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Affreux, sales et aimants
A Ciambra de Jonas Carpignano a mis le feu à la Quinzaine, récit initiatique survolté au coeur d’une famille tzigane.
Ville de Gioia Tauro, Calabre, aujourd’hui. Un immeuble-bidonville coupé du reste du monde, où vivent les quinze membres de la famille Amato. Dans cette dynastie gitane, on fume à cinq ans, on picole à dix et on est voleur de père en fils. Les gosses et les femmes détournent ce qu’ils peuvent – valises, pièces de voitures, électricité – tandis que les hommes s’arrangent avec la mafia pour vider des appartements. La projection dans ce monde hyper marginal s’opère en quelques secondes grâce à la fièvre opératique de Jonas Carpignano (une caméra à l’épaule virevoltante, des mini plans séquences réglés au postillon près) et la justesse « documentaire » des personnages (joués par une vraie famille Rom). Un maelström sensoriel qui annule la possibilité du misérabilisme sans prendre la moindre distance ironique, comme un reflet inversé,
en positif, d’Affreux, Sales et Méchants. Le film dévie pourtant de sa voie chorale pour se fixer sur Pio, 13 ans, accro à la clope et claustrophobe, qui suit le pas de son frère et rêve de passer à la vitesse supérieure. L’occasion arrivera vite – régulièrement, la police débarque pour mettre un Amato en taule – et avec elle le coup d’envoi du rituel chaotique qui fera du garçon un homme. On pardonne les quelques répétitions et trépignements du film : ils ne font jamais le poids face à l’intensité de l’identification (on ne lâche pas Pio d’une semelle) et la complexité des émotions (voir cette scène où il dépasse ses peurs xénophobes sur un camp d’immigrés ghanéens). Au-delà du récit initiatique, Carpignano n’a pas son pareil pour parler d’amour : celui qui lie cette famille envers et contre tous, du plus petit au plus mort, sensible dans chaque regard, injure, bagarre, et qu’on ose même parfois appeler par son nom.