Tampon!

Piri Weepu

Champion du monde et All Blacks, il devait être l’un des grands noms du Top 14 à son arrivée en 2015. Mais loin de la réussite de Dan Carter, Piri Weepu traîne depuis ses kilos en trop et ses malheurs. Après une rupture acrimonieu­se avec Oyonnax, une pige

- PAR CHRISTOPHE GLEIZES ET ARTHUR JEANNE / PHOTOS: ICONSPORT ET PANORAMIC

Les tribulatio­ns d’un All Black en France entre Oyonnax, Narbonne, SaintSulpi­ce et menées avec quelques kilos en trop.

Le 28 décembre dernier, le club d’andorre-la-vieille, sixième de la poule 1 du championna­t de promotion d’honneur du comité Midi-pyrénées, officialis­ait la nouvelle: Piri Weepu, le All Black de Narbonne, débarque. “Voici un premier grand et beau renfort pour notre équipe dans ce marché hivernal, détaille le club andorran sur sa page Facebook suivie par 2 197 courageux. Piri Weepu sera des nôtres dès le prochain match et intégrera l’équipe jusqu’à la fin de la saison.” Sur la toile, la surprise est immense. L’informatio­n se propage. Tandis que les réseaux sociaux s’interrogen­t, l’intéressé met fin au buzz quelques heures plus tard, d’un tweet laconique: “Je n’ai aucune idée de ce dont il retourne. Bonne blague.” Face à l’incompréhe­nsion générale, le club signale alors, dans un autre message, que le 28 décembre est le jour des Saints Innocents. L’équivalent du 1er avril local. En France, tout le monde ou presque a plongé. Ce qui en dit assez long sur le niveau actuel du numéro 9 du RC Narbonne, englué dans le ventre mou de la Pro D2. Remplaçant la plupart du temps, Piri a été nommé capitaine contre Perpignan lors de la 12e journée pour sa seule titularisa­tion de la saison. Résultat: une défaite 66-13. En retard sur chaque action, il a conclu son oeuvre automnale par un carton jaune et une sortie sous les sifflets. Depuis, Piri se fait rare sur les terrains. La faute à quelques kilos en trop, qu’il essaie tant bien que mal d’éliminer à l’entraîneme­nt. “C’est le joueur idéal pour un coach, il est humble et ne pleurniche pas pour jouer!”, défend quand même son entraîneur, Christian Labit.

Bingedrink­ing et crise cardiaque

S’il conserve un état d’esprit irréprocha­ble, Weepu n’est plus que l’ombre du All Black qu’il fut. Au gré de ses 71 sélections, Piri s’impose à la fin des années 2000 comme le demi de mêlée de la Nouvelle-zélande. Leader mental et buteur, il se voit confier la lourde tâche de mener le haka, qu’il dirige avec une rage de vaincre contagieus­e. Comme lors de cette finale de Coupe du monde 2011, remportée face aux Français. Plus tôt, sa performanc­e contre l’argentine en quarts de finale, où il claque 21 points, lui vaut le surnom de “Mister Fixit”, aka “Monsieur solution” dans son pays, ainsi que des affiches publicitai­res où son visage trône sur le corps de Superman. Le voilà au sommet, un an pile après s’être cassé la jambe en deux lors d’un match avec les Hurricanes de Wellington. L’accident aurait pu signer la fin de sa carrière au plus haut niveau. Il n’en a rien été. Mais l’après-2011 est plus compliqué. Transféré chez les Blues d’auckland, Weepu perd sa place en sélection avec l’émergence d’aaron Smith et connaît ses deux dernières capes à l’automne 2013. Il tente alors de se relancer en signant chez les modestes London Welsh pour un généreux contrat de deux ans. L’offre n’est pas refusable. Pour le comprendre, il faut remonter quatre mois auparavant. “J’étais dans l’eau avec Charles Piutau et Peter Saili, en train de faire des longueurs. Soudain, j’ai voulu leur dire quelque chose et je me suis retrouvé à leur parler comme un bébé”, racontait-t-il au Daily Mail en septembre 2014. “Je suis sorti de la piscine pour m’habiller. Plusieurs de mes camarades essayaient de me parler, mais je ne comprenais rien.” Il croit souffrir d’une commotion cérébrale, mais le médecin des Blues lui explique qu’il vient d’avoir une attaque cardiaque, due à une anomalie non diagnostiq­uée. Opéré du coeur dans la foulée, Piri connaît une seconde traversée du désert, longue de sept mois. Au milieu du vide arrive la propositio­n londonienn­e. “C’était pratiqueme­nt la seule option sur la table”, avouera-t-il. Cette fois, pourtant, la résurrecti­on n’a pas lieu. En Angleterre, il peine et ne marque pas en 13 apparition­s. Rapidement libéré de son contrat, Weepu termine la saison aux London Wasps, sans plus de réussite. L’homme relativise: “J’ai toujours cette attaque dans un coin de ma tête, donc j’essaie de profiter de la vie au maximum”. La maxime de sa vie en somme. Son côté épicurien, il l’avait déjà prouvé en 2005. Dans son autobiogra­phie, Dan Carter raconte une virée légendaire, quelques jours avant un test match contre le pays de Galles. Un samedi soir après fermeture des bars de Cardiff à 5 h du matin, “l’un de nous a eu la super idée d’aller à Londres en taxi pour un dernier verre”. Weepu est de l’aventure. Une facture de 300 pounds, quelques packs de bière et quatre heures de route plus tard, les Kiwis débarquent devant la boîte fermée jusqu’à midi. Après un détour par un Mcdonald’s pour patienter, ils voient le soleil se lever et rentrent “paniqués” d’après Carter. À leur retour, les noceurs sont méchamment sermonnés par leur capitaine Tana Umaga, avant de coller 41-3 au pays de Galles. Mais le mal est fait. Après cet écart, Piri traîne une réputation de joueur indiscipli­né. Ses différents excès lui valent une relation tendue avec le sélectionn­eur, Graham Henry, qui le prive de la Coupe du monde 2007.

Un clash et un procès

C’est donc un pari plutôt risqué que tente Oyonnax, à l’orée de la saison 2015-2016. “J’étais assez surpris qu’il signe. On savait que son passage en Angleterre s’était mal passé, et qu’il aimait bien la bière”, plante Guillaume Boussès, son ancien coéquipier dans l’ain. “Après, c’était intéressan­t d’avoir un grand nom du rugby qui arrivait pour nous épauler.” L’ancien Oyonnaxien Florian Denos, désormais à Agen, garde un souvenir très précis de sa première rencontre: “Je m’étais écroulé dans mon lit de camp après une première journée de stage terrible. À mon réveil, il y a ce mec qui dort à côté de moi. Il était assez massif, avec des cheveux hyper longs et une barbe bien touffue. Je me suis demandé ‘Putain, c’est qui?’ Je ne l’avais pas reconnu.” Habitué du yo-yo, Piri débarque hors de forme. Il n’en reste pas moins que sa technique et son leadership sont intacts. “Malgré son passé et sa notoriété, il ne se plaçait pas du tout au-dessus des autres, confirme Boussès. Il avait toujours des gestes de haut niveau, l’intelligen­ce de jeu indéniable. Mais physiqueme­nt, il avait beaucoup perdu.” À l’époque, Oyonnax sort de deux saisons abouties en Top 14, et démarre un nouveau projet avec Olivier Azam comme entraîneur. Mais l’alchimie ne prend pas, et Azam saute en novembre, après un naufrage à La Rochelle, qui sera aussi le dernier match de Piri. Trois mois plus tard, il est à son tour licencié, à cause d’une embrouille avec le nouveau coach Johann Authier. “Il a interprété le départ d’azam comme un manque de leadership dans le groupe, il a voulu prendre ses responsabi­lités, raconte Boussès, qui ne veut donner raison à personne. Lors d’une causerie, il a montré son désaccord devant tout le monde, alors qu’il aurait dû faire ça en privé. Pour pouvoir parler, il faut montrer des choses sur le terrain. Son vécu ne suffisait pas.” La rupture de contrat est prononcée après

“C’est un dingue de chasse. Je vous donne un scoop, il a appelé son fils Hunter” Thierry Thonon, président du RC Saint-sulpice

huit petits matchs. Désemparé, en plein procès pour licencieme­nt abusif, Weepu s’apprête à rentrer au pays, quand il passe un dernier coup de fil à son ami Sitiveni Sivivatu, ailier de Castres. Celui-ci le met alors en contact avec Lilian Clerc, un entreprene­ur de Mazamet qui facilite l’installati­on dans l’hexagone des Néo-zélandais et autres joueurs des îles Pacifique. Clerc est l’homme de la situation: “Le soir même, je me retrouve avec Sivivatu et Piri sur mon canapé! Weepu m’explique alors qu’il préfère rester en France pour des raisons personnell­es, mais qu’il a envie de se ressourcer et de s’entraîner dans une ambiance conviviale. Je lui ai donc proposé de jouer pour le RC SaintSulpi­ce.”

“Vous imaginez un champion du monde dans notre bled?”

Saint-sulpice? Un gros bourg du Tarn, labélisé ville fleurie, situé à une trentaine de kilomètres de Toulouse et dont le club évolue en Honneur. Pas l’endroit où l’on s’attend à voir débouler un All Black. Sans doute pour cela qu’éric Rocca, l’entraîneur de l’équipe, s’est frotté les yeux la première fois: “C’était un mardi soir à l’entraîneme­nt, il était sur le bord du terrain avec les dirigeants. Mon adjoint vient me voir et me dit: ‘Eh, t’as vu? On dirait Piri Weepu.’ Le président m’avait seulement dit que j’aurais une surprise, rien de plus.” Trois jours après ce premier contact, Weepu est de retour pour annoncer au président Thierry Thonon qu’il a le droit à ses indemnités chômage, et compte finir la saison dans le Tarn. Une aubaine pour le club, où le joueur devient une véritable attraction. “Vous imaginez un champion du monde dans notre bled?” remet Thonon. Seul hic, le demi de mêlée ne peut pas disputer de match officiel pour une question réglementa­ire: “Il a signé quatre jours après la date limite. C’était un booster pour notre rugby amateur. Mais non. La mafia de la fédé n’a pas voulu faire d’exception”, tonne Thonon. Un avis sans concession partagé par coach Rocca. “Certains clubs rivaux pour la montée nous ont mis des bâtons dans les roues.” Weepu, lui, enrage et dispute un malheureux match amical avec la réserve, ce qui fait dire au truculent Thonon: “56 fois meneur du haka, Monsieur, 71 sélections chez les Blacks, et une sélection à Saint-sulpice en équipe B!” Malgré tout, le Néo-zélandais ne loupe pas un entraîneme­nt. Trois fois par semaine, il fait la navette entre Toulouse, où il habite avec son pote Tialata, et Saint-sulpice pour se maintenir en forme. Parfois, il anime même des séances pour les cadets, ou dispense de précieux conseils à ses partenaire­s des lignes arrière. “Il a énormément aidé nos buteurs. Après, un cheval de trait, on n’en fait pas un cheval de course”, se marre Thonon. Les chevaux de trait du RC Saint-sulpice décrochent tout de même leur ticket pour la Fédérale 3 en fin de saison. Une petite victoire pour Piri. Dans le Tarn, comme ailleurs, le garçon a charmé son monde. “Il est d’une gentilless­e, il donnerait tout ce qu’il a”, assure Thonon. Rocca et Clerc décrivent eux aussi un “super mec”, heureux dans cette ambiance rurale. “Les Néo-zélandais, ce sont des mecs qui aiment la campagne et qui sont malheureux à la ville, analyse Lilian Clerc, qui s’improvise ethnologue. Délesté des contrainte­s du rugby pro, Weepu mène une vie simple, boit quelques verres de vin sans excès et arpente les restaurant­s du coin pour se délecter de la cuisine régionale: “Il a adoré les produits de notre terroir. En Nouvelle-zélande, à part manger du mouton, c’est compliqué”, avise Thonon. Quand il en a l’occasion, le natif de l’île de Niue dégaine même son fusil: “C’est un dingue de chasse. Je vous donne un scoop, il a appelé son fils Hunter”, poursuit le président. Mais l’essentiel est bien dans la proximité de ses amis de toujours, les Néo-zélandais Sivivatu, d’origine fidjienne, et Tialata, d’origine samoane. Ce dernier et Weepu ont grandi ensemble à Lower Hutt, une banlieue dortoir de Wellington où se concentren­t les Polynésien­s. Solidaires, les trois hommes se recréent un petit morceau de Pacifique dans le Tarn. Un soir, ils partagent même un peu de leur tradition avec leurs hôtes: “On a été une dizaine invités à une petite soirée par notre Fidjien, Manasa Bola. Piri, Neemia et Sitiveni nous ont fait boire le kava, resitue Rocca, et on a discuté jusqu’à deux heures du matin.” Entre deux gorgées du breuvage polynésien, et quelques éclats de rire, de quoi peut parler le clan néozélanda­is quand il devient grave?

Sur les traces de Jerry Collins

Peut-être bien du décès de leur pote Jerry Collins survenu en juin 2015 sur l’autoroute A9 près du péage ouest de Béziers. Collins, ancien flanker des Blacks, était venu terminer sa carrière en pente douce à Narbonne. Au début des années 2000, Weepu, Tialata et lui avaient démarré ensemble sous les couleurs des Hurricanes. Quelques mois après la soirée chez Manasa Bola, Tialata et Weepu signent à Narbonne, la dernière étape de leur compatriot­e. Les deux hommes auraient-ils fait un pacte autour du kava pour honorer la mémoire du flanker à la mèche blonde, un soir de mars dans le Tarn? L’idée ne semble pas incongrue pour Étienne Herjean, le capitaine narbonnais. “Il m’a laissé entendre qu’ils avaient prévu de se retrouver et de rejouer ensemble avant le drame.” Christian Labit y devine un symbole: “Il n’en parle pas, c’est tabou. C’est un de ses meilleurs potes qui est parti. Sa venue, c’est sans doute une manière de rendre hommage à Jerry qui adorait Narbonne.” Et Narbonne lui rendait bien. En un an de percussion­s folles et de matchs gagnés à lui tout seul, Collins était devenu une idole. “À son arrivée, il sortait d’une année sabbatique, alors on était dubitatifs, mais il a vite mis tout le monde d’accord. C’est un des grands noms de l’histoire de ce club. On déplie encore un tifo à son effigie”, raconte, admiratif, André Marty, le président des Tigres cathares, principal groupe de supporters du RCN. Alors quand Weepu suit les traces de son compatriot­e, les attentes sont grandes, mais le numéro neuf souffre de la comparaiso­n. Dans les bars de la ville, on entend souvent que Weepu a une hygiène de vie douteuse, alors que Jerry “finissait dans un état pas possible tous les soirs, mais qu’au moins, il faisait le boulot sur le terrain”. De là à dire que le Néo-zélandais profite d’une pré-retraite dorée, il n’y a qu’un pas, que certains franchisse­nt. Plus gros salaire de l’effectif, Weepu vient de remporter 114 000 euros suite à sa victoire lors de son procès aux prud’hommes contre Oyonnax. Déçu par les prestation­s de sa recrue phare, Marty résume l’opinion des supporters et parle déjà d’échec, sans améliorati­on possible. Qu’en pense Christian Labit? “J’aurais préféré récupérer le Weepu d’il y a cinq ans, élude-t-il d’emblée. Alors oui, le grand public s’attend à voir un mec qui traverse le terrain pour marquer. Ce n’est plus possible. Mais à côté de ça, c’est un vrai leader de vestiaire. Dans sa manière de donner des conseils, il est essentiel.” Le capitaine Herjean abonde dans le même sens, pointant les efforts de son coéquipier à l’entraîneme­nt. Selon lui, Weepu a déjà perdu plus de dix kilos depuis son arrivée. “Ce n’est pas un mercenaire et ça me gêne beaucoup que les gens le pensent.” De là à espérer un improbable retour en grâce? À voir. Barbu, et âgé de 33 ans, Piri Weepu n’est plus à une résurrecti­on près. TOUT PROPOS RECUEILLIS PAR CG

“Il était assez massif, avec des cheveux hyper longs et une barbe bien touffue. Je me suis demandé ‘putain, c’est qui?’ Je ne l’avais pas reconnu” Florian Denos, ancien coéquipier à Oyonnax

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Nuit Debout.
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Il a pas un peu grossi le technicien de chez Orange?

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