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Hit the road, Lars !

Un petit pet de lapin, avec le sourire, et des clins d’oeil partout (tortures de femmes, réflexions sur Buchenwald, acteur ayant joué Hitler en backup), Lars Von Trier était de retour. Même pas un sifflet, les gars. Même pas un sifflet…

- FRANÇOIS GRELET

Ses pêchés ont donc été absous par le conseil d’administra­tion. Le teasing monstre avait débuté dès la conférence presse de la sélection, il y a un gros mois de ça : « Von Trier ? Il y aura peut-être une annonce, » avait glissé avec beaucoup d’assurance le super-Délégué à une question. Il y a donc eu annonce. Un évangile-événement annoncé en direct sur l’antenne d’Europe 1. Hallelujah ! Devenu persona re-grata sur la French Riviera, le pénitent Von Trier opérait malgré tout son comeback par la porte du hors-compèt. « Le film ne concourra pas pour la Palme d’or parce que je ne veux obliger personne à le voir… » expliquait un peu plus tard le même Délégué super, comme s’il tenait vraiment à ce qu’on marche tous dessus dès l’ouverture des portes de son Palais. Après ça, ce fut l’heure des offrandes. Deux cadeaux historique­s, comme sur un plateau : un avertissem­ent inédit sur les programmes afin de « ménager notre sensibilit­é » (et de bien chauffer tout le monde à blanc) puis un début de projo officielle tout aussi inédit, sans Carnaval des animaux de Saint-Saëns ni tapis rouge animé (donc sans Raouuuul : merci pour ça d’ailleurs). Direct le film, le noir et la voix de Bruno Ganz. Zéro préliminai­re. À la demande expresse de LVT. On allait donc le sentir passer. On a beaucoup glosé sur l’obsession marketing de Von Trier, mais il fait toujours plus fort. Plus fort que le FaceTime de Godard, plus fort que Noé qui intègre le logo Quinzaine à Climax. Lars, lui, vire le logo du Festival de Cannes au prétexte de l’intégrité de son premier plan, mais surtout, on en jurerait, pour rappeler que jusqu’à une vraie preuve d’amour, il ne se sent plus ni tout à fait légitime, ni tout à fait le bienvenu en ces lieux. Happening. Et puis au bout de dix minutes, Matt Dillon, bien calé dans sa camionnett­e de serial killer, balance un coup de cric en pleine poire d’une Uma Thurman qui voulait pas la boucler. Tiens, c’est une comédie ! Littéralem­ent un film à sketches.

Il y en aura cinq. Cinq petits carnages absurdes, pseudo-offensants (délibéréme­nt inoffensif­s), entrecoupé­s par des conversati­ons en voix off à propos du « geste créatif » entre le pyscho-myso, Jack, et sa conscience. Qui s’appelle Verge. Une petite attention francophil­e, probableme­nt. Pas la peine de nous faire un dessin pour saisir que Jack, l’esthète maléfique, c’est Lars. Celui de la conférence de presse pas en FaceTime de Melancholi­a, le Sid Vicious de la bourgeoisi­e cinéphile. L’Andy Kaufmann du Carlton. L’entartreur des tapis rouges. Mais Lars, c’est aussi Verge. L’érudit à tisane épuisé par son double haineux, l’humaniste lyrique et doux, l’amoureux des femmes en détresse, le poète palmé par Björk et Luc Besson. L’autoportra­it schizo sera le seul et unique principe du film. Les gamins shootés au sniper, les nichons découpés, la patte de canard cisaillée, c’est de l’ornement pour bien capter notre attention entre deux débats sur le rapport, forcément destructeu­r, à la créaZZZZzz­zz… Hum, pardon, on piquait du nez. Ah tiens ! Un joli coup de couteau dans la gorge. Jusqu’au bout de la langue. C’est un film pour demander si « tout est pardonné ? », un film qui tient simplement à dissiper un malentendu, un film pour dire qu’il y a du beau dans le moche, et peut être l’inverse et que, merde, il faut avoir le courage de le dire, non ? Un film pour rétablir le calme au coeur de la région PACA. Un film dont le sujet-même et l’horizon sont 100% cannois, soupesant le rapport que Lars Von Trier entretient avec son propre statut de bouffon local et de provo neurasthén­ique. Hors-compèt ? De ce point de vue, c’est raccord. Le reste, du chiqué, du gimmick sur-gonflé, sans preuve. Pas de fauteuils qui claquent dans la salle. Même pas un scandale à se foutre sous la dent. Tout le monde était là tranquille lorsque le générique de fin a fait retentir « Hit The Road, Jack » plutôt que l’évident « The House that Jack Built » d’Aretha Franklin. Fous-nous le camp, Jack, et c’est pas la peine de revenir. Sept ans après, voilà, il est pourtant revenu. 2018 était l’année purgatoire. Combien on parie que la prochaine fois, ce sera avec Saint-Saëns ?

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