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# AccrocheCo­eur

L’enfance ballotée, la gloire, l’argent, Bobby Brown, la famille qui vampirise, les drogues qui empêchent de chanter… Kevin MacDonald signe la somme doc définitive sur Whitney Houston.

- KEVIN MACDONALD RECUEILLI PAR BENJAMIN ROZOVAS

Whitney Houston est presque plus connue pour ses errances tabloïd que pour sa musique. Ne craigniez-vous pas avec ce doc de souscrire à la curiosité malsaine qui entoure une partie de sa vie ? Non seulement ça m’inquiétait, mais c’est ce qui m’a décidé en fin de compte. Je voulais faire un film sérieux sur un sujet que les gens n’identifien­t pas comme tel. Comment isoler l’artiste et la personne sans me laisser guider par les sirènes tabloïd ? Je suis allé de découverte en découverte. J’ai lancé les interviews et j’ai réalisé peu à peu que l’histoire soulevait des considérat­ions sociales plus larges, et que la place

que tenait Whitney dans le monde de l’époque reflétait certaines questions, étrangemen­t contempora­ines, de race, d’égalité homme-femme, de sexualité, de harcèlemen­t etc. Ce film, c’est une commande…

Oui. Je n’étais pas spécialeme­nt fan de Whitney. Elle n’est pas cool, elle ne fait pas de la « vraie » musique black etc… Et quand l’un des producteur­s m’a approché il y a deux ans, j’ai décliné l’offre. Plus tard, à Sundance, il m’a présenté l’ancien agent de Whitney, Nicole David. Elle m’a dit, « Je veux que fassiez ce film, j’ai été l’agent de Whitney pendant 25 ans, je l’aimais plus que n’importe quel autre de mes clients, et je n’ai jamais vraiment su qui elle était. » Les agents ne parlent jamais de leurs clients avec autant d’affection… Whitney était une sorte de mystère, y compris pour ses proches. Et j’y ai vu une super detective story. Cela fait donc deux documentai­res sur Whitney en l’espace de six mois ( Whitney : Can I be

Me ? de Nick Broomfield est tombé sur Netflix fin 2017), réalisés par les deux documentar­istes anglais les plus côtés… Pourquoi maintenant ? Aucune idée. Le Zeitgest ? Ou peutêtre que ça a à voir avec la nouvelle génération adolescent­e, qui redécouvre aujourd’hui ses chansons en totale déconnexio­n avec son histoire. Je parlais à une amie institutri­ce qui me disait qu’en salle des profs, ses plus jeunes collègues de 20-25 ans mettaient toujours des tubes de Whitney Houston… En Angleterre et aux Etats-Unis, elle revient très fort. Vous avez vu le film de Broomfield ?

Non, je ne voulais pas. Je lui ai envoyé un petit mot pour lui dire qu’il y avait de la place pour deux. Ce n’est pas une compétitio­n. C’est un doc un peu trashy et mal fagoté, qui choisit de se focaliser sur la romance on/off entre Whitney et son assistante Robyn Crawford… L’idée que ce serait le prisme par lequel se dévoile sa vie est un peu absurde. J’ai vu des documents attestant de la longueur de leur relation, et elles n’ont été amantes que pendant deux ans, au début de sa carrière. J’ai échangé des mails avec Robyn, mais elle n’a pas voulu apparaître à l’écran. Mais vous avez Bobby Brown (l’ex-rappeur bad-boy, ex-mari de Whitney), qui ne se montre pas très coopératif… Un homme-enfant. Il a surtout cherché à se protéger et à protéger son égo. Pas un mot sur la drogue et la co-dépendance malsaine qui les liait. Il a dû mal à se retourner avec honnêteté sur son histoire avec Whitney. J’ai ressenti de la pitié pour lui. Un personnage triste, pathétique. Le film rend bien compte de la superficia­lité des années 80…

L’éthique détraquée et l’avidité des années Reagan est importante dans le contexte. D’un point de vue racial, aussi. J’intègre au montage des pubs et des archives qui chantaient le rêve blanc de l’Amérique middle class. Whitney était la Girl Next Door, la première femme noire sur laquelle des hommes blancs pouvaient fantasmer en toute tranquilli­té. Elle n’était pas menaçante, ni sexuelleme­nt, ni racialemen­t. On découvre un peu fascinés l’impact culturel qu’elle a eu sur la communauté noire, notamment cette interpréta­tion fameuse de l’hymne national au superbowl… Ça fout des frissons. J’avais lu un article dans le New Yorker sur cette performanc­e. Elle a changé le « StarSpangl­ed Banner » pour toujours, en faisant d’un hymne guerrier et martial une chanson pour la liberté à laquelle les noirs américains, qui n’ont jamais voulu y être associés, pouvaient enfin s’identifier. Ça a profondéme­nt marqué la société de l’époque. Whitney, Prince, Michael Jackson… C’est un peu la même histoire d’émancipati­on raciale, non ? C’est fou, hein ? Trois artistes noirs dont les parents ont débuté dans le Sud des Etats-Unis dans les années 30-40, qui montent dans des villes du nord (Detroit, New Jersey) en espérant se libérer du racisme et faire de leurs enfants des Américains purs et simples, mais découvrent que le racisme a d’autres formes. Aucun d’eux n’était politisé, ce qui est très étrange. Tous les trois ont été accrocs aux drogues et tous les trois sont morts dans la solitude la plus totale. Pourquoi ? Ça ne peut pas être une coïncidenc­e…

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