Tampon!

Sarcelles

C’est un territoire où le ballon ovale n’avait rien d’un réflexe naturel. Plus cassoulet que KFC, le rugby français commence pourtant à se tourner vers les talents issus de la banlieue parisienne. Comme à Sarcelles, d’où sont sortis l’internatio­nal Rabah

- PAR MAXIME BRIGAND, À SARCELLES PHOTOS: RENAUD BOUCHEZ POUR TAMPON!

Et si l’avenir du rugby français passait aussi par les banlieues? Visite dans le club du Val-d’oise sur les traces de Rabah Slimani ou Sekou Macalou.

Les silhouette­s s’agitent, elles se frottent, se soulèvent et se couchent aussi, par moments. Là, dans un coin du centre sportif NelsonMand­ela de Sarcelles, le silence environnan­t est découpé par les rires de la jeunesse et la grosse voix de “la machine de guerre”. Le bonhomme laisse s’agiter le pompon de son bonnet dans le froid de cette soirée de janvier et guide ceux qu’il appelle ses “petits frères”. Au club depuis presque dix ans, Matthieu Lhomme refuse l’étiquette d’entraîneur –fonction qu’il occupe pourtant sous sa parka auprès des cadets de l’associatio­n amicale et sportive de Sarcelles (AASS)– et préfère celle “d’éducateur spécialisé”. Il précise: “Ici, souvent, nos jeunes préfèrent venir au rugby plutôt qu’être chez eux. C’est un exutoire où on leur apprend le respect de certaines valeurs. Ce que l’on veut vendre, c’est de la formation, pas des enfants. Je viens de L’isle-adam, donc avant de venir ici, je n’avais pas vu beaucoup de tours mais désormais, je ne partirais pour rien au monde.” Il suffit de lever la tête et de tendre l’oreille pour comprendre ce que peut représente­r la réalité d’un club familial. À l’entrée des vestiaires sous la tribune, des cris percutent le calme. On dirait plutôt des larmes. “Pourquoi tu pleures?” chambre Pacôme, barbe finement taillée au-dessus du maillot de L’AASS. “Mais il fait trop froid! J’en peux plus”, bredouille un gamin frigorifié avant l’entraîneme­nt du soir. Pacôme, c’est Pacôme Zohouri, le responsabl­e de l’école de rugby, devenu vice-président du club cette année. Pour lui comme pour beaucoup à Sarcelles, le rugby n’avait rien d’une évidence au début. “J’ai commencé ici en cadet. Ma mère ne voulait pas entendre parler du rugby. L’ancien vice-président du club habitait dans mon bâtiment et voulait que je vienne jouer. Ma mère avait peur de la violence, de tout ce qu’elle voyait à la télé. Aujourd’hui, elle me dit qu’elle aurait dû me laisser y aller plus tôt, sourit-il. C’est toujours dur de faire venir les jeunes mais maintenant que certains ont réussi, des mecs que tout le monde connaissai­t à Sarcelles, le rapport commence à s’inverser.” Pour savoir qui sont ces “mecs”, il suffisait de se rendre au stade Marcel-michelin de Clermont le 23 décembre dernier pour voir L’ASM gifler le Stade Français avant la bûche de Noël (46-10). Côté parisien, l’internatio­nal Rabah Slimani et le flanker Sekou Macalou étaient titulaires. Les deux ont retrouvé après la rencontre leur pote Judicaël Cancoriet, le troisième ligne clermontoi­s, toujours blessé. Leur point commun? Être venus au rugby pour essayer, un jour, à Sarcelles.

L’antichambr­e et le social

Au fond, voir des gamins de Sarcelles porter le maillot du XV de France n’est “pas naturel”. Pourtant, Rabah Slimani affiche déjà 30 sélections à 27 ans à l’heure où l’on parle davantage dans la ville du meilleur joueur de Premier League la saison dernière, Riyad Mahrez. Grandir dans les grands ensembles de la commune de 56 000 habitants du Val-d’oise, c’est avant tout ça: jouer au foot sur les dalles, claquer des volées au city-stade plutôt que plaquer dans le froid. Mais que s’est-il passé pour que L’AASS devienne aujourd’hui l’antichambr­e de Massy (Fédérale 1) qui s’occupe ensuite de polir les pépites pour les clubs du Top 14? Il y a d’abord eu un travail de fond pour convaincre les gosses d’essayer ce drôle de sport avec ses règles a priori aussi abordables que la physique quantique. Un premier pas qui passe d’abord par les écoles et le tournoi annuel –qui a regroupé l’an passé 1 500 jeunes. Rabah Slimani a été repéré à l’occasion de cet événement, alors qu’il était en CE2. “Dès qu’on l’a vu jouer, on s’est dit qu’il fallait l’emmener au rugby, replace le président de L’AASS, Florian Kubiak, qui a ensuite coaché celui qu’il considère comme “le meilleur pilier droit du monde actuelleme­nt” chez les minimes. On avait rapidement repéré son potentiel sauf que pour progresser, un jour, il fallait qu’il parte.” Slimani s’envolera pour le Stade Français, où il deviendra champion de France 2015. L’internatio­nal n’a jamais oublié Sarcelles pour autant et y est souvent vu en compagnie de Macalou, de l’autre côté de la rambarde. Car c’est là que les deux hommes se sont construits après avoir rangé le ballon rond au fond du placard. Florian Kubiak l’avoue: “Le rugby, chez nous, ce n’est pas le sport national. Ceux qui sont là, ce sont ceux qui ne pouvaient pas aller au foot, sauf qu’ils ont découvert plus que ça. Ils ont découvert une seconde famille et quand Rabah et Sekou reviennent, ce ne sont pas des joueurs du Stade Français, ce sont des copains. Quand on a joué ici, on veut toujours revenir.” La clé est donc avant tout “sociale à plus de 80%”, comme le chiffre Suleimane Abdi, éducateur auprès des minimes du club. Pourquoi les jeunes passent-ils plus de temps ici que chez eux? “Car ils nous font confiance, qu’on les aide en leur proposant de l’aide aux devoirs dans la semaine, le repas traditionn­el du mardi soir… C’est simple, si un gamin est dans une galère, on s’arrache pour lui.” La méthode marche, les résultats suivent. Reste encore à dégager en touche certains clichés persistant­s. “Oui, parfois, quand on arrive, on entend qu’on est des voyous, déplore Kubiak. Alors je dis aux jeunes et aux éducateurs de partir du principe qu’on est des voyous, de ne pas rentrer dans la provocatio­n mais de répondre sur le terrain. On se bat tous les jours contre cette image tatouée sur notre peau.” Et pour comprendre cette image qui colle à cette jeunesse, il faut remonter à la racine, au début des années 80, et écouter Alain Gazon. Lui, c’est le pionnier, l’ancien professeur d’éducation physique arrivé à Massy en 1969 devenu Monsieur Gazon, celui que tout le monde connaît. “À cette époque, j’intervenai­s dans les écoles de la ville pour faire des cycles de rugby. La population de Massy était alors composée à 35% d’immigrés, hétérogène, avec des gamins qui n’attendaien­t qu’une chose: que l’on vienne les chercher.” Le tout à un moment où le rugby français ne regardait pas

“Ma mère avait peur de la violence du rugby, de tout ce qu’elle voyait à la télé. Aujourd’hui, elle me dit qu’elle aurait dû me laisser y aller plus tôt” Pacôme Zohouri, responsabl­e de l’école de rugby de L’AASS Sarcelles

au-delà de ses bastions historique­s. Peut-être parce que, comme le résume Serge Simon, tout frais vice-président de la FFR, “notre sport est compliqué, on ne peut pas l’implanter n’importe où et n’importe comment”.

“Mais qu’est-ce que tu fous là?”

Si les gamins ne venaient pas au rugby, il fallait alors que ce soit lui qui aille vers eux. Alain Gazon raconte sa démarche. “Je croyais à ces jeunes des quartiers. Ils avaient déjà une qualité naturelle, physique d’abord, mais ils allaient tous vers le foot. Je me suis alors lancé dans une bataille avec les parents, en passant des soirées entières à tenter de les convaincre. Les gamins, eux, étaient contents parce qu’on leur proposait quelque chose. Ils ont passé tout leur temps avec moi, entre l’école et le club mais le rugby, pour eux, c’était l’évangile.” Le formateur cite alors son l’exemple de Dug Codjo, l’ailier d’oyonnax formé à Massy, qu’il a retiré au foot sur cette phrase simple: “Mais qu’est-ce que tu fous là?” Et il en détournera d’autres du ballon rond. Certains sont même devenus des internatio­naux, comme Jimmy Marlu, Grégory Lamboley ou Mathieu Bastareaud. Depuis, Gazon a été recruté par le Racing 92 par l’intermédia­ire de Pierre Berbizier en 2008 pour s’occuper de l’école de rugby avec la mission de reproduire un modèle qu’il a déjà exposé à plusieurs reprises lors de débats dans les différente­s fédération­s. Et si la FFR commence à bouger un peu, les mentalités ont évolué plus vite. Ainsi, lors du dernier Tournoi des VI Nations, le sélectionn­eur Guy Novès a utilisé neuf joueurs francilien­s dans son effectif. Hier, un jeune des banlieues qui faisait du rugby, à l’image de Serge Betsen, tenait de l’anomalie. Une idée bientôt révolue à mesure de l’envol de la notoriété (et des salaires aussi) du Top 14. Bref, le rugby est devenu un moyen de s’en sortir comme peut l’être le basket ou le foot. Mais pour installer le ballon ovale, Serge Simon sait faut du temps et un terrain culturelle­ment favorable avec des référents. Le VII est certaineme­nt plus favorable alors que le XV a besoin d’un temps d’initiation plus long”. Mais l’ancien pilier observe avec plaisir que son sport “commence à retirer son image franchouil­larde. C’est ce que l’on fait notamment avec l’associatio­n Drop de béton à Mérignac, car l’essence du rugby est pédagogiqu­e, rappelle-t-il. Il est né comme ça en Angleterre pour canaliser la violence.” Aujourd’hui, l’île-de-france a trouvé son modèle et mais reste désormais à trouver les relais. Chez les jeunes du Stade Français, par exemple, le recrutemen­t des talents issus des banlieues demeure rare pour des raisons géographiq­ues et sociales. C’est ce qu’explique Marc Maire, à la tête de l’école de rugby, qui parle de “jeunes licenciés qui voient davantage le rugby comme un loisir plutôt que comme un moyen de s’en sortir”. Mais le potentiel existe, à l’image de Macalou, dont l’essai contre le Munster l’an dernier a provoqué un frisson pas enregistré depuis les déboulés de Sébastien Chabal. Et les clubs s’en aperçoiven­t. “Ils commencent à mieux s’organiser autour du recrutemen­t dans les banlieues, confirme Christophe Mombet, en charge de la formation du Racing 92. Le rugby a changé, l’approche aussi, on ne s’adresse plus seulement à des personnes avec une éducation édulcorée mais aussi à des jeunes avec du caractère.” C’est l’espoir de Sarcelles, celui de Bobigny, de Clichy et des autres: développer, former sans se faire piller. L’enjeu est désormais aussi là, histoire que les “petits” clubs touchent leur part financière de la formation du joueur. Une chance que n’a pas connue L’AASS avec Slimani et Macalou. Lors de sa campagne et avant son élection début décembre à la tête de la FFR, Bernard Laporte avait décroché son téléphone pour féliciter le travail de la troupe de Florian Kubiak, ce qui n’avait jamais été entrepris par son prédécesse­ur, Pierre Camou. Preuve peut-être que le rugby français a compris que son avenir passait aussi entre ces barres. TOUS PROPOS

“Le rugby, chez nous, ce n’est pas le sport national. Ceux qui sont là, ce sont ceux qui ne pouvaient pas aller au foot, sauf qu’ils ont découvert plus que ça” Florian Kubiak, président de L’AASS Sarcelles

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Passion jogging large.
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Un Sud-africain prêté par Montpellie­r.

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