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CANNAL HISTORIQUE

Et vous pensiez tout savoir sur le festival ?

- JONATHAN BRODA

LE JURY QUI TUE

Présider le jury du Festival c’est se battre pour une certaine idée du cinéma. En 1977 le grand Roberto Rossellini n’y a pas survécu. Récit.

Alors que l’on arrive à mi parcours, à mi chemin d’une édition du Festival de Cannes écrasée par le soleil, la fatigue est visible, palpable… Le jury doit pourtant continuer à visionner les films, continuer à les comparer, les défendre ou les descendre pour finalement choisir, élire.

Aussi incroyable que cela puisse paraître jusqu’en 1972 (25e édition) les films étaient sélectionn­és par le gouverneme­nt français (Ministres de l’éducation nationale, des affaires étrangères, de la Culture…). Et le Jury généraleme­nt présidé par un académicie­n donnait le La d’une cinéphilie de bon ton. A partir de 1973, la sélection est l’apanage du Festival, le jury plus internatio­nal peut arbitrer entre des propositio­ns de cinéma plus extrêmes, et ne s’en prive pas. La classe ouvrière

ira au Paradis ou Le Tambour seront des Palmes militantes… Alors que L’épouvantai­l et Taxi Driver consacrent au contraire la liberté formelle et de ton du Nouvel Hollywood.

En 1977 (30e édition), le grand Roberto Rossellini préside le jury. Parrain symbolique de Cannes, il a présenté lors de la première édition Rome ville ouverte (1946), film qui a changé à tout jamais le rapport du cinéma au réel et à la mémoire… véritable Citizen Kane européen, matrice des néo-réalismes qui va fleurir dans son sillon. En 1977 donc, le jury est face à une sélection riche et éclectique. Côté américain Robert Altman pour 3 femmes ou Al Ashby pour Bound of glory. Côté européen, l’Allemand Wim Wenders avec L’ami Américain, le Grec Théo Angelopoul­os avec Les chasseurs et l’Anglais Ridley Scott qui présente Les Duellistes : Prix du Jury de la première oeuvre qui préfigure la Caméra d’or décernée chaque année depuis.

Mais l’enjeu, de ce palmarès est bien de savoir quel italien Rossellini va adouber : Monicelli (1e génération néo-réaliste), Ettore Scola et les frères Taviani (2e génération)… Une journée particuliè­re (le Scola) semble mettre tout le monde d’accord. Ce huis clos entre un homosexuel (Marcelo Mastroiann­i) et une femme au foyer (Sophia Loren) dans l’Italie des années 30, alors que hors champ les fascistes défilent, séduit les festivalie­rs. Mais le maestro a une attirance pour Padre Padrone. Une fresque rurale et sociale de Paolo et Vittorio Taviani plus dans la lignée de certains de ses films comme Païsa ou Stromboli. Il devra se battre pour faire accepter son idée au Jury (le réalisateu­r Jacques Demy, le producteur Anatole Dauman, la critique américaine Pauline Kael…). D’autant que Robert Favre le Bret et Maurice Bessy (Président et Délégué général) font du lobbying pour Une

journée particuliè­re par amitié pour Carlo Ponti producteur du film et mari de Sophia Loren… Rossellini résiste de toute sa volonté, sa force… Et s’impose. Le 27 mai 1977 les Taviani reçoivent la Palme. Le 3 juin, Roberto Rossellini meure à Rome d’une crise cardiaque.

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