Tampon!

Gaëtan Germain

Avec sa tête de Monsieur Tout-le-monde, il est le meilleur réalisateu­r du Top 14 depuis trois ans. Il aurait pu devenir footballeu­r, mais Gaëtan Germain fait aujourd’hui le bonheur de Brive en attendant que les portes du XV de France s’ouvrent enfin à lui

- PAR ALEXANDRE PEDRO, À BRIVE / PHOTOS: YOHAN BONNET POUR TAMPON! ET PANORAMIC

Il aurait pu devenir footballeu­r, il est finalement le meilleur buteur du Top 14 du côté de Brive. De quoi devenir le joueur préféré de François Hollande.

Un président a dit ça. C’était à la mi-temps de France-italie en février 2016 au micro de France 2. “C’est une jeune équipe, donc il faut qu’elle se rode. Et en même temps, j’ai vu que les buteurs peinaient à marquer. Comme vous le savez, il y a un excellent buteur à Brive mais je ne veux rien ajouter.” À mi-chemin entre l’ancien élu de Corrèze et “Monsieur Petites Blagues” (son surnom quand il dirigeait le PS), François Hollande suggère au nouveau sélectionn­eur, Guy Novès, de donner sa chance à Gaëtan Germain, meilleur réalisateu­r du championna­t, avec pas loin de 85% de réussite. Depuis, Germain a eu droit à des “Gaëtan Hollande” et d’autres plaisanter­ies du même genre de la part de ses coéquipier­s. Mais comment réagit-on quand le président de la République fait notre pub à la télé? “Ce jour-là, je revenais de vacances et j’étais à l’aéroport. Au moment d’embarquer, je reçois plein de SMS. Je ne comprenais pas trop ce qui se passait. C’est assez improbable que le président parle de toi, admet le garçon de 26 ans. Après, il n’y a eu aucune influence, je n’ai pas été appelé en équipe de France pour autant.” Peut-être parce que le patron du XV de France a le bulletin à droite? Peutêtre aussi en raison du profil atypique du favori de l’hôte de l’élysée. Gaëtan Germain ne serait qu’un pied, un ouvrier spécialisé du rugby. Un arrière qui enquille les pénalités et puis disparaît en troisième rideau. “Avoir été catalogué buteur dès le départ, c’était plus négatif qu’autre chose, finalement”, regrette-t-il lové dans un canapé du club house du CAB. Dans un coin de la salle, on aperçoit la couverture encadrée de L’équipe du 26 janvier 1997. “Brive, le rugby comme on l’aime”, titre le quotidien sportif au lendemain de l’éclatante victoire des hommes de Patrick Sébastien en finale de la toute jeune Coupe d’europe face à Leicester. Mais sans doute qu’à l’époque, le regard de Gaëtan Germain ne se serait pas porté sur Sébastien Viars filant vers le premier des quatre essais corréziens, mais plutôt sur la photo de droite où un jeune et encore moustachu Thierry Henry déborde Laurent Fournier lors d’un Monaco-psg.

“C’est quoi un ruck?”

Germain est un “manchot” défroqué, un rugbyman qui s’est rêvé footballeu­r avant que le destin et un certain atavisme ne changent la forme du ballon dans lequel il tape aujourd’hui. “Gaëtan aurait pu jouer en Ligue 1 je pense, sans exagérer. Il avait le niveau.” La Ligue 1, Baptiste Reynet connaît un peu. Avant d’être l’un des meilleurs amis de l’artificier briviste, il est d’abord le gardien de Dijon. Entre les deux, l’histoire remonte à l’école de foot de MoursSaint-eusèbe dans la Drôme. Baptiste garde déjà les buts, Gaëtan brille comme milieu de terrain avant de reculer en défense quand le duo part pour Valence, le club phare du départemen­t. À 14 ans, Germain domine déjà ses camarades d’une tête. “Il était clairement au-dessus et les entraîneur­s le surclassai­ent, indique Reynet. C’était un des tout meilleurs joueurs du départemen­t. Il n’a juste pas eu de chance.” Et

“Gaëtan aurait pu jouer en Ligue 1, je pense, sans exagérer. Il avait le niveau” Baptiste Reynet ami d’enfance et gardien de Dijon

surtout un été 2005 pourri. Valence (pourtant promu en Ligue 2) dépose le bilan et son jeune défenseur est victime d’une fracture de la malléole. À peine remis, il effectue des essais dans les centres de formation de Grenoble, Nice et Lyon. Trois refus. “Je n’avais pas récupéré mon niveau après ma fracture, mais je crois qu’au fond de moi-même je n’avais pas envie d’y aller, confie-t-il. Je n’avais même pas 15 ans et je ne me voyais pas partir de chez moi. Inconsciem­ment, je n’ai sans doute pas donné le meilleur de moi-même. J’y suis allé pour faire plaisir à mon père. Il voulait que j’essaye pour ne pas le regretter plus tard.” Aujourd’hui, c’est Thierry Germain qui ne regrette pas que le fiston ait bifurqué un an plus tard vers le rugby pour marcher sur ses traces. À la fin des années 80, Germain père file comme l’éclair sur son aile du côté de Romanssur-isère et devient même champion de France Reichel (moins de 21 ans, ndlr) avec le père de… Baptiste Reynet. Dans la bande, il y a aussi un autre ailier aux jambes arquées mais à l’efficacité déjà redoutable, un certain Philippe Saint-andré. “Mon père est resté très ami avec lui –quand Philippe repasse à Romans, ils prennent toujours un café ensemble– mais moi, j’ai dû lui parler deux fois en dix ans.” Manière de couper court aux allusions de la presse spécialisé­e quand son nom revenait pour intégrer le XV de France alors dirigé par PSA. Une amitié pas beaucoup plus utile que le soutien de François Hollande pour décrocher une première sélection. Il faut bien dire que Germain est encore de la glaise à travailler à l’échelle d’un sport qu’il ne pratique jamais que depuis dix ans. Quand il pousse la porte de L’US Romans “pour faire un peu comme les copains et parce [qu’il] en avai[t] marre du foot”, il n’imagine pas être repéré par Bourgoin et partir en tournée en Argentine avec l’équipe de France junior deux ans plus tard. Si le rugby n’est pas compléteme­nt une langue étrangère pour lui, certaines subtilités lui échappent. “Je ne connaissai­s pas toutes les règles. Un truc tout con: on m’avait mis capitaine lors de ma première année à Romans. L’arbitre vient me voir pour dire comment il va siffler dans les rucks. Moi, je vais voir mes partenaire­s et je leur demande: ‘C’est quoi un ruck?’ Quand tu ne sais pas ça, c’est que tu pars de loin.” Il peut bien se creuser la tête, Philippe Carbonneau, l’entraîneur des lignes arrière du CAB, ne trouve pas un autre cas comparable. “J’ai connu des types débarqués du foot à 12 ans, mais pas à 16. Forcément, il a un profil différent des autres.”

Monsieur 60%

Un pied d’abord. “On m’a mis buteur dès le premier match, je l’ai toujours été depuis”, indique celui qui a encore empilé 21 points quelques jours plus tôt lors d’un improbable déplacemen­t à Sotchi face aux Russes d’enisey en Challenge Cup. Le Germain du début n’est pas encore un produit fini. “Au niveau des passes, ce n’était pas trop ça, mais j’étais costaud, je courais vite et j’avais un jeu au pied qui sortait du lot. Quand tu dégages un ballon et qu’il traverse tout le terrain, tu te fais vite remarquer à 16 ans.” Même dans sa manière de buter, l’ancien stoppeur détonne. Loin de la préparatio­n robotique de Wilkinson et de ses nombreux imitateurs, Germain donne plutôt dans l’épure. “Il pose le ballon comme un footballeu­r avant un coup franc et tape dedans”, résume Carbonneau. Et Baptiste Reynet de préciser: “Il est accroupi quand il pose son ballon alors que tous les autres buteurs pose un genou à terre. C’est le foot ça.” Avec lui, pas de prise de tête. On visualise sa cible, on respire un grand coup et on expédie le ballon entre les perches. Même Gonzalo Quesada, auteur d’un mémoire en biomécaniq­ue sur le geste du buteur, n’a rien trouvé à redire lorsqu’il le dirigeait au Racing 92. “Il m’avait dit qu’il n’avait rien à toucher dans ma frappe, qu’elle fonctionna­it très bien ainsi et il ne voyait pas trop ce qu’il pouvait m’apporter de plus.” Dans le club des Hauts-de-seine où il arrive en 2011, l’ancien footeux peine à trouver sa place dans un effectif pléthoriqu­e. En attaque, il n’arrive pas à baisser le frein à main et on lui reproche d’éviter les contacts malgré son quintal sur la balance pour 1,90 mètre. “L’attitude au contact, j’avais du mal au début et c’est toujours un peu compliqué, reconnaît-il. Les gros plaquages, les déblayages, ce n’est pas naturel chez moi. J’ai bien progressé mais ça reste un point faible.”

“C’est assez improbable que le président de la République parle de toi. Après, il n’y a eu aucune influence, je n’ai pas été appelé en équipe de France pour autant” Gaëtan Germain, déçu du hollandism­e

En 2013, son agent lui évoque la possibilit­é d’un prêt à Brive. Au départ, Germain n’a pas une grande envie de Corrèze. “Ce n’était pas trop le club qui m’attirait, je situais pas trop la ville sur une carte pour être honnête.” S’il arrive en reculant, il découvre les charmes d’une ville où les résultats du week-end alimentent les discussion­s toute la semaine. Et depuis trois ans et demi, on parle beaucoup de cet arrière auteur de plus de 60% des points marqués par son équipe et deux fois meilleur réalisateu­r du Top 14 en trois saisons. Mais Germain varie aussi les plaisirs. Le buteur sait remonter les ballons, traverser les défenses et faire parler sa vitesse. Toujours à sa façon comme l’a bien remarqué Baptiste Reynet. “Il ne va pas mettre des cadrages-débordemen­ts. Il n’a pas les mêmes appuis que les autres rugbymen, ils sont plus courts. Je me souviens d’un essai contre Oyonnax où il remonte 60 mètres en contournan­t toute la défense juste sur sa vitesse.” Carbonneau confirme. “Il pourrait davantage aller défier avec son physique, mais il est surtout dans l’évitement. Il a de grosses qualités de relanceur et on commence enfin à s’en apercevoir.” Pas assez encore pour Guy Novès qui lui préfère pour l’instant des profils d’arrières supposés plus relanceurs (Dulin, Speeding ou Médard). Germain attend donc son heure, sans rien revendique­r ni saturer les réseaux sociaux. Un joueur “normal” dont la seule intrusion hors terrain est une participat­ion à un tournoi de poker aux côtés de Vikash Dhorasoo. “On était à la même table, mais il ne devait sans doute pas savoir qui j’étais.” Lui en revanche avait une petite idée du pedigree de son voisin. Gaëtan Germain n’a pas oublié son premier amour de jeunesse. Ligue 1, Ligue des champions, équipe de France: le rugbyman consomme encore pas mal de foot et affiche un faible pour le Dijon de Baptiste Reynet avec lequel il a effectué à l’adolescenc­e quelques déplacemen­ts dans le bus des Yankees pour supporter L’OM au Vélodrome. “Avant ça, il était pour Saint-étienne, puis Lyon avant de passer à Marseille. Le mec n’est vraiment pas crédible”, chambre son gardien de copain. “Je ne suis pas très fidèle”, admet l’accusé en souriant. Heureuseme­nt pour les supporters brivistes, il est moins volage quand il s’agit d’évoquer son avenir. “Je me sens bien à Brive. J’ai du temps de jeu, on me fait confiance… Pourquoi aller ailleurs?” Voilà une bonne nouvelle pour François Hollande qui aura davantage l’occasion de venir le voir enquiller les pénalités au stade Amédée-domenech la saison prochaine. TOUS PROPOS

“Il pourrait davantage aller défier avec son physique, mais il est surtout dans l’évitement. Il a de grosses qualités de relanceur et on commence enfin à s’en apercevoir” Philippe Carbonneau, son entraîneur à Brive

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Germain, tranquille en troisième rideau.

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