Tampon!

Baptiste Serin

Il est jeune, il a une bonne tête et occupe le poste stratégiqu­e chez les Bleus de demi de mêlée. Et si on appelait à voter Serin en 2017?

- PAR ANTOINE MESTRES ET ALEXANDRE PEDRO / PHOTOS: DPPI

C’est la rencontre entre un joueur et un geste. Ces instants devenus trop rares où l’inspiratio­n supplante les plans de jeu prédéfinis, ce qui a été vu et revu à la vidéo, ce qui semble raisonnabl­e. Or, la raison indiquait à la 62e minute du dernier France – Nouvelle-zélande de commander une nouvelle mêlée. Sur la précédente, la première ligne des Blacks avait sauté au plafond comme le bouchon d’une bouteille de champagne trop secouée. L’essai de pénalité –ce 49.3 du rugby français– menaçait. Mais caché derrière ses “gros”, Baptiste Serin a pris le ballon comme on pique le goûter du copain au collège. Alors que Monsieur Barnes avait encore le bras tel un agent de la circulatio­n, le numéro 21 des Bleus a joué vite. Son corps est parti sur sa gauche, mais son esprit est resté à droite pour deviner dans son dos Louis Picamoles, tout heureux de plonger dans l’en-but. Entre la chistera

“Chez les Anglo-saxons, c’est l’ouvreur qui guide le jeu. Chez nous, c’est le demi de mêlée” Jean-pierre Élissalde, ancien entraîneur et numéro 9

et la passe aveugle, le geste amène même le consultant Fabien Galthié (pourtant économe en éloges quand il s’agit d’un de ses successeur­s potentiels) à lâcher: “Quel talent! Quelle vision!” De la défaite (19-24) face à des Néo-zélandais à sec après une saison 2016 record, il restera les regrets d’une équipe qui vit encore de promesses, mais surtout l’idée que le XV de France avait trouvé son nouveau numéro neuf. Et peut-être même renoué avec une certaine idée de son rugby avec ce garçon de 22 ans dont l’accent fleure bon les pinèdes de ses Landes natales. Mais avec les coups de foudre, il y a toujours le risque d’aimer trop vite, de trop attendre et de ne rien pardonner derrière. Flirt de l’avant Tournoi 2016, le Toulousain Sébastien Bézy l’a appris à ses dépens après deux rencards décevants face à l’italie et l’irlande. Sa lune de miel avec les Bleus, Baptiste Serin la vit l’été dernier lors d’une tournée en Argentine où les Bleus voyagent sans une partie de leurs cadres, retenus par les demi-finales du Top 14. “Il peut dire merci au génie français, ironise Jean-pierre Élissalde, cinq capes au compteur comme numéro neuf au début des années 80. Il était le garçon qui suivait sur la liste et on l’a pris. Après, il a eu le mérite de saisir sa chance.” Et si le joueur de l’union Bègles-bordeaux n’est “pas un cèpe poussé dans la nuit” d’après l’expression d’élissalde père, il lui a suffi de cinq sélections pour incarner l’avenir à l’un des rares postes où la France connaît des problèmes de riche, entre l’actuel titulaire Maxime Machenaud, l’atomique Antoine Dupont ou Morgan Parra, pas encore à ranger chez les anciens combattant­s. Parce qu’il le couve comme entraîneur depuis deux ans du côté de L’UBB, Émile Ntamack n’est qu’amour pour son Baptiste. Mais pas que. Lui aussi a compris l’instant de cette 62e minute. “Pour être un grand joueur, il faut savoir décrocher des moments magiques dans les gros matchs. Baptiste l’a fait avec sa chistera. Elle a eu un impact visuel sur les gens, qui voient ce culot et apprécient.” De l’audace, c’est que ce l’ancien internatio­nal avait conseillé à son protégé avant le match. “Je l’ai eu par SMS pour lui dire: ‘On attend de toi du Serin.’”

Ce pays qui préférait les 9

Mais alors pourquoi le gamin de Parentis donne déjà envie de suivre les yeux fermés son panache blond? “Certains vivent le rugby avec une passion différente, lui il est enthousias­te et enthousias­mant. Il est toujours positif, il a le sourire et il transmet ça aux autres. Il est frais”, répond ‘Milou’ Ntamack. Il y a de ça. Le casque sur les oreilles, le rugbyman moderne tire en général la gueule. Serin, lui, ne peut s’empêcher de trimballer son petit sourire en coin. Mieux, avec sa tête d’étudiant en fac d’histoire, son physique de surfeur, et ses départs petit côté de filou, il ramène le rugby à l’état de jeu. Pas un mince exploit quand on passe après TillousBor­de et Kockott. Lors du dernier Mondial, le premier s’est contenté de causer wattbike quand le second a largué ses coéquipier­s lors des sorties en vélo. Serin, lui, n’a même pas besoin de prendre la parole pour parler de rugby du haut de son mètre 80 pour 80 kilos.

“Baptiste est enthousias­te et enthousias­mant. Il est toujours positif, il a le sourire et il transmet ça aux autres. Il est frais” Émile Ntamack, son entraîneur à Bordeaux

À la mêlée ou à l’ouverture, il sait tout faire. Pierre Berbizier prévient: “Attention tout de même à la polyvalenc­e. Michalak, je crois que ça l’a desservi. Il n’aura jamais été le meilleur 9 ou 10. Serin peut rendre service à un groupe, une équipe en 10, mais ça peut le pénaliser dans son parcours personnel.” Du côté de L’UBB, on a anticipé le problème pour le fixer à la mêlée. Une bonne nouvelle, car c’est à ce poste que la France l’attend et qu’elle a le plus besoin de lui. Car c’est bien connu, depuis 30 ans, le rugby tricolore fait défiler les ouvreurs et projette en vain sur eux un Wilkinson ou un Carter, exige qu’ils cumulent les qualités des deux, quitte à les abîmer en route. À force de fantasmer ses 10, elle finit toujours par bricoler au dernier moment. Parfois avec génie. Comme avec Titou Lamaison, centre de métier, troisième ouvreur avant la Coupe du monde 1999 et qui reste auteur du plus beau récital d’un 10 sous la tunique bleue, un après-midi de novembre à Twickenham face à la Nouvelle-zélande. Sans oublier Didier Cambérabér­o, l’ouvreur-buteur décalé à… l’aile pour l’édition de 1987. Couteau suisse des années 2000, Damien Traille a aussi été envisagé comme une alternativ­e sérieuse. C’est dire... Pendant ce temps, Michalak a passé sa carrière à se voir reprocher ses défauts et a été remplacé (sur blesssure) après douze minutes de jeu en quarts de finale du dernier Mondial contre les Blacks par l’improbable Rémi Talès, qui a disparu des radars depuis ce désastre. Bref, ce sont les neuf qui font secrètemen­t chanter le coq. Les noms parlent d’eux-mêmes: Fouroux, Astre, Berbizier, Galthié, Élissalde, Yachvili, Parra et on pourrait compléter la liste sans tirer à la ligne. “On a quand même presque réussi l’exploit de devenir champions du monde en 2011 avec deux neuf comme charnière (YachviliPa­rra, ndlr)”, glisse Élissalde avant de livrer son explicatio­n de cette particular­ité bien de chez nous. “Chez les Anglo-saxons, c’est l’ouvreur qui guide le jeu. Chez nous, c’est le demi de mêlée parce qu’il est plus proche des avants et que notre jeu reste quand même davantage basé sur la conquête, les ballons portés. On a donc besoin d’un joueur pour cornaquer les avants. Très jeune, on va le responsabi­liser, le mettre en avant. Il va se sentir valorisé, ce qui n’est pas le cas de nos 10.” “L’ouvreur est le bouc émissaire tout trouvé”, prolonge Ntamack, bien content d’avoir effectué sa carrière au centre ou sur les ailes. Pas facile, la vie d’un demi d’ouverture en France. Demandez plutôt à François Trinh-duc. Et d’ailleurs, quand les clubs du Top 14 sortent le chéquier pour recruter à l’étranger sur ce poste, ils font davantage confiance au “made in France” concernant les demis de mêlée. Une chance pour Serin qui a pu apprendre le boulot dans le sillage du Sud-africain Heini Adams, avant que les entraîneur­s de L’UBB le jettent dans le grand bain.

Un Aaron Smith à la française?

Dernier refuge des physiques dits “normaux”, le poste de numéro 9 a connu la mode ces dernières années du “neuvième avant” avec les musculeux Byron Kelleher, Mike Phillips ou Jean-marc Doussain (délocalisé à l’ouverture cette saison). Avec ses mensuratio­ns des années 80, Serin n’a lui pas un physique à casser les défenses au bord des regroupeme­nts. Il n’est pas non plus qu’un neuf coquin, option gestion. “C’est un dynamiteur pour l’instant, note Élissalde. Il cherche toujours à mettre du rythme. Avec l’expérience, il va devenir plus stratège.” Si Pierre Berbizier demande de la prudence à son sujet, il lui reconnaît “une aisance technique et un oeil au-dessus de la moyenne”. Il ose même un début de comparaiso­n avec le Néo-zélandais Aaron Smith (85 kg pour 1,71 m), la nouvelle référence du poste. “C’est un animateur comme lui, note l’ancien sélectionn­eur. C’est dans la vitesse donnée au jeu qu’on voit les grands numéros 9. La vitesse dans le jeu des Blacks part d’aaron Smith.” Face à toutes ces comparaiso­ns flatteuses et les éloges qui vont avec, le Landais doit assumer désormais un nouveau statut. Et les attentes d’un public parfois versatile avec ceux qui sont mis dans la lumière. Lors de la récente défaite de Bordeaux à la maison face à Pau, le public a sifflé son chouchou, malheureux ce soir-là dans son rôle de buteur. “C’est bien aussi de voir que tu peux être mis plus bas que terre, préfère positiver Ntamack. Ça fait partie de l’apprentiss­age, se relever après un moment difficile. Tout peut aller vite.” Si la classe donne du crédit, elle ne garantit pas une place de titulaire inamovible. Parce qu’il a fini par passer devant le flamboyant Jérôme Gallion au milieu des années 80, Pierre Berbizier met en garde: “Attention de ne pas attendre de lui des gestes comme sa chistera dans tous les matchs. Des joueurs sont allés au plus haut niveau sur le spectacle. Mais on ne confirme pas au haut niveau seulement avec ces gestes.” Oui, mais on débute une histoire et on donne un peu d’espoir avec. Celle de Baptiste Serin a commencé par une chistera un soir d’hiver après des années d’obscurité, et on a très envie de connaître la suite. PROPOS RECUEILLIS PAR AM ET AP

“C’est un animateur comme Smith. C’est dans la vitesse donnée au jeu qu’on voit les grands numéros 9. La vitesse dans le jeu des Blacks part d’aaron Smith” Pierre Berbizier, ancien demi de mêlée et sélectionn­eur du XV de France

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Le meilleur joueur du monde et Beauden Barrett.
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Caminati veut voler le ballon à un enfant.

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