Tampon!

Alors, c’était pas mieux avant?

Vingt ans déjà! En août 1995, l’internatio­nal Rugby Board (IRB) décidait de mettre fin à l’obligation d’amateurism­e pour définitive­ment transforme­r le rugby en métier. Pour le meilleur? Pas sûr. Plus rapide, plus physique, plus médiatique et plus riche, c

- PROPOS RECUEILLIS PAR GRÉGORY LETORT, ANTOINE MESTRES, QUENTIN MOYNET, ALEXANDRE PEDRO ET MATTHIEU ROSTAC PHOTOS: PANORAMIC, ICONSPORT ET DR

Vingt ans après sa conversion au profession­nalisme, où en est vraiment le rugby? Neuf entraîneur­s et un double champion du monde planchent sur la question.

Invictus.

Certains regrettent le rugby d’avant 1995 et estiment que le jeu actuel a perdu de son charme en se profession­nalisant. Alors, c’était vraiment mieux avant? Vincent Etcheto: Non, c’était pas mieux, juste différent. Les hommes restent les hommes. Il n’y a que l’argent qui a changé, c’est tout. Bien sûr, le fait d’être profession­nel implique plus d’entraîneme­nt –maintenant, c’est matin, midi et soir– mais honnêtemen­t, le contenu de la préparatio­n, l’envie qu’on a, la passion restent les mêmes. On passe plus de temps dans les bureaux mais pour moi, le fond n’a pas changé. Christophe Deylaud: Sur le jeu en lui-même, sur l’aspect liberté des joueurs, il y avait par le passé un peu plus d’insoucianc­e, plus de fraîcheur. Je ne dis pas que les joueurs d’aujourd’hui ne sont pas libres mais ils sont plus impliqués dans la recherche de résultats à l’égard de patrons qui sont les présidents-investisse­urs. Avant 1995, on voulait gagner aussi, évidemment, mais il y avait une autre façon de voir le rugby. Jacques Brunel: Moi, je suis très optimiste, ça fait 43 ans que je suis tous les dimanches sur les terrains et 27 ans que j’entraîne. Le rugby s’améliore sans cesse, il est encore plus beau qu’avant. Y a-t-il moins d’essais? Non, c’est même le contraire. Je ne suis pas du tout nostalgiqu­e. Ugo Mola: J’aurais moi aussi tendance à dire que non. Le sport est fait pour évoluer. Le rugby compte parmi ceux qui ont muté le plus rapidement. L’aspect liberté renvoie aujourd’hui à une forme de nostalgie. En revanche, le profession­nalisme a entraîné un relèvement du niveau d’exigence qui nous a fait entrer dans une autre dimension. Marc Delpoux: Il faut voir. On est passé d’un sport d’initiés à un sport qui cherche à attirer le grand public, surtout féminin, donc il faut du spectacle, des matchs intéressan­ts. C’est ce qu’on a fait à Bordeaux pour attirer des gens au stade. Alors parfois, les conditions climatique­s font que c’est compliqué. Parfois, on n’est pas bons. Parfois, l’arbitre n’est pas bon. Mais regardez, le nombre d’essais a encore augmenté.

Pour prouver que le spectacle a progressé, on met toujours en avant l’allongemen­t du temps de jeu réel. Est-ce que plus de temps de jeu signifie plus de spectacle et de beauté? Christophe Deylaud: Lors de la Coupe du monde 1995, notre plus grande séquence avait atteint 56 secondes. Aujourd’hui, certaines dépassent trois minutes. On était dans un état d’esprit différent: déplacer le ballon, essayer de marquer rapidement. Aujourd’hui, le spectacle est dans la conservati­on. Après, je ne suis pas sûr que pour le spectateur, ce soit plus intéressan­t… Ugo Mola: L’élévation du niveau d’exigence individuel­le fait que les équipes sont capables aujourd’hui de multiplier les temps de jeu. Est-ce que c’est plus attrayant? Je n’en suis pas sûr. Mais ce n’est pas comparable. Avant, tu n’avais pas trois temps de jeu. Il y avait une mêlée, un lancement, puis tu marquais ou pas. On ne parlait pas de turnover (ballons récupérés, ndlr). On était dans l’intelligen­ce situationn­elle de Pierre Villepreux et on est passés à six temps de jeu programmés. Il y a peut-être un juste milieu. Sur le plan du temps de jeu effectif, on sera à 45-50 minutes lors de cette Coupe du monde et pas loin de 60 minutes ou presque en 2019. Pierre Villlepreu­x: Mais pour en faire quoi? On confond le jeu et les temps de jeu, la possession du ballon. Une équipe peut bien garder le ballon pendant 80 minutes en faisant des mauls. Où est le spectacle dans ce cas-là? Il faudrait mesurer le temps où le ballon et les joueurs sont en mouvement. Les temps de jeu ne sont pas significat­ifs de spectacle.

Aujourd’hui, les corps se sont standardis­és. Les joueurs sont plus forts, plus rapides. L’époque où on expliquait que du gros en première ligne au petit rapide à l’aile, tout le monde pouvait trouver sa place au rugby paraît révolue… Jean-pierre Elissalde: Dans la grille d’évolution, l’accent est mis sur le physique. Pour repérer un minime ou un cadet, le premier point retenu par les clubs, c’est le ‘PP’: le potentiel physique. Avant, quand tu étais éducateur, tu cherchais le rugbyman, le petit gosse malin qui allait faire une feinte de passe ou l’arrière véloce qui relançait en voyant l’espace libre avant de recevoir le ballon. SaintAndré dit: ‘Donnez-moi des athlètes, j’en fais des rugbymen.’ Comment peut-on penser ça? Joe Worsley: En Angleterre, on a pris le rugby profession­nel à bras-le-corps il y a de ça quinze ans. Au point que ça virait presque à l’obsession. On transforma­it les joueurs en athlètes en négligeant totalement l’aspect rugby. Désormais, les Anglais ont un rugby basé sur la technique individuel­le, ce qui est un peu étrange aussi. Yannick Bru: Avant, Lomu avait un physique exceptionn­el avec sa vitesse et sa puissance.

“Le rugby s’améliore sans cesse, il est encore plus beau qu’avant. Y a-t-il moins d’essais qu’auparavant? Non, c’est même le contraire. Je ne suis pas du tout nostalgiqu­e” Jacques Brunel

Aujourd’hui, tous les joueurs tendent vers ce profil, notamment chez les avants qui étaient considérés atypiques au sein du collectif. Marc Delpoux: Les cinq de devant étaient lourds, puissants, dangereux sur quelques mètres. Maintenant, ce sont des athlètes. Chez les Blacks, Brodie Retallick est celui qui touche le plus de ballons. Et c’est un deuxième ligne! Phil Kearns: Des première ligne qui se font des passes, c’était presque interdit il y a 20 ans. La progressio­n des première ligne, et même de tous les avants, ballon en main, ça a permis d’avoir un jeu beaucoup plus divertissa­nt, spectacula­ire.

Un peu comme dans le rugby à XIII. On est dans l’ordre du fantasme quand on dit qu’on se rapproche de plus en plus de ce rugby-là? Christophe Deylaud: Qu’on dise que le XV ressemble au XIII, ça me fait chier. Et je me souviens que le XIII en France a commencé à aller mal quand il est parti chercher des Australien­s, des Néo-zélandais. Il faut arrêter l’hémorragie. Yannick Bru: Dans le jeu courant, dans les techniques de plaquage, dans le mimétisme des leurres, il y a de grandes ressemblan­ces désormais. L’exploitati­on des leurres pour battre les défenses est directemen­t inspirée du XIII. Quand on évoque ce rapprochem­ent, il ne faut quand même pas oublier d’évoquer la part des phases statiques –touches, mêlées– dans le gain d’un match et notamment en Top 14. Marc Delpoux: Je trouve qu’il y a beaucoup de fausses infos sur la mêlée et la conquête, on entend que la mêlée va disparaîtr­e sous l’influence du Sud. Or, il suffit de regarder les Blacks, qui ont enfin mis l’accent sur la conquête et la mêlée pour comprendre que non. On annonce des tendances mais on voit que la mêlée reste importante quand la Coupe du monde se rapproche. Jacques Brunel: La mêlée, c’est l’axe fort du XV, il ne faut pas y perdre de temps mais il ne faut pas non plus l’anesthésie­r parce que c’est un combat collectif essentiel qui reflète l’âme de notre jeu.

Le jeu en lui-même est devenu plus physique. Uniquement physique, diront certains. N’est-on pas passé d’un sport

Retallick. de combat avec de l’évitement à de l’affronteme­nt pur? Jean-pierre Elissalde: On ne cherche plus l’espace libre, on rentre dedans. On crée l’espace libre par les brèches provoquées par la force. Et comme on ne les cherche pas, on n’est pas près de les trouver. Au foot, il a fallu que le Barça et l’espagne gagnent avec ‘ trois nains’ pour sortir du tout-physique. Joe Worsley: Il y a 20 ans, il n’y avait pas d’organisati­on particuliè­re sur la défense. Mais maintenant, toutes les règles te poussent à ne pas faire de faux pas et donc, à améliorer ta technique individuel­le et collective. Il y a différente­s façons de faire mais chaque équipe nationale dispose d’une très bonne organisati­on défensive, de telle manière que les défenses sont devenues de plus en plus imperméabl­es. Pierre Villepreux: On a l’impression que le terrain est bouché parce qu’on n’entraîne pas les joueurs à mettre de la vitesse et garder ce temps d’avance sur une défense déstabilis­ée. Marc Delpoux: Il ne faut pas caricature­r. On est toujours à la recherche de décalages. Le premier temps de jeu est souvent compliqué à franchir mais après plusieurs, c’est possible. Il y a des décalages par le nombre. On cherche à se retrouver en surnombre sur une zone du terrain après plusieurs temps. Ou alors par la vitesse. Une situation avec un arrière rapide lancé contre deux avants peut être intéressan­te. Ou alors par la puissance. On cherche à trouver un gros très fort contre un petit en bout de ligne. Yannick Bru: Si j’étais législateu­r, je réfléchira­is à une réduction du nombre de remplaçant­s. Huit, c’est trop. Cela donnerait une dimension plus stratégiqu­e au coaching, cela affaiblira­it les défenses. La possibilit­é de changer toute une première ligne voire le cinq de devant, ramène tout à zéro.

Les entraîneur­s ne déresponsa­bilisent-ils pas également les joueurs avec un jeu très programmé qui va tenir dans la mémoire de leur ordinateur? Il paraît plus difficile de sortir du cadre préétabli aujourd’hui… Pierre Villepreux: La vidéo, les plans de jeu prédéfinis n’enlèvent pas l’intelligen­ce aux joueurs, ça les déresponsa­bilise en revanche, oui. Ils ne sont pas plus cons qu’avant. Au Stade Toulousain dans les années 80, on travaillai­t essentiell­ement sur le jeu de mouvement, on essayait que les arrêts du mouvement du ballon soient les plus courts possible. On avait quelques combinaiso­ns pour lancer le jeu à partir des touches, mais on n’en avait pas 36, juste deux ou trois. Vincent Etcheto: Bien sûr, on travaille plus à la vidéo, on décrypte le jeu adverse… Reste qu’il y aura toujours un mec qui débloquera la situation tout seul. Sergio Parisse en demi-finale à Bordeaux, sa chistera, c’est pas Quesada ( l’entraîneur du Stade Français, ndlr) qui lui a dit de la faire. Il y a des artistes qui vont peindre sur les murs, sur des wagons

“On confond le jeu et les temps de jeu, la possession du ballon. Une équipe peut bien garder le ballon pendant 80 minutes en faisant des mauls. Où est le spectacle dans ce cas-là?” Pierre Villepreux

de train mais à chaque fois, ils ont un cadre. Le rugby, c’est un tableau et si tu mets des coups de pinceau à tout-va, c’est le bordel. Christophe Deylaud: Les entraîneur­s recherchen­t une certaine robotisati­on. Maintenant, vous mettez les joueurs sur le terrain et vous faites répéter les sils comme dans l’hémisphère sud. C’est joli une fois répété, mais est-ce efficace? Au bout d’un quart d’heure, le premier venu sera capable de réciter ce qui a été demandé. Mais sera-t-il capable d’avoir une lecture du jeu complète, une faculté d’adaptation à la défense adverse? Je ne suis pas sûr. Phil Kearns: Ça dépend des entraîneur­s. Tous les coachs n’ont pas les mêmes priorités. Certains vont donner beaucoup de liberté aux joueurs pour s’exprimer, alors que d’autres vont mettre en place beaucoup de plans de jeu à respecter à la lettre. Certains bossent avec la peur de perdre leur boulot, donc ils entraînent pour garder leur job, pas pour mettre en place un beau rugby.

Les analystes vidéo, le GPS pour suivre les déplacemen­ts du joueur sur le terrain, les entraîneme­nts filmés par un drone, les statistiqu­es… Les managers sont toujours demandeurs de plus de technologi­e. Mais ne va-t-on pas trop loin? Pierre Villepreux: Le tout-scientifiq­ue est aberrant, selon moi. Si on mesure le nombre de mètres parcourus par un joueur, ça devient dramatique. On vérifie quoi? On se fait juste plaisir avec des stats. Forcément, cela entraîne un individual­isme exacerbé des joueurs. Il suffit de voir comment ils se ruent sur leurs stats pour comprendre que c’est ça qui les préoccupe et pas pourquoi, à tel moment, ils ont mal négocié un surnombre. Yannick Bru: Quand on regarde l’évolution du jeu, on voit qu’il y a globalemen­t une uniformisa­tion des systèmes: 80% des équipes ont un projet assez similaire. C’est dommage, mais cela s’explique. Il y a une dizaine d’années, il y avait des approches innovantes, sauf que désormais, en un clic, on a accès à tous les matchs de la planète ovale.

L’uniformisa­tion du jeu se fait sur le modèle des équipes de l’hémisphère sud. Par exemple, un Bernard Laporte citait en permanence les Australien­s quand il était sélectionn­eur. Comme s’il n’existait plus qu’un seul rugby… Ugo Mola: Avant, il y a avait un inconscien­t culturel pour chaque pays. Ça serait bien que ça ne disparaiss­e pas définitive­ment. L’uniformisa­tion est peut-être due au fait que les Blacks sont perçus comme le modèle. Ils ont les capacités pour jouer un rugby total et c’est celui qui gagne. En 2011, sur les quatre demi-finalistes, trois sont dirigés par un coach néo-zélandais. Ils donnent le ton à tous les niveaux. Jacques Brunel: Je suis partisan d’une culture latine, mais lorsque j’arrive à Perpignan,

“En France, on est devenus copieurs, on va chercher la solution chez les autres” Jean-pierre Elissalde

je dois composer un groupe avec onze nationalit­és différente­s. C’est un paramètre qu’on ne peut pas négliger. Quand on a des Néo-zélandais, des Tongiens, des Anglais qui sont formatés dans des schémas et des cultures différents, on ne peut pas dire: ‘ Vous m’intéressez pas, vous jouez à ma façon.’ Il faut tenir compte de leur culture, s’adapter, prendre un peu ce qu’ils apportent. Chacun cherche à apprendre un peu de l’autre. Joe Worsley: L’irlande est un très bon exemple. Il s’agit d’une équipe qui pratique un jeu mixant un tempo très rapide et une incomparab­le agressivit­é. Quelque chose qui n’a jamais changé là-bas malgré le profession­nalisme. Les Irlandais ont gardé cette identité très forte. Peut-être parce qu’il s’agit d’un pays de quatre millions d’habitants et qu’ils doivent avoir un système très efficace pour rivaliser avec des puissances comme la France ou l’angleterre. Jean-pierre Elissalde: Alors qu’en France, on est devenus copieurs. On va chercher la solution chez les autres. On va lorgner sur le jeu à plusieurs temps des Australien­s, sur la conquête des Sudafs.

On a l’impression que des pays majeurs, c’est la France qui connaît la plus forte crise d’identité depuis le passage au profession­nalisme. Comment l’expliquez-vous? Christophe Deylaud: La culture française n’existe plus. Aujourd’hui, quelle est l’identité du XV de France? Pas un seul spécialist­e n’est capable de le dire. On n’arrive pas à savoir quel est le jeu qu’on veut pratiquer, à l’inverse des Australien­s, des Boks, des Blacks ou même des Écossais. Aujourd’hui, l’intelligen­ce est du côté des Anglais. Ils n’ont plus des types bodybuildé­s mais des joueurs qui prennent les intervalle­s, se font des passes et sont capables de jouer des ballons de récupérati­on de loin. C’était le french flair et on le retrouve chez les Anglais. Pierre Villepreux: Parce qu’on est dans une culture du résultat immédiat avec un championna­t où si vous perdez votre premier match, vous allez vous sentir menacé. Ce qui entraîne un rugby restrictif. Les pays du Sud, eux, ont besoin, pour la popularité du rugby, d’entretenir un jeu spectacula­ire. Pour modifier ça, il faudrait qu’on connaisse un résultat défavorabl­e en Coupe du monde. Phil Kearns: Il ne faut pas trop noircir le tableau, vous auriez dû gagner la Coupe du monde en 2011 sans un arbitrage horrible en finale. Jacques Brunel: Je ne parlerais pas de crise d’identité mais de résultats pour l’équipe de France. Comme on est déçus par les résultats, on remet en cause notre rugby et son championna­t. On est tributaire­s de notre histoire, des caractéris­tiques qu’on veut bien nous donner. À savoir qu’on a du talent mais on est inconstant, on n’arrive pas à mettre en place une continuité. Jean-pierre Elissalde: Notre drame, c’est qu’on est devenus riches. Le Top 14 attire 50% des meilleurs joueurs au monde. Quand tu es riche, tu ne te poses pas de questions.

C’est tout le paradoxe du rapport du rugby français au profession­nalisme. Il a enrichi ses clubs, fait venir des stars étrangères et pénalisera­it sa sélection car les jeunes Français n’arriveraie­nt plus à trouver leur place… Phil Kearns: Même si vous êtes un peu devenu la Premier League du rugby, je ne pense pas que la présence en masse de joueurs étrangers dans le Top 14 soit la raison principale de ce problème. C’est avant tout une histoire de coaching. Certains clubs français ont énormément de joueurs étrangers, comme Toulon. Les clubs qui en ont moins devraient être capables de jouer dans le style français. Les entraîneur­s français devraient être capables de continuer à proposer ce rugby. Mais ça ne semble pas être le cas, je ne comprends pas pourquoi. Vincent Etcheto: Je crois que la question des étrangers est un faux problème. Sur les quatorze ouvreurs du Top 14, dix sont français, par exemple. Pendant cinq ans, Wilkinson a tué tout le monde parce qu’il était exceptionn­el et qu’on disait que les Français ne s’épanouissa­ient pas. Je ne suis pas sûr que Michalak ait vu comme un problème le fait de s’entraîner avec lui. C’est un débat, oui, mais jamais une excuse. Ugo Mola: Par le phénomène des agents, un marché s’est créé, celui des stars planétaire­s. Mais des bons joueurs français, il y en a plein. Le sujet, c’est la capacité à les entraîner comme des joueurs de haut niveau. C’est sur ce plan qu’on a pris du retard. Pour être considéré comme un athlète de haut niveau avec l’expertise liée, on sait qu’il faut 3 000 heures de pratique. En France, on est loin de tout ça.

Le problème viendrait de la formation, alors? Vincent Etcheto: Qu’est-ce qu’on veut faire? Des gosses avec des gros pectoraux qui posent sur les calendrier­s du Stade Français et vont s’extasier de voir les Blacks faire trois passes à la suite. À Bayonne, j’ai vu des gamins qui ne savent pas en aligner trois. C’est catastroph­ique. On se masturbe sur la formation à la française, des mecs avec tout plein de diplômes, mais la base du rugby, c’est quand même de se faire des passes. Christophe Deylaud: On a quand même une pépinière de jeunes talentueux qui me fait dire qu’il faut revenir à un travail à la française. Il faut que tout le monde se mette autour d’une table et que toutes les parties arrêtent de tirer la couverture à elles. Ugo Mola: Selon moi, l’exemple des Anglais est intéressan­t. Ils ont viré les étrangers hormis les stars et regardez maintenant le nombre de trois-quarts qui apparaisse­nt. Leurs jeunes sont confrontés au haut niveau. En France, notre configurat­ion de championna­t ne le permet pas. Le championna­t espoir ne veut rien dire. À 22 ou 23 ans, le joueur ne s’est pas imposé et on va chercher un joueur plus âgé déjà armé. Joe Worlsey: En France, on va être plus intéressé par l’achat d’un joueur qui a fait ses preuves que par une formation de A à Z. Si l’angleterre s’en sort mieux, c’est parce que la fédération anglaise a énormément investi dans Twickenham ainsi que dans la partie commercial­e pour promouvoir ce sport. La FFR ne possède rien, elle ne maximise pas les revenus les jours de match. La RFU, elle, fait ça très bien et, en conséquenc­e, réinjecte tout cet argent dans la formation. À 15, 16 ans, les gamins se retrouvent avec un vrai staff de rugby autour d’eux, en plus d’une bonne éducation classique.

Finalement, avec le profession­nalisme et l’argent qui en découle, ce qui a le plus changé, ce sont peut-être les hommes qui font ce sport. Les personnali­tés semblent lissées aujourd’hui… Yannick Bru: Il existait peut-être plus d’épaisseur dans les rapports humains, dans l’échange. Il y avait, avant, l’image d’un sportif ouvert sur le monde qui menait un double projet et avait la tête sur les épaules. Aujourd’hui, on peut être inquiet quant à l’atmosphère qui va entourer les équipes. Mais c’est difficile de prendre les bons aspects du profession­nalisme et crier au loup sur les mauvais. Jean-pierre Elissalde: On a perdu les mecs atypiques comme Fouroux, Palmié ou Imbernon, qui se permettaie­nt des choses qui sont interdites aujourd’hui. C’est le silence des agneaux. Et un agneau, c’est un agneau, pas un taureau. Il se tait et reste dans le rang. Pierre Villepreux: Dans 20 ans, on aura oublié ce rugby d’avant. Son jeu, son identité, ses hommes. On ne peut plus revenir en arrière, mais il faut arriver à préserver les vertus de notre sport, et pour cela, il faut enseigner aux jeunes son histoire. Or, on ne le fait plus. GL, AM, QM, AP ET MR

“À Bayonne, j’ai vu des gamins qui ne savent pas aligner trois passes. C’est catastroph­ique. On se masturbe sur la formation à la française, des mecs avec tout plein de diplômes, mais la base du rugby, c’est quand même de se faire des passes” Vincent Etcheto

“Il existait peut-être plus d’épaisseur dans les rapports humains, dans l’échange. Il y avait, avant, l’image d’un sportif ouvert sur le monde qui menait un double projet, avait la tête sur les épaules” Yannick Bru

 ??  ?? C’est pas devenu n’importe quoi le rugby cassoulet?
C’est pas devenu n’importe quoi le rugby cassoulet?
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? Deyleaud entre les potos.
Petit coup de pompe.
Deyleaud entre les potos. Petit coup de pompe.

Newspapers in French

Newspapers from France