Technikart - Technikart - SuperCannes

The house that Hirokazu built

Lars Von Trier, c’était hier soir, ce sera donc daemain dans ces colonnes. Aujourd’hui, on est avant-hier, l’heure de Kore-Eda, l’homme des films de famille comme à la maison. Ce coup-ci, aujourd’hui devrait durer très très longtemps.

- LÉONARD HADDAD

Toujours le même film, Kore-Eda ? Ici, tout est trompeur : le titre vf, les enfants sauvages, les photos de famille, l’orfèvrerie sensible, la petite mélancolie douce. On rentre dans Une affaire de famille comme dans une paire de pantoufle, c’est vrai, parce qu’on soupçonne le cinéaste de faire la même chose à chaque fois qu’il débarque sur ses propres plateaux. Souvent, il y retrouve des gosses somptueux, entourés de Lily Franky et sa moustache (quand Hiroshi Abe et ses 1mètres 95 ne sont pas dispos) et bien sûr de Kirin Kiki, peut-être la meilleure maman/mamie de l’histoire du cinéma (à égalité avec Lillian Gish). Il les réunit à table pour manger des pâtes en faisant des gros bruits d’aspiration ; parfois il pleut, on sort les serviettes pour s’essuyer ; quand il fait chaud, c’est prévu aussi, il y a des ventilos dans les coins. On est bien, confort, on sait vivre, il sait filmer. Kore-Eda pourrait still walker comme ça longtemps, on n’y trouverait pas grand-chose à redire. Comme à la maison. Comme dans les maisons qu’il filme mieux que personne. Mais il y a des cailloux dans les pantoufles. Pas des petits cailloux blancs pour rentrer chez soi, des gros cailloux qui écorchent les doigts de pieds. Les enfants de Nobody Knows se cachaient dans les petits placards des petites pièces d’un petit appartemen­t, et même dans les petites valises au fond des petits placards, boîtes dans les boîtes dans les boîtes dans les boîtes. Dans Une affaire de

familles, ce serait un luxe : la maison est d’une seule pièce. Quand on range la table pour dormir, il faut serrer les matelas les uns à côté des autres. Les feux d’artifice de la fin juillet, on peut les entendre, mais pas les voir, les maisons voisines sont trop proches, le toit trop bas, la caméra trop coincée. Comment papa et maman « le font » ? C’est une bonne question, à laquelle le film répond par une séquence de nouilles froides et de ciboulette qui n’est pas loin d’être ce que ce type a filmé de plus beau. Il fait chaud, dans cette scène, mais maman se plaindra d’avoir « à peine transpiré ». Une plaisanter­ie affectueus­e. En vrai, papa a réussi. Et il n’est pas peu fier de lui… Ne pas raconter le film. Si vous l’avez vu, vous savez déjà. Si vous ne l’avez pas encore vu, vous n’avez pas envie de savoir. Ça viendra. Ce constat réduit l’espace critique de ce texte, mais ce n’est pas plus mal, au fond, puisque c’est en effet d’espace réduit qu’il est ici question, d’une famille de six entassée dans une seule et même pièce qui est aussi une famille de six acteurs disposés dans un seul et même cadre, occupés à faire ce que l’on ne fait nulle part aussi bien que dans les films réalisés par Kore-Eda : jouer tous ensemble, être fabuleux simultaném­ent, sans champs-contre champs, sans filet, sans fausse note, comme un petit sextet de musique de chambre, où chacun serait tellement virtuose que personne n’aurait la vulgarité de tenter un solo. Ils s’écoutent, se regardent, se parlent. Ils font tous un truc en même temps, reliés par des fils invisibles, marionnett­es et marionnett­istes les uns des autres, un mobile pour enfants. À certains moments, ils sont merveilleu­x face caméra (Sakura Andô, révélation) ; à d’autres, ils sont géniaux dans le flou de la longue focale, sans rien faire, juste posés là, comme de simples éléments de compositio­n, tandis que le chef-op joue sur le mouvement des nuages hors-champ, le soleil voilé, la pluie qui se met à tomber, parce que la lumière du film est à l’image du reste : trompeuse, changeante, jamais au beau fixe. Ne pas dire de bêtise. Les films de Kore-Eda ne peuvent pas être tous pareils puisqu’ils sont loin d’être tous aussi bien que celui-là. Ça ne leur arrive (presque) jamais. La grâce est comme la foudre, elle ne frappe pas souvent au même endroit. Voilà à quoi aura servi The Third Murder, film 2017 qui n’était ni à Cannes, ni une affaire de famille, et où les (grands) acteurs étaient globalemen­t un peu nuls. Lancer un autre caillou, cette fois dans le jardin de la politique des auteurs : théoriquem­ent toujours le même, Hirokazu Kore-Eda est sans doute le plus inégal des grands cinéastes contempora­ins. Mais quand c’est bien, il est surtout sans égal. Aujourd’hui, ça s’est bien passé.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France