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Thunder Road, ou la sortie de route d’un flic à moustache, toujours à deux doigts de fondre en larmes. Un film-performanc­e à crever de rire et à briser le coeur, montré à l’ACID, joué, écrit et « Will Ferrellisé » par un certain Jim Cummings, lequel tient

- BENJAMIN ROZOVAS

Une église vétuste, qui dit d’emblée le standing de la production (indé-indé). En uniforme d’officier, un certain Jim s’avance vers le cercueil pour faire un discours. Fils moustachu de la défunte, il livre ses pensées digressive­s sous le coup du chagrin. Et puis il est question d’un radio-cassette rose, et d’une chanson de Bruce Springstee­n, Thunder Road, qu’il voudrait nous faire écouter parce qu’elle résume tant de choses. Les mots sortent de sa bouche plus vite qu’il ne les pense. Sa fille Crystal, hors-champ, s’inquiète (il lui dit de se rassoir). Finalement, il n’y aura pas de chanson (le radio cassette marche pas). Ce sera lui, rien que lui, dans sa virilité frêle et sa souffrance la plus nue. Toujours et encore lui, avec ses crises de larmes furtives et ses pas de danse poignants (le plan-séquence dure onze minutes). Peut-être souffre-t-il d’un mal (jamais diagnostiq­ué) qui l’empêche de dealer avec ses émotions dans leur ordre d’arrivée. Toujours est-il qu’on les voit s’entrechoqu­er à toute vitesse sur son visage comme des impacts de balle sur de la bidoche. L’ouverture pose le programme d’un oneman show tragi-comique en plans fixes, et même si le film menace d’une scène à l’autre de tourner au procédé, on reste invariable­ment pendu à sa moustache. La performanc­e décide de tout. Mais putain, qui est ce type ? D’où vient-il ? Est-il vraiment moustachu ?

Rendez-vous pris sur le ponton du Majestic (même silhouette à la serpe, no moustache). « Sé

rieux Jim… Who the Fuck Are You ? ». Il rit ; il comprend que c’est un compliment. « J’ai produit des clips, des pubs et des films pendant sept ans : un échec total. Des films d’auteurs lents, comme les Secrets des Autres de Patrick Wan, qui était à l’ACID à Cannes en 2015. Je n’ai rien fait de notable, et je n’ai aucune expérience d’acteur. Mais je sais à quoi ‘ressemble’ une bonne performanc­e d’acteur, quand je vois De Niro ou Steve Coogan par exemple ». Natif

de la Nouvelle Orléans, dans le Sud des US, Jim en connaît un rayon sur la toxic masculinit­y de ces durs à cuire qui jouent à prétendre qu’ils ne sont pas malheureux et qu’ils n’ont jamais tort. Il a donc créé l’officier Jim Arnaud, se revendiqua­nt d’autres pépites d’humour southern

comme les séries East Bound & Down de Danny McBride ou King of the Hill de Mike Judge, et en a tiré un court-métrage, déjà intitulé Thunder Road (la scène de l’oraison funèbre à l’église), reparti de Sundance avec un prix. « On ne pouvait pas le mettre en ligne à cause de la chanson de Springstee­n, pour laquelle on n’avait pas d’autorisati­on. Mais on lui a envoyé le film et il a dit que c’était cool… ». Etrangemen­t, la chanson ne figure pas dans le long. « Ça ne marchait pas ! Stylistiqu­ement, dans chaque version chantée par Bruce (même l’acoustique), ça ne collait pas au rythme du film. On l’a remplacé par Skinny Love, de Bon Iver ». Qui joue sur la scène d’apaisement finale : un gros plan de Jim retenant et lâchant les larmes hystérique­ment. Jim pleure comme un Dieu. À part Will Ferrell, personne ne chouine avec autant d’humanité. Ça lui vient facilement ? « Pas du tout. Pour la scène de l’église, je me suis isolé avec un iPad et des écouteurs et je regardais la scène de Vice Versa de Pixar où l’éléphant violet Bing Bong se sacrifie. D’autres trucs m’aident à pleu-- . Hum. Pardon Jim… On a mal compris. Vous regardez la scène du suicide de Bing Bong pour vous faire pleurer ? « Pixar vous fait rire et pleurer en même temps, et c’est ce qui m’intéresse. Pour la scène finale du ballet, je n’y arrivais pas non plus. Et donc je sors cette photo de Lady Di sur mon téléphone et… ». Sa voix se brise en mille morceaux

dans les aigus. Ses yeux s’embuent. Mince alors. Il va se mettre à pleurer (on est dans le film !). « Et…euh… Et Kendall, à côté de moi (jeune interprète de Crystal, ndr), me demande qui est sur la photo. Je lui réponds, ‘Diana, Princess of Wales’. Et elle me dit, ‘Est-ce qu’elle vit près de la mer ?’ Parce qu’elle avait compris ‘Whales’ (baleines). J’ai commencé à sangloter, on a fait la scène… et c’est la prise qui est dans le film ». Ah oui, quand même. Lady Di, aussi ? « Les photos du Prince Harry et du Prince William à la mort de leur mère, quand ils regardent la voiture qui part avec le cercueil. Je les remercie au générique d’ailleurs, parce qu’ils m’ont tellement, euh (lèvre qui tremble, souffle court)--»… Ah non, merde, c’est reparti. Jim Cummings, Mesdames et Messieurs.

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