Mauvaise foi
Le Sevens serait l’avenir du rugby. Son admission récente aux JO devrait permettre à cette discipline d’étendre son empire sur le monde. Dynamique, télégénique, prolifique, le rugby à 7 est paré de toutes les vertus face à ce XV boueux, violent et obscur.
Sept bonnes raisons de ne pas tout de suite se mettre au rugby à sept. Ce sport où les Fidjiens gagnent à la fin.
PARCE QUE LES COMPÉTITIONS SONT INCOMPRÉHENSIBLES
Si les inventeurs du rugby à 7 ont voulu simplifier les règles du jeu, les organisateurs des épreuves de la discipline ont bien embrouillé le système de tournois. La compétition mondiale de rugby à 7 est organisée en neuf étapes autour du monde, et disputée par seize équipes. Jusqu’ici, tout va bien. C’est ensuite que l’on y voit aussi clair qu’après une fourchette de Garuet: des quarts de finale disputés par quatre équipes (si, si), des compétitions dans la compétition (Cup, Bowl, Plate: un vrai vaisselier), lors desquelles les perdants ne sont jamais éliminés. Les JO de Rio ont pourtant essayé d’être plus lisibles. Mais le système de meilleurs troisièmes issus des poules qualifiés pour les quarts de finale a bien compliqué les choses. Les Américains, eux, ont décidé de modifier les règles du jeu: des quart-temps plutôt que des mi-temps. Vite, un protocole commotion cérébrale.
PARCE QUE LE MAILLOT FRANÇAIS EST MOCHE
L’équipe de France à 7 change de maillot plusieurs fois par an, mais rien n’y fait, il est toujours aussi laid. Avant Rio, les Français étaient vêtus d’un maillot bleu brillant façon Reine des neiges couvert par une coulure rouge vomi sur l’épaule droite. Aux JO, ils étaient accoutrés d’une tunique au bleu indéfini. Aujourd’hui, ils sont habillés d’un maillot blanc imprimés de taches bleues, genre encre de stylo plume que l’on faisait gicler sur la blouse de ce fayot de Thomas en cours de chimie. Les expériences stylistiques d’adidas, le sponsor, sont hasardeuses. N’oublions pas que c’est au rugby à 7 qu’a été testé l’affreux maillot “nappe de table” –blanc à carreaux rouges et bleus– du XV de France. Ça vaut une exclusion définitive des terrains pour violence graphique.
PARCE QU’ON NE PEUT PLUS BATTRE LES ANGLAIS
Le rugby est un sport qui se joue à quinze et dont le but est de vaincre les Anglais. Voilà un principe auquel ne veulent déroger ni les voisins soumis de l’angleterre, ni ses anciennes colonies, ni la France parce que, quand même, Jeanne d’arc, hein. Aux JO, pas d’équipe d’angleterre, mais une équipe de Grande-bretagne. Anglais, Gallois et Écossais sous le même maillot, voilà la belle hérésie du rugby, obligé de se plier aux règles de l’olympisme: les athlètes concourent pour un pays, pas pour une fédération. Les tenants du Sevens vantent ses vertus exotiques: grâce à lui, le rugby va se développer ailleurs que dans ses bastions traditionnels. Pourtant, à part l’ouganda et l’espagne, aucun pays inattendu ne participe aux JO et aux tournois du circuit mondial. La sélection de Grande-bretagne est donc l’équipe la plus folklorique. On préfère encore Pottoka, la mascotte de l’aviron Bayonnais.
PARCE QU’UNE ORGIE D’ESSAIS, C’EST ÉCOEURANT
“Vous en avez marre des combats de boue du XV et des rucks à répétition? Vous aimerez le rugby à 7”, a-t-on lu partout à la veille des JO. Le spectacle avant tout, donc. Des courses, des chevauchées, des passes, des attaques, des contre-attaques. Et des essais. Beaucoup d’essais. C’est vrai, à sept joueurs contre sept sur un terrain classique de rugby, il y a de la place. Les scores des matchs sont souvent bedonnants. 41-7 en finale des JO dans un match de quatorze minutes, on en prend plein les yeux. Oui, mais un essai toutes les trois minutes, c’est lassant. Même pas le temps de saliver, de le digérer, de se le raconter et de s’en souvenir. Toute la beauté du rugby vient du jaillissement, du contraste entre l’obscur du combat à ras de terre et la lumière de la course en bout de ligne. La rareté des essais du XV serait un frein à son développement? Et le foot avec ses matchs à un ou deux buts, rarement à plus de trois, ne fait-il pas recette? Carton rouge à la mauvaise foi.
PARCE QUE DES JOUEURS OUBLIÉS HANTENT LES TERRAINS
En France, le rugby à 7 est un sport de joueurs oubliés. Ils s’entraînent et vivent à Marcoussis, le centre des équipes de France de rugby. Là-bas, au milieu des champs, toute distraction est inconnue. Pire qu’à Oyonnax, où les cafés ferment à 21h. Pas étonnant que la fédération ait du mal à trouver des joueurs – pour les JO de Rio, la France avait seulement quatorze hommes sous contrat. Alors, elle récupère ceux qui ne trouvent pas mieux. Virimi Vakatawa est d’ailleurs le seul joueur français de rugby à 7 connu et reconnu. Peut-être parce qu’il joue aussi à XV. Ailleurs dans le monde, les équipes sont complétées par quelques mercenaires plus attirés par les salaires que par l’essence du jeu. La preuve? Sonny Bill Williams joue au rugby à 7.
PARCE QU’IL FAUT RESTER DES HEURES AU STADE
Un tournoi du World Rugby Seven Series, c’est seize équipes pour 45 matchs, en deux jours. Plus de 20 matchs par jour, donc. Première rencontre à 10h, dernière à 20h –à Rio, le tournoi était organisé sur trois jours et disputé par douze équipes. Le matin, les équipes jouent dans un stade désert, l’après-midi devant un public assommé. Mauvaise musique à fond, speaker lourd, les organisateurs remplissent le stade de décibels. Il faut éviter que les spectateurs aient envie d’étrangler un rugbyman. Pour passer le temps, les fans du Sevens ont une tradition: venir déguisés au stade. C’est le carnaval version haka. Selfies, concours de costumes, le sport est accessoire. Allez vérifier: une étape du World Rugby Seven Series passe à Paris les 13 et 14 mai prochains. On vous prévient: rester assis sur les sièges inconfortables du stade Jean-bouin est aussi agréable que d’écouter en boucle le discours de victoire de Laporte à la présidence de la FFR.
PARCE QU’IL SE JOUE À DUBAÏ
Les 2 et 3 décembre derniers, la première ville des Émirats arabes unis accueillait une étape de la compétition mondiale de rugby à 7. Dubaï, ses restrictions à la liberté d’expression, sa discrimination envers les femmes, sa maltraitance envers les travailleurs étrangers, ses prisonniers politiques et sa peine de mort. En deux jours de compétition (remportée par l’afrique du Sud face aux Fidji), pas la moindre protestation contre le pays hôte pour ses violations aux droits de l’homme. Tais-toi et marque des essais. Sponsorisé par une banque mondiale dont il porte le nom et qui est suspectée d’avoir organisé à grande échelle fraudes et évasions fiscales, le HSBC Sevens World Series n’est pas le plus vertueux des tournois sportifs. Alors, à Dubaï, mieux vaut se tourner vers l’île artificielle en forme de palmier ou la tour la plus haute du monde. Et pourquoi pas Las Vegas, tant qu’on y est? Eh bien oui, la ville américaine, capitale du jeu et du carton-pâte, est aussi une étape de la compétition mondiale de rugby à 7. Un concert de Céline Dion pour la troisième mi-temps? PAR HERVÉ MARCHON / PHOTOS: