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Amin, mon dada
Amin de Philippe Faucon raconte les travailleurs immigrés, délocalisés par définition, coupés d’eux-mêmes mais en guerre contre personne, eux.
Dis-moi comment tu t’appelles, je te dirai le film que tu es. Les titres de Philippe Faucon ne doivent rien au hasard. Dans Samia (2000) comme dans Fatima (2015) il y avait une mère et ses filles, mais le choix du prénom permettait de remonter une génération de l’un à l’autre, et de changer ainsi la préoccupation du film. Car voilà, Faucon est un cinéaste préoccupé, davantage qu’un cinéaste social, sociologique, sociétal ou engagé.
Amin raconte un foyer de travailleurs immigrés, où les gens se croisent en revenant des chantiers. Pendant dix bonnes minutes, on regarde tous ces visages en se demandant lequel s’appelle Amin (donc ce que sera le film), comme si chaque trajectoire méritait à égalité son récit. On se pose finalement sur un grand gaillard sénégalais, Moustapha Mbengue, vraie présence de cinoche, qui joue pourtant une absence. Il est là, il bosse bien, il est engagé par Emmanuelle Devos, ils coucheront même ensemble pendant un temps, presque normalement. Mais sa tête est ailleurs, au Sénégal, où il prend parfois le risque de rentrer avec des euros (et le moral) dans les chaussettes. Car là-bas, il n’est pas non plus à sa place : ses enfants le connaissent à peine, sa femme lui reproche son sacrifice, ou de ne pas vouloir l’emmener avec lui. De retour en France, un raccord mesure l’étendue de ce qui les sépare, le degré de manque, de rancoeur, d’impossible. On a parfois traité les travailleurs immigrés au cinéma, mais toujours sous l’angle du décalage, jamais sur celui du manque et de la peur du vide. Comment remplir ça ? Comment échapper à une forme de fatalité, que désigne devant ses yeux la trajectoire d’un vieil Algérien qui arrive à la retraite ? Amin n’a pas la réponse, il n’a pas la clef. Et Faucon non plus. Voilà ce qui fait la beauté de son cinéma : les questions.