Tampon!

Gros poisson

Ancien treiziste, Jean-pierre Hernandez, dit “Gros Pierrot”, est un repenti. Il a connu les grandes heures de la French Connection et vit aujourd’hui de rugby à la télé et d’eau fraîche, dans son refuge du Sud de la France. Il raconte une vie faite de pla

- PAR UGO BOCCHI PHOTOS: TINA MÉRANDON/FLAMMARION ET ARCHIVES PERSONNELL­ES JPH

Du rugby à XIII à la French Connection, Jean-pierre Hernandez alias “Gros Pierrot” refait le match de sa vie.

Saint-pons-de-thomières, un petit village héraultais entre Castres et Béziers. Trois mille habitants à l’année, à peine plus durant l’été. Ici, la vie est rythmée par le chant des cigales et les siestes à l’ombre. À l’heure du déjeuner, non loin de l’église, la terrasse du Café de France affiche complet. Au comptoir, un petit homme claque des bises. Pantacourt rouge sang, chemise ouverte, chaîne en or qui brille et cheveux blancs gominés, Jean-pierre est une attraction: “Je descends rarement au village parce que c’est toujours comme ça, murmure-t-il à l’abri des oreilles indiscrète­s. Et moi, je n’aime pas trop ça.” Ça, ce sont les gens, l’agitation et les discussion­s à rallonge. Il a mené sa vie à grande vitesse, alors, à 80 balais, il préfère lever le pied.

“Je les envoyais bien. J’étais craint”

Une résolution qu’il n’applique pas à son régime alimentair­e. Un cheeseburg­er, des frites, un verre de rosé, le tout accompagné d’une clope roulée. Le menu du champion. “De toute façon, le rugby, c’est fini pour moi. Maintenant, c’est juste à la télé. Je vais me faire la Coupe du monde, je vais me régaler. Sinon, y a un ami qui va venir chez moi là, et toute la nuit, on va se regarder le championna­t australien sur Internet. Ça c’est du rugby!” En la matière, Jean-pierre Hernandez est exigeant, et s’emmerde très vite. “J’ai été invité l’an dernier à aller voir la demi-finale de XIII à Béziers. Lézignan contre Toulouse. Avec ce changement de règles, je me suis fait chier, mais vous ne pouvez même pas imaginer… Supprimer les mêlées, c’est une connerie! Avant, les deuxième ligne faisaient 120 kilos. Mais c’est fini tout ça. Je pense que s’ils avaient joué contre nous il y a 30 ans, ils auraient pris 100 points. Tous! Même les Dragons Catalans (la meilleure équipe française, ndlr)!” Paroles d’ancien qui, en son temps, ne donnait pas sa part aux chiens sur un terrain. Ses coéquipier­s de l’époque évoquent un vrai lion lâché en liberté. “Oui c’est vrai, j’étais un peu bagarreur, confesse l’intéressé. Je les envoyais bien. J’étais craint.”

Né à Carpentras dans le Vaucluse, repère de treizistes, d’une mère Corse et d’un père chauffeur de bus, Jean-pierre découvre l’autre rugby à 13 ans. Comme tout le monde, il commence derrière et avance petit à petit. Au centre, à l’ouverture, à l’aile, “puis, je me suis empâté, je faisais 100 et quelques kilos et j’ai fini ma carrière comme pilier. Mon surnom vient plus ou moins de là.” Gros Pierrot était né. Un pseudo qui l’accompagne quand il commence à frayer avec le gratin du banditisme marseillai­s, mais toujours à l’abri des regards. “Je faisais toujours attention, prévient-il. Zampa (le principal parrain du milieu marseillai­s, ndlr), c’était mon ami intime, mon associé, mais je ne m’affichais jamais dans un bar avec lui. Et puis, les autres, ils étaient surtout football.” Ce qui ne les empêche pas de venir voir leur ami et associé à l’oeuvre. “Quand je jouais à Carpentras et Avignon et qu’on affrontait Marseille XIII au Vélodrome, ils étaient tous là. Mais je faisais comme si je ne les connaissai­s pas. Ils voulaient toujours être dans la lumière. Ils voulaient qu’on parle d’eux et voyez où ils sont…” Joueur de rugby le jour, truand la nuit, Hernandez touche à tout: “braquage, racket, fausse monnaie, il [lui] est aussi arrivé de tuer”. Le treiziste est un équipier de devoir des parrains marseillai­s. Il participe aux convois de voitures blindées d’héroïne vers les États-unis qui font la renommée de la French Connection.

Cavale et fils retrouvé

Mais au début des années 70, Nixon et les Américains déclarent la guerre à la French. Le réseau est démantelé, ses hommes tombent avec. Gros Pierrot anticipe et part en cavale petit côté. D’abord en Espagne, où il se fait discret sur la Costa Brava. Jusqu’à ce qu’il retrouve un ancien coéquipier de Paris XIII. Un flic à qui il tirait les vers du nez pour le compte des frères Panzani, les deux hommes qui régnaient sur la capitale. “Quand je rentre dans le restaurant, il me reconnaît: ‘Pierrot!’ qu’il me fait. Il me dit qu’il a un appartemen­t derrière et qu’il voudrait boire un coup avec moi. Je lui réponds qu’il n’y a pas de problème mais je ne lui dis pas trop où j’habite, je me méfie. J’étais indécis, et puis finalement, le lendemain, j’y vais. Ça se passe bien. Mais quand même, après cette rencontre, je me casse d’espagne pour assurer le coup. Sauf que le mec a téléphoné au commissair­e de police de Villeneuve-d’ascq,

“Le rugby était mon alibi. Je me suis caché derrière toutes ces années. Et je pense que c’est ce qui m’a sauvé” Jean-pierre Hernandez, alias “Gros Pierrot”

qui était aussi un ami de mon beau-père. Il m’a balancé.” Gros Pierrot n’a plus faim. Il a encore du mal à digérer ce souvenir. Pour lui, que ce soit dans le milieu ou dans le rugby, il y a des valeurs à respecter: “La loyauté, le courage et l’honneur.” Silence. Il prend une gorgée d’eau pour faire passer le tout et reprend. Il poursuit sa cavale en Allemagne et rentre finalement en France à Villeneuve d’ascq où il est arrêté. Quelques années de prison, “moins de dix ans”, pour une histoire de faux billets. S’il a réussi à passer entre les mailles du filet, il n’y a pour lui qu’une seule raison possible. “Le rugby était mon alibi, assure-t-il. Je me suis caché derrière toutes ces années. Et je pense que c’est ce qui m’a sauvé. Il y a même des anciens coéquipier­s qui sont venus témoigner à mon procès.”

Dans son appartemen­t modeste, au rez-de-chaussée d’un immeuble sans charme, des cartons de souvenirs et des photos de sa famille. Pris d’un brin de nostalgie, il jette un regard derrière lui, toujours le buste droit. “J’ai fait ma carrière de rugbyman. J’ai joué jusqu’à 38 ans, je ne voulais pas aller plus loin. Et puis, pour tout le reste… Non, je ne regrette rien. J’ai du sang corse, hein! Corse de Marseille. Le seul regret que j’ai, c’est pour mes filles que je ne vois pas.” Mais, à ce qu’il en dit, il essaye de rattraper le temps perdu. “J’ai aussi retrouvé un fils. Ça fait deux ans. Je l’ai retrouvé grâce à mon autobiogra­phie*. Il habite Pau et travaille dans le funéraire. Je pense que je vais aller vivre là-bas. On a fait le test ADN mais on n’avait pas besoin de le faire. Il est pareil que moi. Il est maniaque de la propreté et il adore le rugby.” Aucun doute, les chiens ne font pas des chats. PROPOS RECUEILLIS

PAR UB. Lire: Quand j’étais gangster, Jean-pierre Hernadez et Christophe Chabbert, Flammarion.

“Le rugby était mon alibi. Je me suis caché derrière toutes ces années. Et je pense que c’est ce qui m’a sauvé” Jean-pierre Hernandez, alias “Gros Pierrot”

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Un dur à cuir.

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