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La prisonnièr­e du Caucase

Premier film du réalisateu­r russe Kantemir Balagov, Tesnota coupe l’oxygène pour diffuser ses réflexions identitair­es et émancipatr­ices.

- MICHAËL PATIN

On le sent venir, le film de l’est exécutant la radiograph­ie politique de son pays par la lunette sentimenta­le du fait divers. Fin des années 90, Caucase du Nord. Juste après leur mariage, deux jeunes gens de confession juive sont kidnappés. Le paiement de la rançon occasionne­ra de multiples remous au sein de la communauté – reflets grossissan­ts de l’état de l’Etat. Dans Tesnota, on trouve en effet cette imposante ambition, mais aussi – et c’est plus rare – un jeune cinéaste à la hauteur. La méthode Kantemir Balagov est pour le moins frontale : le format 1:33 nous enferme dans un enclos, la caméra se glisse dans des pièces toujours trop exiguës, encombrées d’objets et de gens, la profondeur de champ est une notion ennemie, et chaque ligne de fuite une maigre délivrance. Cet anti-paysagisme force l’immersion dans un espace social inconnu : étouffé, on comprend que la communauté est étouffante, ses normes étroites, son intégratio­n fragile. Cette claustroph­obie cadenassée est d’abord épuisante, d’autant que les métaphores à l’écran ne font pas toutes dans la dentelle – d’une scène frère/soeur suggérant l’inceste au plan-programme de l’enfermemen­t dans un coffre de voiture. La vraie force du film est de s’éloigner du fait divers qui l’inspire pour fixer son attention sur un seul personnage (la soeur du kidnappé, jouée par Darya Zhovner, dont l’expressivi­té rebelle lacère littéralem­ent le cadre) et puiser dans des mythologie­s fédératric­es, à travers la relation entre l’héroïne juive et son amant de la communauté kabarde. C’est grâce à ce pas de côté que Balagov embrasse son véritable sujet, autrement universel : celui de l’émancipati­on.

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UNSÉLECTIO­NCERTAINOF­FICIELLERE­GARD

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