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LOUISE CHEVILLOTTE
Avant tout : Que fait Louise Chevillotte ? Cet été, elle tourne dans le prochain film de Paul Verhoeven, puis à l’automne, elle joue dans «L’Echange» de Paul Claudel mis en scène par Christian Schiaretti et au printemps prochain, dans «Le sel des Larmes»
Quelle est la portée de la voix dans le métier d’acteur ?
J’ai le sentiment que la voix est un territoire à conquérir au même titre que son propre rapport à l’émotion. Plus j’explore des univers différents et plus j’ai l’impression que la voix est une des premières clés de l’interprétation, au théâtre comme au cinéma. Au Conservatoire, j’avais des cours de voix parlée avec un professeur passionnant, Alain Zaepffel. Au premier cours, je me suis effondrée : la voix qui est sortie de moi après trente minutes de travail m’était complètement étrangère, et pourtant mon professeur m’a dit que c’était la mienne, ma vraie voix, mon médium. La voix que j’ai tous les jours a une espèce de voile, qui vient d’une mauvaise manière de respirer. Libre à moi de l’utiliser telle quelle, mais il fallait aussi apprendre comment s’en défaire, comment trouver le vrai chemin de ma respiration. Le travail du souffle et de la voix est grisant, car on plonge dans une technique à part entière, qui vient de soi, et on prend conscience qu’on est alors notre propre instrument. Ca peut paraître évident, mais l’expérimenter de manière organique a d’abord été un choc qui depuis est un travail et un apprentissage de moi-même. La voix devient alors comme une étrange amie, avec qui on apprend à avancer.
Y a-t-il un lien entre le métier d’acteur et celui de conteur ? Peux-tu nous parler du plaisir de raconter?
Le conteur est celui qui raconte des histoires. L’acteur les raconte différemment, à travers des situations. Il n’est pas, a priori, seul responsable d’une narration. Il est comme le fragment d’un conte, et avec les images, le montage, les autres personnages, se forme cette mosaïque qu’est une histoire. Néanmoins, au théâtre, j’ai pu expérimenter de plein fouet ce rapport au métier de conteur : je travaille avec une jeune compagnie, Buzzing Grass, créée par une chorégraphe, Mathilde Roux, qui s’intéresse aux liens entre la danse et le théâtre, à partir de la première partie du Bruit
et la fureur de William Faulkner. Au plateau, j’accompagne une danseuse, et je porte seule tout le récit. Dans ce projet, je me sens conteuse : je suis seule dépositaire du sens, je dois faire entendre cette histoire à la langue très singulière. Raconter, c’est comme ramener dans le champ un ailleurs, et le laisser voir seulement par la parole. Je suis très sensible aux scènes de récit au cinéma : le temps se suspend, et l’acteur apporte dans l’espace du cadre un ailleurs, d’autres corps, d’autres temps, d’autres histoires.
Pouvez-vous nous parler du silence ?
J’ai récemment vu L’homme sans passé de Kaurismäki, film assez silencieux, qui a mis le doigt sur une chose qui m’importe de plus en plus : la rareté des paroles. J’aime énormément être en écoute ou en simple présence, car la caméra, et c’est la grande force du cinéma, révèle la marée de pensées et de paroles muettes qui traverse les êtres. Cette réflexion me vient de Philippe Garrel, avec qui j’ai travaillé sur l’Amant d’un jour, et pour qui la direction d’acteur revient principalement à s’intéresser à la pensée de l’acteur. Il ne s’agit pas d’être dans le cadre et de jouer, de réagir : avant toute chose, l’acteur doit tout le temps être habité de pensées, quelles qu’elles soient. Le silence, au même titre que le dialogue, est lié à une très forte incarnation, guidée par la pensée. J’ai un immense plaisir à me laisser traverser dans le silence par des bribes de souvenirs, des choses très concrètes ou encore des rêves, et faire confiance à la caméra qui par quelque endroit saisit cet indicible. Dans le prochain film de Nadav Lapid,
Synonymes, dans lequel j’ai tourné l’hiver dernier, l’un des moments les plus forts à jouer a été pour moi une longue traversée silencieuse de Paris, aux côtés de Tom Mercier, l’acteur principal du film. Jamais silence n’avait été plus bruissant pour moi que cette avancée côte à côte dans une agitation émotionnelle où aucun mot ne peut sortir.