanter d’avoir été sur le coup assez tôt en développan­t l’applicatio­n Activ’dos, avec de super notificati­ons pour vous rappeler de secouer un peu votre vieux squelette pendant le week-end.

EMOJI CADUCÉE

La technologi­e est nouvelle, le phénomène, en revanche, l’est beaucoup moins, comme l’explique Alexandre Klein, historien et philosophe des sciences. « Dès le XVIIIE siècle, on voit apparaître une littératur­e émanant des médecins qui exhortent les individus à être “les médecins d’eux-mêmes”. Il y a alors une volonté de partager avec le grand public une forme de savoir, mais aussi de reconquéri­r une patientèle qui se tourne volontiers vers les charlatans, barbier. ère. set guérisseur. euse.s. Ce qui se joue aujourd’hui est sensibleme­nt la même chose : reconquéri­r le territoire d’internet, qui est un lieu très critique de la médecine, laissé aux mains des mamans blogueuses, coach fitness et autres…» C’est là l’effet secondaire de la santé sur les réseaux sociaux : les fake news y pullulent. À ce sujet, on parle de fake meds, contre lesquelles le ministre de la Santé entend lutter depuis bien longtemps. En attendant qu’il ait le temps de se poser sur le sujet, mais aussi que les applicatio­ns fassent leur boulot (pendant la crise du Covid-19, Instagram a décidé de supprimer les contenus liés aux théories du complot et de mettre en avant les organismes officiels dans les résultats de recherche autour du coronaviru­s), les inf lu en ceur.euse.s santé ont déjà grossi les rangs des institutio­nnels qui tentent de débroussai­ller le terrain (l’inserm avec Canal Détox, le CNRS avec Zeste de Science). « On fait de l’informatio­n médicale, explique The French Radiologis­t. J’ai bondi quand j’ai vu le post de Caroline Receveur qui incitait à faire un dépistage du cancer du sein dès 30 ans. C’est grave, elle est influente ! Du coup, je n’ai pas hésité à rappeler que, non, on ne fait pas n’importe quoi avec la mammograph­ie, qui est un acte irradiant, et que c’est n’est pas pour rien qu’il existe des recommanda­tions officielle­s.» Elle poursuit : « Les gens ont besoin de trouver des sources fiables, des lieux de référence pour limiter la connerie. À ce titre, la mention “interne en médecine” sur mon profil labélise et donne une certaine crédibilit­é.» Les comptes de médecins ne sont toujours pas certifiés (si ce n’est grâce à

“PARTAGER AVEC LE PUBLIC UNE FORME DE SAVOIR”

l’émoji caducée, que vous-même êtes tenté.e d’ajouter à votre légende depuis que vous avez diagnostiq­ué l’allergie au pollen de votre mec.meuf) mais la profession commence à se formaliser. On en voit les prémices aux États-unis où la multiplica­tion des nursef lu en ceur.euse.s,é tu diant.e.s en médecine et autres chirurgien.ne.s esthétique­s aux millions de followers, a incité le Thomas Jefferson University Hospital à introniser une sorte de community manager des médecins, appelé « chief medical social media officer ». Un poste qui a pris tout son sens ces derniers mois, durant lesquels ce gastro-entérologu­e sorti d’harvard a dû mettre les bouchées doubles pour endiguer l’explosion des fake meds, selon lui la « plus grande crise que rencontre (notre) système de santé » (c’était avant que son président ne conseille les injections de javel comme remède au Covid). Son but : recruter une armée de médecins, de patient.e.s et de profession­nel.le.s de santé en ligne, dans le sillon de sa campagne #verifyheal­thcare – le Occuppy Wall Street des toubibs contre les fake meds – et #dontgovira­l, pour lutter contre les antivax, dans un pays confronté à la pire épidémie de rougeole depuis vingt ans. « C’est intéressan­t d’aller sur le terrain des fake meds pour lutter contre elles, analyse Alexandre Klein. Les antivax, notamment, sont très friand.e.s des réseaux sociaux », comme Instagram ou Pinterest (si vous cherchez un moodboard diphtérie tétanos). Il poursuit : « C’est d’autant plus utile dans une période où toute une population se croit capable de parler “d’étude randomisée en double aveugle” ou de “sérologies”.»

AU FRONT

Un chouïa plus averti.e.s que ces nouveaux médecins de comptoir, mais aussi plus prudent.e.s que leurs confrère.soeur.s habitué.e.s depuis trop longtemps à truster les plateaux de primetime,l es inf lu en ceur.euse.s santé ont saisi l’outil au vol. Et en font double emploi : éduquer les foules mais aussi leur rappeler ses conditions de travail. En Italie, Paolo Miranda, infirmier à l’hôpital de Bergame et photograph­e à ses heures perdues, partageait sur son compte, @paolomiran­da86, son quotidien et celui de ses collègues – des nez amochés par les masques FFP2 aux photos de patient.e.s tout juste sorti.e.s de réa. En Suisse, le compte @parolededo­c lancé le 22 mars dernier se veut lanceur d’alerte en plein coeur de la crise en relayant des messages de personnels soignants dénonçant entre autres, le manque de lits, de masques, les cadences infernales… « Je crois qu’instagram peut faire vraiment caisse de résonance dans un moment comme celui-ci, confirme Sophie-hélène, The French Radiologis­t. Le quotidien des médecins, ça fait des années qu’on le dénonce. Et c’est vrai qu’aujourd’hui, nous avons de nouveaux outils pour nous faire entendre autrement.» Sur le compte @isni_officiel, le syndicat d’internes en Médecine montait récemment au créneau pour décrier la mollesse des propositio­ns du Ségur de la santé. Tout un tas de revendicat­ions qu’on ne saurait trop vous inviter à suivre. Si vous ne voulez pas finir par faire vos check-up annuels via DM.

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