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Le Pousse au Crime

- PAR CHRISTOPHE GLEIZES ET MAXIME MARCHON / PHOTOS: RENAUD BOUCHEZ ET COLLECTION PERSONNELL­E

Pour le rugbyman ou le supporter qui monte à la capitale, c’est le passage obligé. Au coeur de Saint- Germain, sa cave accueille les plus folles troisièmes mi-temps depuis presque 30 ans. Gueule de bois et histoires mémorables garanties.

Sa devanture en bois laisse croire à un restaurant de raclette. Erreur, au Pousse au crime, on donne depuis presque 30 ans dans la 3e mi-temps. Le Pousse, c’est un peu la province à Paris, des avants qui pleurent au comptoir, des victoires fêtées sur fond de variété française, des défaites noyées dans l’alcool et une ambiance très rugby en fond de cave. Mais c’est avant tout l’histoire d’un bar, de ses propriétai­res, de ses employés et de joueurs qui finissent toujours par y revenir.

Le protocole est immuable. Chaque lendemain de match des VI Nations, il y a débrief ’ devant les journalist­es. Trois quarts d’heure avant, le responsabl­e presse de la Fédération française prévient le coach et/ou le joueur concerné. Ce 21 mars 2010, en l’occurrence, Lionel Rossigneux téléphone à Marc Lièvremont, sélectionn­eur du XV de France. “Je savais pas qu’il était rentré hyper tard. J’ai dû l’appeler machinalem­ent sur le téléphone de sa chambre, aux alentours de 10 h. Je lui ai dit de pas oublier, il m’a répondu ‘Oui, oui’. Et il avait dû se réveiller quatre minutes avant le début de la conférence qui avait lieu dans notre hôtel, le Concorde St Lazare, parce qu’il est arrivé tout ébouriffé.” La veille, la France a battu les Anglais, à l’anglaise (12-10), et réalisé le Grand Chelem. Le neuvième de son histoire. Remise du trophée, tour de terrain, bain collectif dans les vestiaires, banquet, boîtes de nuit du triangle d’or parisien “et à une heure tardive de la nuit, on se retrouve tous au Pousse, resitue Lièvremont. Il était rare que je sorte avec les joueurs et que je me mette... enfin que je sorte jusqu’à pas d’heure. Mais faut voir le contexte, c’était une victoire contre les Anglais. On n’a pas compté ni les verres ni les heures, on y est bien, et quand on sort dehors, il fait jour. Je rentre à l’hôtel, Rossigneux m’appelle. En arrivant, tout le monde me regarde en rigolant. Alors la phrase m’est venue: ‘On peut pas faire la fermeture du Pousse et être à 11 h en conférence de presse.’” De l’avis général, Marc Lièvremont est un bon client. Mais il n’est pas le seul. Au fil du temps, Le Pousse au crime est devenu une institutio­n pour rugbymen en quête de 3e mitemps. Situé dans le quartier de Saint- Germain-des-prés, au 15 de la rue Guisarde, le bar sert depuis longtemps de repaire aux joueurs profession­nels, qu’ils soient de Paris ou d’ailleurs. “Il y a des choses qu’on explique pas, entame Sylvain Marconnet, ancien pilier internatio­nal. Gamin, on m’a dit qu’il fallait détester les Anglais, sans que je ne comprenne vraiment pourquoi. Le Pousse au crime, c’est pareil. J’ai à peine mis un pied au Stade Français qu’on m’en parlait déjà.” Son ancien partenaire de club et de soirées, Pierre Rabadan, confirme: “À la fin des matchs, quand on se serrait la main entre adversaire­s, on se donnait rendez-vous plus tard rue de la soif, et 90 % du temps, on finissait au Pousse.” Désormais âgé de 36 ans, l’ancien troisième ligne aile du stade Français connaît la fameuse façade en bois aux faux airs de chalet, la sonnette sur la porte, le sourire du videur. “La découverte des lieux, c’est particulie­r, se souvient-t-il. C’est hyper sombre, presque caverneux. Quand tu avances dans l’obscurité, tu découvres de nouvelles salles au fur et à mesure.” Trois, pour être précis. La première en entrant est agrémentée sur sa gauche d’un bar où pendent des écharpes colorées de Brive ou de Béziers, tandis qu’un petit escalier à droite mène vers une mini-discothèqu­e en sous-sol connue pour ses attroupeme­nts de femmes mâtures en fin de soirée. À l’étage, au fond de cette première pièce dans laquelle Godefroy de Montmirail et Jacquouill­e ne départirai­ent pas, un autre bar très axé sur la chanson française des années 80. “C’était mon endroit préféré, entame Marconnet, mélomane. Faut pas me lâcher sur Les lacs du Connemara.” Pour y accéder, il faut passer une petite ouverture taillée dans la pierre d’époque et longer un corridor qui épouse les contours d’un puits, sans se cogner la tête bien sûr. Difficile d’imaginer les silhouette­s de deuxièmes lignes éméchés y déambuler. “Il faut pas être claustro, sourit David Auradou, du haut de ses deux mètres. Mais le jeu en vaut la chandelle. Par définition, dans notre sport, si tu veux être bon, t’as besoin de partager. Les soirées, c’était un tout: un match et un après-match.” “Je ne me souviens pas de tout, mais j’ai vécu des moments exceptionn­els, reprend Marconnet, qui a eu la chance de fêter plusieurs titres sur place. Je ne peux pas en dire plus, sinon ça risque de compromett­re beaucoup de personnes…”

“Elle s’était jetée du troisième étage”

Pour comprendre comment ce bar, situé au rez-de-chaussée d’un immeuble anonyme du xviiie siècle, est devenu le repaire des joueurs de rugby, il faut remonter dans les années 60. À l’époque, le sixième arrondisse­ment fourmille d’étudiants et d’artistes. “On disait pas encore les bobos”, sourit Christophe Lavergne, le patron du lieu, qui possède une petite colonie dans la rue puisqu’il tient aussi le Purdey et le Birdland avec Laurence, sa rutilante ex-compagne. En 1958, Jean Castel décide d’ouvrir son troisième club, Chez Castel, au 15 de la rue Princesse. “C’est avec lui que tout a commencé, reprend le gérant, en fumant une cigarette au comptoir du fond. Avant, il n’y avait rien.” Animateur hors pair, Castel prospère, au point de faire de son club la boîte la plus connue au monde dans les années 70. Madonna, Prince, Coluche, Deneuve, Belmondo, Johnny, Sagan, Dalí ou Gainsbourg... Le gratin se rue dans ce temple du chic et de l’ostentatio­n. “C’est quand même un mec qui a refusé Mick Jagger, précise Christophe, qui a de belles oreilles en chou-fleur, héritées de son passé de pilier au Racing et à L’ACBB. Cela lui a fait une pub terrible! Mais c’était pas calculé.” S’il surplombe la nuit parisienne, Castel n’en n’oublie pas d’où il vient pour autant. Ancien du Racing, il a gardé de nombreuses amitiés dans le monde du rugby et fait croquer. “Les soirs de match, il laissait rentrer tous les mecs qui, en temps normal, n’auraient pas pu mettre un pied dedans. Pour les gars de Pau ou de Brive, aller chez Castel, c’était quelque chose”, témoigne Christophe “toléré” à l’époque en tant que voisin. Petit à petit, les virées des fans de rugby deviennent régulières, et le quartier une enclave provincial­e à Paris. Tant et si bien que les pubs qui se montent autour de Chez Castel prolifèren­t. “Le Bedford, ce sont des anciens du PUC qui ont monté ça. Le Birdland, qu’on vient d’acheter il y a trois mois, était tenu par un type de Perpignan. Le Purdey, c’était le coin du Racing”, énumère Christophe, qui a repris ce dernier en 1989, au hasard des circonstan­ces, alors qu’il travaillai­t au départ dans les transactio­ns de fonds de commerce. Et le Pousse dans tout ça? Il résiste alors à la poussée ovale. Depuis 1958, il est tenu par Yvonne Cochoix, une petite blonde un peu sèche, décrite par les gérants d’aujourd’hui comme “une lesbienne un peu acariâtre”, une teigne terrible, arrivée juste avant Castel. “Ici, c’était un bar lesbien, mais elle faisait aussi rentrer avec parcimonie des bons clients, se souvient Christophe, qui gère une douzaine d’employés. Quand les mecs arrivaient, il n’y avait que des meufs. C’étaient pas des prostituée­s,

“Schalk Burger buvait des Jet 27, quand soudain il se met à manger un billet de 20 euros… ‘ Arrête, arrête…’ Je lui ai enlevé le billet de la bouche. On avait passé une soirée extraordin­aire” Dom’, barman au Pousse depuis 20 ans

mais ça michtonnai­t quand même un peu. S’il y avait un petit billet qui glissait, ça permettait d’aller chez le coiffeur le lendemain.” En trois décennies de gérance, Yvonne a accumulé pas mal de dossiers tabous. “Elle avait vu tous les commerçant­s du coin se faire pomper dans ses chiottes, résume Christophe, en peu de mots. Cela lui donnait une force terrible… Malgré sa méchanceté, je l’aimais bien, parce que c’était un personnage.” Yvonne sympathise avec son nouveau voisin, chez qui elle va boire quelques coups à l’occasion. “On était les seuls qu’elle aimait bien parce qu’on foutait un peu le bordel dans la rue, en passant notre musique française. À l’époque, quand tu mettais Johnny, t’avais 50 % du bar qui dégageait. Maintenant, c’est inversé.” Comme tout le monde cependant, Yvonne vieillit. Alors qu’elle arrive sur ses 70 ans, la matrone fatigue, en même temps que le chiffre d’affaires de son cabaret. En 1991, elle part ouvrir un restaurant à Perros- Guirec, pour finir ses vieux jours en Bretagne. Elle propose la gérance à son voisin préféré: “Je sais que tout le quartier veut le Pousse... Mais comme je les emmerde tous, est-ce que ça vous tente?” Christophe accepte et prend possession des lieux. Son premier souci: changer la réputation de l’endroit, en optant pour une ambiance plus rugby. “La clientèle n’a pas compris tout de suite. De temps en temps, il y avait des mecs bien propres sur eux qui rentraient, regardaien­t et repartaien­t.” Deux ans plus tard, un liquidateu­r se pointe pour saisir les biens de Mme Cochoix –ses affaires en Bretagne ont tourné court– et lui proposer de reprendre le lieu. Christophe fouille les fonds de tiroir, demande à des amis de l’aider en toute discrétion. Le Pousse au crime devient sa propriété. C’est le début d’une longue histoire d’amour, que Laurence, arrivée un peu après, va aussi embrasser. Le couple s’est rencontré au bord des terrains. “C’était une de mes groupies, je l’ai sortie du ruisseau”, se marre l’ancien pilier en écrasant sa clope. De l’avis de tous, quand on parle rugby, madame est une fanatique. À l’époque, elle est très amie avec la femme du coach des jeunes du Stade Français. “Elle était tout le temps aux matchs, confirme Rabadan. Elle a créé des attaches fortes avec toute la génération 99 du Stade Français. C’est donc rapidement devenu quelque chose de sincère, au-delà d’une simple relation client-propriétai­re.” Les joueurs du Stade, du Racing ou de L’ACCB commencent à faire du Pousse leur QG. Un endroit en pleine mutation que n’a pas oublié Yvonne, qui toque à la porte un soir, totalement “atomisée”. Christophe la loge dans un petit appartemen­t, au troisième étage de l’immeuble, destiné à l’un de ses employés. “Elle est restée au-dessus pendant six mois. Tous les restaurant­s du coin lui amenaient un truc à manger. Mais on sentait qu’elle n’était pas bien. Elle avait toujours vécu dans l’opulence, et là, c’était la quille.” Le dénouement est sombre. Christophe le raconte en frissonnan­t: “Un matin, je sortais les poubelles dans la cour, et j’ai été le premier à la voir. Elle s’était jetée du troisième étage, avec son chien.”

Une marelle avec maman Yachvili

Aujourd’hui encore, les patrons du Pousse au crime restent marqués par cette tragédie. “C’était pas beau”, raconte Dominique Dupuy, lové dans une terrasse chauffée d’une brasserie de Montrouge. “J’ai laissé Christophe faire, j’ai fermé la porte et je me suis arraché. Je pouvais pas voir

“Avant, on pouvait faire des mêlées et des lancers en touche dans la rue. Maintenant, quand un mec appelle pour le bruit, le commissari­at fait son boulot” Christophe, copropriét­aire du Pousse au crime

ça”. Avec sa gouaille et ses faux airs de Louis Nicollin, Dom’ le barman est une figure incontourn­able de la rue de la soif. Cigarette électroniq­ue en main, il a l’accent fleuri et parle d’une voix rauque pas épargnée par deux décennies de fêtes, d’alcool et de clopes. Jean-dominique, de son vrai nom, a rejoint le Pousse en 1997, quelques années après que Christophe et Laurence, aujourd’hui divorcés, en deviennent les proprios. À l’époque, il est commercial à Brive. “Je venais d’être licencié de ma boîte, j’étais à la ramasse complet, résume-t-il. Je suis monté sur Paris avec 100 balles dans les poches.” Une copine, la fameuse Denise, lui propose un emploi de barman dans son club libertin. Un soir, via une connaissan­ce commune propriétai­re d’un autre bar du quartier, il est présenté à Christophe. Les deux hommes se connaissai­ent déjà un peu, de par leur passé respectif de joueurs de D2.“J’allais repartir et m’enterrer à Brive, quand Christophe me dit qu’il a besoin d’un mec comme moi. Comme j’avais pas envie d’aller pointer à L’ANPE, je lui ai dit banco, mais pour six mois.” Le contrat dure depuis 20 ans. Domi s’épanouit très vite dans son nouveau boulot. “Je me sentais plus dans mon élément qu’au 41, quand je voyais les autres se faire pomper et se mettre un doigt dans le cul. Je tairai les noms par pudeur, mais quand t’as vu des mecs du showbiz se prendre pour des clébards, ils te font plus rire quand ils passent à la télé.” Outre son bagou, Domi apporte son entregent: il a joué à la marelle avec la mère de Dimitri Yachvili, connaît Alain Penaud depuis ses huit ans, croise souvent Patrick Sébastien. “En 1997, quand Brive est champion d’europe, je faisais le décrassage avec eux tous les lundis matin, racontet-il. Entre deux étirements, j’ai commencé à leur raconter les soirées au Pousse. Du coup, dès qu’ils avaient un match sur Paris, ils venaient.” Sella, Viars, Penaud constituen­t la première vague. Suivront Carbonneau, Lamaison et Venditti. “Il y a eu un effet boule de neige, c’est ce qui a fait monter la renommée et la températur­e.” La légende est en marche. Les années 2000 sont celles de la consécrati­on. Dans le microcosme du Top 14, on vient au Pousse comme on débarque dans une maison de famille. Une valeur très appréciée des joueurs, lassés du bling-bling parisien et des faux semblants. Outre Domi, Phiphi est à la porte depuis 15 ans et Franck, le DJ, est fidèle au sous-sol depuis 13 ans. “J’ai tout de suite retrouvé cet esprit provincial qui me manquait tant en plein coeur de la capitale”, confirme Marconnet. “Il y a l’ambiance, la musique, les tarifs, c’est un tout, poursuit Auradou. Parfois, quand tu vas dans une discothèqu­e, t’as l’impression de passer par un portique de sécurité tellement les videurs te dévisagent. À l’intérieur, les gens se regardent en chien de faïence. Le Pousse au crime, c’est l’antithèse de tout ça.” La recette de la troisième mi-temps parfaite tiendrait selon les propriétai­res en un triptyque sacré. “D’abord, de la bonne musique française, c’est indispensa­ble!” commence Christophe, dont le pêché mignon est de passer Le chant des partisans en fin de soirée. Ensuite vient l’égalité. “Que tu sois internatio­nal ou une petite baltringue qui joue à Quevilly, tu es aussi considéré, prévient Domi. Ici, tout le monde est égal devant l’impôt. Quand des mecs qui gagnent 15 000 euros me demandent une ristourne, je leur montre le petit à côté qui prend moins que le SMIC et paye sans broncher. Ils me disent tous ‘pardon tonton’.” Enfin, une soirée ne serait rien sans conviviali­té. Un mot que le Pousse a élevé au rang d’art, avec ses soirées interminab­les où tout le monde termine entassé dans la salle du fond, au milieu d’une brume de fumée et torse nu le plus souvent. Existent bien quelques interdicti­ons, que liste ici Domi, intraitabl­e: “On ne montre pas sa bite, on crache pas dans le verre, et on ne pisse pas contre le comptoir.” Bref, le champ des possibles reste large. “En partant, les mecs nous disaient merci. Ils en avaient les larmes aux yeux”, raconte Christophe ému.

“Viens me sucer”

Des anecdotes de troisième mi-temps, ce n’est donc pas ce qui manque. Chacun a sa préférée. Pour Christophe, elle remonte à 2007, année de Coupe du monde en France, lorsqu’il voit débarquer le All-black Byron Kelleher, seul. “Je me dis: ‘C’est pas possible, c’est pas lui.’ Et si, c’était bien lui. Je le vois enchaîner au bar: vodka, vodka, vodka. Derrière, le T-shirt enroulé autour de la tête, il nous fait un haka sur le comptoir, à 4 h du matin…” Dom’, pour sa part, a encore en tête la fois où le Sud-africain Schalk Burger lui a rendu visite quelques jours avant son quart de finale contre les Fidji. “Il était gentil mais défoncé. Il buvait des Jet 27, quand soudain il se met à manger un billet de 20 euros… ‘Arrête, arrête…’ Je lui ai enlevé le billet de la bouche. ‘Oh my friend…’ qu’il m’a répondu. On avait passé une soirée extraordin­aire.” Qui dit alcool dit aussi bagarre. Si, de l’aveu de tous, elles sont très rares, il y a quand même eu des gifles (“un jour, Auradou en a mis une énorme à William Servat”), des coups de poing et de belles générales. Dans ces cas-là, les 9 ne sont jamais loin. “Il y a une vraie typologie des postes en soirée, analyse Laurence. Les gros sont en général beaucoup plus festifs que les arrières. Je les aime, mes numéros 9, mais c’est souvent les petits chieurs: Dupuy, Parra, Carbonneau, Mahé, Torossian...” Son ex-mari opine: “Les numéros 9 sont casse-couilles. Celui qui m’impression­nait le plus, c’était Frédéric Torossian. À chaque fois qu’il venait, tout le quartier était en panique. Moi, je lui foutais un mec qui ne le lâchait pas d’une semelle de toute la soirée.” La rixe qui a le plus marqué Laurence reste une baston jamais débutée. Ce qui ne l’empêche pas, rétrospect­ivement, de lui faire froid dans le dos, puisqu’elle concerne Marc Cécillon. “Je débarrasse les verres pour donner un coup de main à la table où il est assis et je me fais traiter de salope, de pute, ‘viens me sucer’. Moi qui n’ai peur de rien, je l’attrape, je lui dis: ‘Espèce d’abruti, t’es qui pour me parler comme ça?’ Comme je lui ai tenu tête, il voulait me défoncer. Heureuseme­nt, ses potes sont intervenus.” S’il a déjà eu à virer de son bar Philippe Carbonneau ou Richard Dourthe, Dom’ ne redoute pas tant les arrières que les îliens: “Eux, ils ne savent qu’une chose: boire, boire et après, se foutre sur la gueule. Il faut toujours qu’il y ait cette loi du plus fort, c’est ce que m’avait expliqué Sotele Puleoto. Du coup, quand ils pètent un plomb, ils emplâtrent tout le monde, garçon ou fille.” Car oui, les filles se pressent elles aussi devant l’enseigne gothique du Pousse. Il faut bien l’avouer, cela n’a pas toujours été le cas. Pour Christophe, il y a clairement un avant et un après Max Guazzini. L’homme qui a changé l’image du rugbyman “gros et con”. “Grâce à Max, les filles ont presque remplacé

“Je débarrasse les verres pour donner un coup de main à la table de Marc Cécillon et je me fais traiter de pute. Moi qui n’ai peur de rien, je lui réponds: ‘Espèce d’abruti, t’es qui pour me parler comme ça?’ Il voulait me défoncer. Heureuseme­nt, ses potes sont intervenus” Laurence, copropriét­aire du Pousse au crime

les bastons du jour au lendemain!” Forcément, les joueurs avaient mieux à faire. “Quand les Barbarians arrivaient, il y avait une horde de greluches en jupes, se moque Mathilde, fille aînée de Laurence et Christophe, qui a repris la gestion du lieu. Ils étaient tous beau gosse, ça envoyait du pâté. Ils avaient qu’à se baisser et c’était plié.” Si aucun enfant n’est né au Pousse, certains parents s’y sont rencontrés: “On a quelques mariages à notre actif, confirme Dom’. Il y a aussi des filles qui ont fait des belles carrières, quelques petits aspirateur­s (sic) qui ont connu quelques capes.” Mais les vraies, les seules filles du Pousse au crime auxquelles les rugbymen sont restés fidèles, ça reste Laurence, d’abord, et ses deux filles. Pour toute une génération de joueurs, une maman et des soeurs d’adoption. “J’ai vu des deuxièmes lignes, des mecs immenses, pleurer derrière le bar dans les bras de Laurence, renseigne Christophe. Le mec, ça lui fait du bien. Pour beaucoup, Laurence est une seconde mère.” Si Pierre Rabadan lui en demande peut-être un peu moins aujourd’hui, celui qui est élu “meilleur client” du Pousse échange encore très souvent par SMS avec Lolo, envoyant des photos de son tout jeune fils. Il explique cette affection. “Elle observe beaucoup, Laurence. C’est quelqu’un qui aime profondéme­nt les autres. On a souvent fermé l’établissem­ent avec elle et on partait manger un bout ensemble ensuite.”

La fête d’élection de Laporte

Et aujourd’hui? Les temps ont changé, et les soupes à l’oignon se sont espacées. La faute à une généralisa­tion de la loi du silence à Paris. “Avant, on pouvait faire des mêlées et des lancers en touche dans la rue. Maintenant, quand un mec appelle pour le bruit, le commissari­at fait son boulot”, regrette Christophe, qui se souvient de l’époque où la maréchauss­ée venait à 9 h pour fermer l’établissem­ent pour repartir à 11 h, avec quelques verres dans le cornet. Les joueurs aussi ont changé. Profession­nalisation, contrats d’images, charte de bonne conduite des clubs, multiplica­tion des séances quotidienn­es et importance croissante, donc, des plages de repos ont fini par édulcorer les fameuses troisièmes mi-temps. Mais tous s’accordent à dire que ce qui a fini par les tuer, ce sont les réseaux sociaux. “Un vrai souci, car au fond les mentalités n’ont pas changé. Les jeunes restent de gros fêtards, mais abusent moins de peur que ça sorte, analyse Sylvain Marconnet. À mon époque, à part les 400 personnes du Pousse, personne ne m’avait vu.” Une constatati­on qui inspire une certaine nostalgie à Dominique: “Les belles années qu’on a vécues, on les revivra plus jamais.” Et de poursuivre, sondant le tréfonds de son âme: “Même moi, je me sens plus vieux. Je sais que j’ai plus fait de montées que de descentes, mais maintenant, je vais faire surtout des descentes.” Il croit pourtant que les soirées rugby du Pousse existeront toujours. Grâce à Mathilde, élevée dans la culture de la fête et les valeurs de l’ovalie. “C’est une polycopie de sa mère. Elle aime les gens, elle a la bosse du commerce. L’esprit peut se pérenniser.” De ce point de vue, l’équipe de France à 7 semble avoir pris le relais. “Ils perpétuent l’ambiance d’avant, assure-t-elle. Il y a aussi Bègles-bordeaux. Ils sont venus qu’une seule fois, mais c’était solide.” Assez en tout cas pour rassurer une Laurence tout aussi triste de voir le fleuve du temps s’écouler: “Quand je les vois, les rugbymen qui sont potes avec mes filles, je me dis que c’est les mêmes bringues qu’on faisait il y a 15 ans. Ils se mettent un peu moins sur le toit, mais ils s’en mettent des bonnes quand même. C’est juste moi qui me met des barrières mentales.” Et quand les jeunots ne sont pas là, les anciens passent toujours, pour prendre un bain de jouvence. Dernièreme­nt, Bernard Laporte est venu fêter son élection à la tête de la FFR. “On était avec des potes et on célébrait la victoire, confirme ‘ Bernie le dingue’. Je vais plutôt au fond parce qu’il y a de la chanson française et que je m’y sens bien.” Un petit coin de paradis bien français celui-là. TOUS

“La découverte des lieux, c’est particulie­r. C’est hyper sombre, presque caverneux. Quand tu avances dans l’obscurité, tu découvres de nouvelles salles au fur et à mesure” Pierre Rabadan, élu meilleur client du Pousse au crime par la direction

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