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Travolta et nous

Chaque jour, la presse cinéma s’interroge : « Où sont passées les stars ? ». Il y en avait au moins une, et une belle, démultipli­ée sur la Croisette : en promo pour Gotti, à la plage pour fêter les 40 ans de Grease, en masterclas­s salle Buñuel. Sous vos a

- FRéDéRIC FOUBERT

J

ohn Travolta reçoit la presse internatio­nale au septième étage du Carlton, dans une suite avec vue sur la mer, petits fours, rafraîchis­sements à portée de main, grand style. Il serre la main aux journalist­es, TOUS les journalist­es (et on est un paquet), demandant gentiment notre prénom en nous fixant de son regard bleu lagon, décochant sourire sur sourire. Oui : ce sourire. Il est tiré à quatre épingles, manifestem­ent en pleine forme, comme requinqué par sa récente performanc­e histrioniq­ue dans la série American

Crime Story : the People vs O.J. Simpson. Pas confused du tout, Travolta. Il est là pour faire la promo de Gotti, biopic DTV du plus gros bonnet de la famille Gambino, réalisé par Kevin Connolly, le mec qui jouait Eric dans la série HBO Entourage – le film ressemble d’ailleurs un peu aux simili mafia-movies qu’on voyait dans Entourage. Mais personne ici ne fait semblant de prendre Gotti pour le Parrain. Ni nous, ni lui. Il a un film à vendre et le fait comme un profession­nel, un gentleman, une… star, oui, c’est le mot. Les plumitifs du monde entier trépignent à l’idée de le rencontrer. Il prendra des selfies et signera des DVD de Pulp Fiction s’il le faut. En table ronde, la conversati­on part dans tous les sens, mais les questions qui lui tombent dessus à la chaîne (« Vous dansez toujours ? » « Jouer un méchant, ça vous plaît ? », « Vous faites beaucoup d’exercice ? ») finissent par dessiner un portrait cubiste du bonhomme. Il ne refuse aucun sujet : le disco, Tarantino, la scientolog­ie, la traversée du désert 80’s, les mèmes Internet, le système mafieux qui régente Hollywood depuis la nuit des temps… Toujours le sourire. Il parvient à donner une dimension vibrante, humaine, à tout ce qu’il dit. « Il y a quatre

ans, quand on est venu fêter les 20 ans de Pulp Fiction sur la plage, j’étais en pleurs. » En

pleurs, John ? « Oui, j’ai vu toute ma vie d’acteur défiler devant mes yeux, ça m’a bouleversé. » Cette année, ce ne sont pas les 20 ans de Pulp Fiction qu’on célèbre, mais les 40 de Grease, autre marqueur génération­nel indélébile. Si tous les acteurs ont des bornes dans leur filmo, Travolta est l’un des rares à avoir su capter aussi régulièrem­ent et aussi glorieusem­ent l’esprit du temps. Tony

Manero, Danny Zuko, Vincent Vega… On lui demande à quoi ça tient, il fait mine d’y réfléchir

pour la première fois. « Je ne sais pas… Quand j’étais gosse, je m’intéressai­s toujours à ce qui était neuf, au dernier truc à la mode. J’aimais avoir un coup d’avance. C’est peut-être pour ça que j’ai su à plusieurs reprises choisir les bons films. Quand Tarantino est venu me chercher, il m’a parlé de deux projets : le truc de vampires que George Clooney a fini par faire (Une nuit en

enfer), et Pulp Fiction. Sauf que Pulp Fiction était déjà casté : c’est Michael Madsen qui devait jouer Vincent Vega. Un soir où on trainait ensemble chez lui, Quentin m’a dit : “John, dis-moi la

vérité : Une nuit en enfer, tu le sens pas, c’est ça ? Tu préfères Pulp Fiction ?” Et j’ai dû lui avouer que je me foutais complèteme­nt de ces histoires de vampires… Vous voyez ce que je veux dire ? Ce n’était pas moi en train de faire un caprice, c’était juste mon goût personnel. » On aimerait rebondir, mais la journalist­e allemande vient de poser une question sur sa passion pour l’aviation. Pas grave : Travolta nous a quand même donné de quoi ruminer. On repensera à lui devant Under the Silverlake, la vaste dissertati­on méta d’un cinéaste, David Robert Mitchell, lui aussi guidé par l’envie d’être totalement de son époque. Pulp Fiction marquait le grand basculemen­t dans l’ère postmodern­e, Under the Silver Lake s’envisage comme un immense digest de la pop culture contempora­ine, entendant révéler la dimension morbide, quasi putride, de l’obsession de celle-ci pour le recyclage permanent. C’est « L’invasion des profanateu­rs de pop culture » (citation du Don Siegel à l’appui). Un hipster de East Hollywood y cherche son chemin au milieu d’un labyrinthe de signes, de références, de refrains, de posters. Et l’homme derrière la caméra se demande : comment être cool, moderne, pertinent ? Espérons pour lui qu’il a eu le temps de passer une tête à la masterclas­s de John Travolta.

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