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Les chiens aboient, un festival passe

Bon, c’était tout pourri alors ? Douze jours de cinoche, zéro vraie claque, aucune révélation, mais à la fin un Palmarès, des petits fours et une fête de la Quinzaine. Pas le droit de se plaindre, donc ? Non.

- LéONARD HADDAD

À sa Conférence de presse du 13 avril dernier, l’instant dont tout procède, Thierry Frémaux avait prévenu, avec son sens proverbial de la litote : « 2017… une année difficile ». Autre understate­ment rigolo, son obsession des « grands auteurs au travail », un concept génial qui signifie qu’ils sont partout, les grands auteurs, mais surtout ailleurs, ou alors nulle part. En tout cas pas ici. Ou pas assez… Sur ces sujets, on peut faire confiance au Sélectionn­eur Officiel. S’il lui arrive de mentir (par devoir), ce n’est jamais ni sur la douleur de choisir, ni sur la difficulté de trouver.

Il est bien entendu que le Festival de Cannes n’y est pour rien. Le Festival de Cannes ne réalise pas des films, il les programme et ne peut faire qu’avec ce qu’il a vu. Soit, tout de même, mille-neuf cents longs-métrages, ce qui donne une drôle de perspectiv­e vertigineu­se, l’équivalent du point de vue d’un obus qui pique du nez vers une plage de Normandie. Mille-neuf cents longs-métrages, cela signifie (je suis bon en maths) que l’on a vu en compétitio­n les 1% de films les plus méritants du grand cinéma d’auteur internatio­nal 2017. Dans ces 1%, il y aurait donc In the Fade, la Mise à mort du cerf sacré, Jupiter’s Moon, Rodin et l’Amant double. Ça, question potentiel de vertige, c’est le Grand frisson de Mel Brooks. Bref, puisque Cannes n’y est pour rien, c’est donc que le cinéma d’auteur cannois va mal. Très mal. Très très très très mal.

Dans les semaines qui ont suivi la Conférence de presse, les rumeurs sont remontées par vagues des comités de la Semaine (« une très petite année, rien à vous conseiller de bien fameux »), de l’organisati­on de la Quinzaine

(« pas facile, je vois pas trop ce qui pourrait vous

plaire ») et des projos des sections parallèles, dont les observateu­rs avisés (distribute­urs et critiques confondus) sortaient en se frottant les yeux d’incrédulit­é, plutôt que les mains de satisfacti­on.

Et puis le Festival a eu lieu, et rien ou presque n’est venu démentir ce sentiment de fin de cycle et d’épuisement généralisé. Pas un texto excité pour conseiller d’aller voir tel film caché dans telle section, pas le moindre buzz sur une « claque au marché », un calme plat (mais avant quelle tempête ?) ressenti par tous, comme une vibration qui s’échinait à ne surtout pas avoir lieu. Au bout du compte, on a magnanimem­ent aimé un quart de la compétitio­n 2017, cinq films, (voir notre Palmarès page suivante), soit donc 0,25% du cinéma d’auteur 2017. Ce qui n’est pas un excellent ratio. C’est même un ratio totalement minable. Le Festival de Cannes n’y est pour rien ? Mais nous non plus. Au moment d’écrire son livre journal de bord publié chez Gallimard, le Sélectionn­eur officiel du Festival du Film s’est peut-être gouré d’année. La vraie chronique juteuse, c’était celle de 2016 à 2017 : l’histoire d’une sélection introuvabl­e, d’un 70 anniversai­re à organiser dans la panique sécuritair­e, les invités qui ne RSVP pas (absence de Scorsese, Tarantino, Coppola, Michael Moore, Ceylan, Audiard, Malick, Kusturica, Coen & Co, Dardenne & Da, et combien d’autres encore – qui ont clairement fait valoir qu’ils avaient autre chose à foutre que de se taper un photo call), les génies (mais lesquels ?) qui ne sont pas prêts, le grand bazar Netflix, le petit bordel Showtime, le double film d’Abdellatif, le double film de Arnaud D., le Conseil d’administra­tion qui fait claquer les pupitres et les coups de règles sur les doigts, tout ça, oui, et puis les explicatio­ns sur pourquoi c’était si mauvais, si faiblard et comment faire mieux la prochaine fois. Pas de doute, il y aurait eu un bon petit bouquin là-dedans, avec des noms, des non, et une passionnan­te histoire à raconter. Une histoire qui finira demain, comme toujours, avec une Palme d’or, un Grand prix, des grands sourires et des salves d’applaudiss­ements. Rideau.

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