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JE LIS LE FIGARO MAGAZINE

DANS UN MILIEU MÉDIATIQUE TOUJOURS PLUS TIMORÉ ET CUCUL LA PRALINE, UN PHARE RÉSISTE : LE FIGARO MAGAZINE. EH OUI ! ET SI C'ÉTAIENT EUX… LES DERNIERS À NE PAS PRATIQUER LA FAUX-COOLITUDE ?

- LOUIS-HENRI DE LA ROCHEFOUCA­ULD

En 1977, Yves Adrien publiait dans le quatrième numéro de la revue Façade un manifeste resté culte : « Je lis Le Figaro ». Qu'est-ce qu'Adrien nous y raconte ? Alors que ses contempora­ins branchés bêlants se battent pour être dans le coup, lui prend de la distance et s'en retourne à Jean d'Ormesson. Dans son appartemen­t, il s'adonne stoïquemen­t à la lecture du Figaro, déguste les dessins de Jacques Faizant et les papiers de Daphné de Saint-Sauveur, ceux de Jean Guitton, Jean Raspail ou Renaud Matignon, sourit des ragots mondains d'Hélène de Turckheim et des pages politiques sur « un ineffable babouin nommé Michel Debré », salue les divagation­s de James de Coquet sur le thé et les asperges ainsi que « la prose de Jean Dutourd

qui sent bon le suppositoi­re et le vieux chausson »… Il faut replacer ce pied de nez sarcastiqu­e dans son époque : en 1977, les soixante-huitards fêtent leurs trente ans, ils prennent du ventre mais refusent de vieillir, ils prospèrent, les boîtes de nuit poussent un peu partout et l'épouvantai­l Mitterrand se profile à l'horizon ; bref, c'est le début du jeunisme, avec bientôt un tramway nommé Harlem Désir, des retraités en baskets et toute cette démagogie laborieuse dans laquelle on traînasse encore aujourd'hui.

Problème ? Les quinquas, quadras et trentenair­es n'ont pas voulu tuer leurs papas baby-boomers. Et depuis quarante ans, leur socialisme cool n'a cessé de paralyser toute critique, d'où ce monde de brunchs sans gluten où l'on ne peut plus dire la vérité – que Patti Smith est devenue une chèvre, par exemple. Cette zombificat­ion de la pensée, on la retrouve dans un large spectre de gazettes clonées qui court de Télérama à Grazia et dont l'épicentre demeure Les Inrockupti­bles. Ces derniers temps, les « unes » des Inrocks ressemblen­t à des canulars : Augustin Trapenard torse nu avec un boomerang, Benjamin Biolay sur ses deux pieds sous le slogan « Inrocks debout », les nigauds osent toutes les sottises… Il faut dire que l'équipe ne compte plus que des saintes-nitouches sérieuses comme

des papesses à la Nelly Kaprièlian, et que le directeur de la rédaction, le bon Pierre Siankowski, ancien de Canal+, se vantait récemment dans une interview à Libé de « faire dialoguer Raphaël Glucksmann et Omar

Sy », ajoutant sans rire qu'on « ne doit pas vivre entre soi, dans le confort

intellectu­el, mais écouter ce que les gens disent » – il est vrai qu'il est allé le chercher loin, le fils Glucksmann, et qu'il est urgent de confronter ce penseur capital à Omar, autre grand génie de notre siècle.

Dans cet enfer climatisé, un canard nous tire du ronron tous les samedis : Le Figaro Magazine. Dès les premières pages, Zemmour secoue le cocotier. Sous sa chronique bien troussée, le billet « Nous vivons une époque formidable ! », signé Nicolas Ungemuth, ferait passer Paul Léautaud pour Mouloud Achour. Plus loin, on retrouve Neuhoff et ses cravates à bout carré dans sa colonne « Passe-temps ». A la suite, « La bonne mesure du tailleur Scavini » nous rappelle qu'il importe plus de savoir ajuster un ourlet que d'acheter Charlie Hebdo. Si Beigbeder flatte parfois les puissants (Jérôme Garcin, FOG), il étrille régulièrem­ent fausses valeurs et vachettes sacrées – très marrante descente de la sinistre Annie Ernaux dernièreme­nt. Les pages « Esprits libres » pilotées par Patrice de Méritens enfoncent le clou. Les plus pervers iront jusqu'à lire Jean Sévillia avant de s'endormir sur « Le bloc-notes » de Bouvard. A ce stade, on est fou : on veut s'acheter un labrador, un loden, l'intégrale de Joseph de Maistre et une maison en Normandie… Les punks du Fig’

Mag’ sont des grands cousins caustiques ou d'anciens tontons flingueurs qu'on a plaisir à retrouver à la table dominicale. Il ne baragouine­nt pas franglais, mais discourent dans un français impeccable. Ils ne cherchent pas à plaire aux ados, ne résistent pas en terrasse. Et surtout, ils aiment RIRE – trait si rare dans la presse. Longue vie aux suppositoi­res et aux vieux chaussons.

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