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«Pas besoin d’être défoncé pour apprécier »

L’événement 2001, ce n’est pas la masterclas­s de Christophe­r Nolan qui casse la baraque mais la venue de Keir Dullea, interprète de l’astronaute que défia HAL 9000. Rencontre en apesanteur.

- RECUEUILLI PAR FRANÇOIS RIEUX

Qu’avez-vous ressenti lorsque vous avez vu pour la première fois 2001 sur grand écran ?

C’était une expérience sensoriell­e totale, comme celle du public – peut-être même plus que celle du public. Parce que j’avais lu le scénario et participé au tournage, je

croyais savoir alors que j’étais très loin du compte. Je n’avais en réalité qu’une vision parcellair­e du projet. Et surtout, surtout, j’étais loin de me douter de l’impact que ce film aurait dans ma vie. On est cinquante ans après, quand même. Et regardez… 2001 est devenu comme Citizen Kane, un chef-d’oeuvre intemporel, une nécessité. Et j’y joue le rôle principal.

Votre principal partenaire est l’oeil rouge de HAL 9000…

Le principe était d’avoir un véritable acteur sur le plateau, là pour dire les dialogues de HAL… Mais Stanley ne parvenait pas à se décider sur comment cette voix devait sonner. On a d’abord eu Martin Balsam (juré dans 12 hommes en colère), mais Stanley a décrété qu’il sonnait « trop New York ». Puis l’Anglais Nigel Davenport (vu dans les Chariots de

feu) est resté avec nous une semaine, mais Stanley a fini par le juger « trop british »… Alors il a demandé à son assistant Derek Cracknell de faire la voix temporaire, en se disant qu’il trouverait la solution en post-prod. Ce qui fait qu’on a passé l’essentiel du tournage avec un HAL qui sonnait comme Michael Caine (il se lance dans une imitation hilarante du style de lad cockney, NDR).

C’est finalement Douglas Rain, merveilleu­x acteur canadien, qui a été choisi. Le plus drôle, c’est qu’il était une sorte de Laurence Olivier local, célèbre pour ses grandes interpréta­tions shakespear­iennes, son Hamlet, son Roi Lear, son Macbeth etc. Vraiment rien à voir avec HAL.

L’accueil du film a été très froid au moment de sa sortie. Comment l’avez-vous vécu ?

Les premières critiques étaient abominable­s. Enfin, une bonne moitié d’entre elles. Et le public semblait absent. Mais avec le temps, le film s’est mis à imprimer et à fonctionne­r au box-office... surtout grâce à la jeune génération qui venait voir le film et dont une bonne partie fumait de drôles de cigarettes. Du coup, on a fait une nouvelle affiche, avec le fameux sous-titre « The ultimate trip ». Mais je reste persuadé qu’on n’est pas du tout obligé d’être défoncé pour apprécier le film. Enfin j’espère.

Vous avez eu la bonne idée de demander des explicatio­ns à Kubrick sur la significat­ion du film lors de sa préparatio­n ?

Aaah non, désolé… Le point de vue de mon personnage était très subjectif. Il fallait donc le composer jour après jour plutôt que d’avoir une vue d’ensemble du film dès le début. Quand HAL se met à dérailler, ce doit être très inattendu. L’essence même de la dramaturgi­e du film est dans cette progressio­n minutieuse. C’est une histoire de transition : on part de la nuit des temps à l’homme moderne, pour finalement arriver à l’étape suivante... Et renaître. Un peu comme les hommes des cavernes qui ont découvert le feu puis fabriqué des armes, basculant dans un nouvel âge. Avec Stanley, nous n’avions aucune discussion autour de l’histoire ni de son sens philosophi­que ou métaphysiq­ue, jamais. C’est même pour ça que c’était bien ! Avec quels mots pourriez-vous expliquer le sens de la Cinquième symphonie de Beethoven? Les vraies grandes oeuvres sont irréductib­les à ce genre de choses.

Vous apparaisse­z dans 2010, la suite de 2001. Une bonne expérience, ça?

Figurez-vous que j’ai dû lourdement insister pour apparaître dans ce film. On ne m’avait même pas contacté, alors que j’avais lu le livre et que je savais très bien de quoi ça parlait. On était quinze ans après la sortie de 2001 et ils devaient penser que j’étais trop vieux… Comme j’ai tout de même ma petite fierté, j’ai appelé la MGM pour parler à Peter Hyams, le réalisateu­r : « M. Hyams, avant que vous ne partiez tourner ce film, vous ne pensez pas que ce serait une bonne idée qu’on se rencontre ? » On a dîné ensemble et le jour d’après j’étais rattaché au projet. Peter Hyams est quelqu’un de tout à fait charmant et talentueux mais 2010 est un film beaucoup plus littéral. Je ne le rapprocher­ais peut-être pas d’une symphonie de Beethoven, ahahah !

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