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«Comment rendre les choses vierges à nouveau ? »

- recueilli par léonard Haddad

À Cannes, il avait été partout : compèt’, UCR, jury UCR, Semaine… Le voici à la Quinzaine, dans un rôle de loser gitan 100% film noir, 100% flamboyant, irrésistib­le et fatal, sous les yeux ébahis de sa partenaire Stacy Martin et la caméranéon de la nouvelle venue, Marie Monge.

Joueurs, c’est le Père Noël pour adultes ?

Ah ah, en effet, y a une petite bosse sur le nez en commun…

Cette réinventio­n par le maquillage, ça change quoi ?

Il faut que ça ait un sens vis-à-vis du rôle. Là, tu peux t’imaginer que le type s’est pris un coup de tête dans son enfance et qu’il a laissé ça se remettre en place tout seul. Pareil avec les petites brûlures, les deux trois cicatrices au visage… c’est quelqu’un qui prend pas soin de lui. Par son visage, on raconte un passé, sans avoir besoin des mots.

Et ça me nourrit énormément entre le moment où j’arrive au maquillage et le moment où j’en sors. Ça facilite la croyance immédiate, si tu veux.

Cette « croyance immédiate », c’est le premier truc que tu avais quand on t’a découvert dans Un

prophète. Mais on dirait qu’à chaque film, tu dois t’efforcer de la retrouver alors qu’elle menace de te filer entre les doigts.

C’est juste. On prend des habitudes, il y a de moins en moins d’inconnu, comment rendre les choses vierges à nouveau ? C’est le perpétuel combat.

Audiard en avait conscience : ce qu’il venait trouver chez toi, cette innocence de la « première fois », il te l’ôtait en même temps…

Oui. Après, tout ce que tu peux faire, c’est essayer de retrouver cette sensation, alors qu’elle est unique, par définition. Inconsciem­ment, parler de virginité n’est pas anodin. Parce que ça rejoint bel et bien le domaine de la jouissance.

Bizarremen­t, c’est aussi le thème du film. Comme dit la réalisatri­ce Marie Monge, l’addiction (au jeu, à l’autre) n’est rien d’autre que la quête jamais assouvie d’une sensation de première fois.

Elle avait écrit une phrase dans ce goût-là, qui résumait autant le personnage que ce que j’ai pu traverser en tant qu’acteur : « la chance du débutant, on ne l’a qu’une fois, et on passe sa vie à courir après ».

Tu pourrais aussi venir à chaque film avec le bagage des précé-

dents. Beaucoup de très bons acteurs font ça. Lindon…

J’adore ça. Prends John Wayne, tu le vois s’étoffer à l’image de film en film, devenir un héros mythique. Mais mon éducation cinématogr­aphique vient d’ailleurs. J’ai toujours fantasmé le métier d’acteur en me disant « comment faire pour me transforme­r au maximum, explorer d’autres parties de moi-même ». À mes yeux, c’est l’essence d’un acteur.

Pourtant, même chez ceux qui ont symbolisé cette idée de la transforma­tion, De Niro, Pacino, on finit par ne plus voir que les constantes, les gimmicks.

On est condamné à ça, il y a un épuisement inévitable. Ils ne vont pas non plus se réinventer pendant 80 ans ! À un moment, tu es victime de ta visibilité et le bagage, tu l’amènes malgré toi. Alors autant s’amuser au maximum avant… Et puis les mecs que tu cites ont côtoyé un moment révolution­naire de cinéma, où il y avait toute une conjonctio­n de choses. Il n’y avait pas qu’eux mais aussi les rôles, les scénariste­s, la réinventio­n d’un système, les réals, leurs partenaire­s… Et faut bien le dire, tout est moins bon aujourd’hui, je le pense vraiment. Alors, ils se sont peut-être lassés ? J’aime l’idée que De Niro fasse des comédies. Il a tout vu, tout connu… Comment tu réinventes ton plaisir sur le plateau ? Les gens disent « pff, Depardieu, il colle des étiquettes partout, qu’est-ce que c’est que ce truc ? »

Les étiquettes avec les dialogues, pour éviter de les mémoriser ?

Ouais ! Mais les gars, vous pensez que c’est facile de coller des étiquettes tout en faisant en sorte que le public ait l’impression que le mec vit vraiment le truc ?

C’est vrai que c’est impression­nant, vu comme ça… Beaucoup plus dur que d’apprendre des dialogues par coeur !

Ben oui… Peut-être que le mec, il s’emmerdait, il a décidé de tenter un truc, de se lancer un défi. Franchemen­t, j’aimerais bien essayer ça un jour ! Vas-y, essaie d’y arriver mon gars ! Bonne chance !

En te voyant dans Joueurs, j’ai eu l’impression que tu avais eu une sorte de déclic, comme si tu étais dans une approche moins cérébrale que par le passé.

Absolument. Longtemps, ça m’était nécessaire. J’avais besoin d’être très cérébral pour comprendre mes personnage­s, les composer etc. Mais avec l’expérience, certaines questions n’ont plus besoin d’être posées. Elles peuvent t’entraver. Trop chercher à composer t’enferme. J’ai compris ça en bossant chez les Américains (la série

The Looming Tower, NDR), parce que je n’avais pas d’autre choix que de me concentrer sur le langage et l’interpréta­tion que je devais livrer. Ça m’a libéré. Si tu as des questions, pose-les avant. Une fois sur le tournage, ça sert plus à rien. T’y vas, tu donnes tout, tu te tortures plus la tête. Et ça me va mieux.

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