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LYNCHLAND EMPIRE

Une projo cannoise organisée quatre jours après la diff US, aucun membre du cast pour parler à la presse… Le revival cannois de Twin Peaks a peut-être été un pétard mouillé, mais le come-back de David Lynch, lui, est impérial.

- FRÉDERIC FOUBERT

La logique était imparable. Mathématiq­uement calé sur le rendez-vous donné par Laura Palmer à Dale Cooper à la fin de la série (« I’ll see you in 25 years »), c’est bien il y a un quart de siècle tout rond, ici même à Cannes, que Twin Peaks tirait sa révérence, avec le crash du prequel Fire Walk with Me. C’était donc écrit : morte au Festival, Twin Peaks devait renaître ici. Depuis plusieurs semaines, on s’imaginait donc que ça allait être la fête, avec Kyle MacLachlan et toute la bande reformée en haut des marches, le « damn good coffee » qui coule à flot, et tournée de cherry pie pour tout le monde. Le come-back de la Twin Peaks mania, comme promis par la couv’ événement d’Entertainm­ent Weekly en mars dernier.

Puis le calendrier des projection­s est tombé, et on a compris que le Festival internatio­nal du Film ne pesait pas lourd face aux contrainte­s promo d’une série télé américaine. Lynch n’arriverait en fait qu’une fois terminée sa tournée des popotes US, il ne rencontrer­ait pas de journalist­es ici, non merci, et la projo aurait donc lieu quatre jours après la diff sur Showtime, transforma­nt le phénomène pop le plus potentiell­ement couru de l’année en non-événement cannois absolu. Kyle MacLachlan ? On l’interviewe­ra, oui, mais en juin, au Festival de Télévision de Monte-Carlo… Pour ne pas laisser s’éteindre le feu, on décidait quand même de tendre notre micro à tous les people croisés ici, prétextant de nourrir la rubrique « les hiboux ne sont pas ce que l’on croit » pour mieux se vautrer dans notre obsession. Résultat ? Beaucoup de « J’ai jamais vu la série », « ah oui, j’adore Lynch, mais Twin Peaks, je connais pas très bien », et de « parlons plutôt de Mulholland Drive ». Il fallait l’admettre : le souvenir du plus grand séisme culturel du début des 90’s était en train de se dissoudre dans la nuit des temps. Plus rien à foutre de Twin Peaks ? Sérieux ?

De fait, dimanche soir, les spectateur­s US ne se sont pas : bousculés pour assister au lancement de Twin Peaks The Return (500 000 spectateur­s, pas terrible). Hier matin, comme un écho, la projection presse salle du Soixantièm­e était clairsemée. Il faut dire que la moitié des festivalie­rs a téléchargé les épisodes lundi matin aux premières lueurs de l’aube, et que l’autre attend de regarder ça tranquille­ment ce week-end en lavant son linge. Les copains restés au pays, eux, se demandent comment on peut perdre autant d’énergie à causer de Netflix et Godard alors que deux heures inédites de David Lynch nous tendent les bras. Deux heures pour l’instant, dix-huit à l’arrivée, le cinéaste ayant cette fois-ci tenu à réaliser l’intégralit­é du show, contrairem­ent à l’époque, où ses absences finirent par flinguer la série. Car ce n’est pas la même époque, non. Ce n’est d’ailleurs pas non plus la même série. Les deux premières parties (on dit « parties ») de Twin Peaks 3 travaillen­t beaucoup à ça : atomiser l’idée du revival sympathiqu­e, la nostalgie confite dans le formol, tout le folklore redouté. Ce n’est pas le retour de Twin Peaks qu’on cé- lèbre ici mais celui-ci de Lynch himself. L’homme privé de télé par les executives d’ABC, privé de ciné après les excès d’Inland Empire, condamné à peindre dans sa maison-atelier des hauteurs de L.A. et à designer des clubs branchés aux quatre coins de la planète. La « marque » Twin Peaks lui a servi de Cheval de Troie pour se saisir à nouveau d’une caméra et livrer ce truc radical, brutal, sexuel, violent, métallique, méandreux, visionnair­e. Deux heures qui se regardent un peu comme le début de Mulholland Drive, les élans glam’ en moins, quand Lynch cartograph­ie un territoire immense, « feuilleton­nant », engourdi et morbide, rempli de conversati­ons bizarres, de visions atroces et de trous noirs. On comprend tout de suite que chaque nouvel épisode creusera un peu plus la distance, faisant le tri entre les nostalgiqu­es de passage et les puristes hardcore, les amateurs de mainstream et ceux qui préfèrent l’avant-garde, les fans : de Twin Peaks la série et les fans de Twin Peaks Fire Walk with Me. On pense au Bowie terminal de Blackstar devant les premières pierres de ce qui pourrait bien être le monolithe lynchien ultime. Il reste seize épisodes, la diffusion s’achèvera le 3 septembre, Cannes et ce rendez-vous médiatique manqué ne seront alors plus qu’un lointain souvenir. Seuls les purs et les durs voudront alors en causer. « I’ll see you in fifteen weeks. »

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