« ABSTRACT EXPRESSIONISM À LA ROYAL ACADEMY
On a trouvé une bonne raison de prendre l'Eurostar pour Londres : la Royal Academy of Arts y présente une exposition colossale rassemblant les grands maîtres de l'expressionnisme abstrait. Renversant.
Si l’on doit d’abord faire « abstraction », c'est de la foule, rassemblée à la Royal Academy of Arts de Londres qui ne désemplit pas depuis le lancement de son exposition consacrée à « l'Expressionnisme abstrait ». Inventé par le critique d'art Robert Coates en 1946, le terme n'évoque pas grand-chose au commun des mortels, alors que c'est sous cette appellation qu'ont été sommairement rangés les Pollock, Rothko et autres de Kooning. La grande exposition (12 salles !) qui se tient jusqu'au 2 janvier à la Royal Academy (RA) de Londres se met au défi de donner plus de visibilité à ce mouvement qui a résolument cassé les codes et redéfini la nature du champ artistique pour le reste du siècle – plus encore que les mignons soubresauts de la pop culture des années 60 actuellement mis à l'honneur au Victoria & Albert Museum.
Des courbes colorées de l'immigré arménien Arshile Gorky, « père de l'Ab-Ex » maniant habilement le cubisme autant que le surréalisme, on plonge rapidement dans un océan – une douzaine de tableaux, dont l'immense et magnétique Mural – de Jackson Pollock. Vibrant d'une énergie physique, ses toiles sont un puissant mélange d'impulsions viscérales et de profonde domination intellectuelle. Le ton sera donné pour la suite de l'exposition, alternant entre salles thématiques – « Le geste comme couleur », « L'obscurité rendue visible » – et véritables autels consacrés aux grands maîtres du genre. Point culminant de la visite, la rotonde centrale, qui relie entre elles toutes les ailes de la galerie, est une ode aux oeuvres quasi-spirituelles de Mark Rothko. L'inquiétante douceur des rectangles pastel du peintre russe, rayonnant d'un halo mystique, tranche avec la vivacité du pinceau de Franz Kline, dont les furieux noir et blanc rappellent la violence du New York urbain et industriel de l'époque. L'exposition prend ensuite littéralement de l'ampleur, avec les créations monumentales de Barnett Newman et Ad Reinhardt, dont les aplats de couleurs verticaux aspirent à une transcendance existentielle. « Outsider » du mouvement, trop rarement mis en lumière, Clyfford Still se voit cette fois consacrer une salle entière. Ses « paysages » aux vigoureux contrastes semblent jouer entre la vie et la mort, inséparables. « À côté de Still, nous autres avons l’air aca
démiques », reconnaissait Pollock.
Alors même qu'on ne pourrait penser format plus classique, l'exposition commissionnée par l'historien de l'art David Anfam et Edith Devaney (RA) joue sur la force inhérente de ces 164 masterpieces du XXe siècle pour retracer les grandes lignes de l'expressionnisme abstrait. Même pas trop besoin de s'arracher les yeux sur la brochure, l'institution londonienne nous fait sans peine revivre les débuts éclatants de l'AbEx, dont le premier et dernier hommage remontait à l'exposition organisée au MoMA (New York) en 1958. Riche, efficace, instructif – nécessaire.