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LE PORTRAIT

NE PAS S'ARRÊTER À SON LOOK DE GENDRE IDÉAL. DERRIÈRE SA MÈCHE SUR LE CÔTÉ, LAFAYETTE COMPOSE DES CHANSONS QUI CHERCHENT DES POUX DANS NOS TÊTES : POURQUOI LA POP FRANÇAISE LA MIEUX TENUE EST-ELLE DEVENUE SI DÉCONSIDÉR­ÉE ICI ? FANS DE PNL, VOUS POUVEZ SAU

- PAR LOUIS-HENRI DE LA ROCHEFOUCA­ULD PHOTOS MÉLANIE BORDAS AUBIES

LAFAYETTE

« NOTRE HÉRITAGE FINIT PAR NOUS EMPÊCHER DE PROPOSER UN TRUC NEUF – ALORS QU'ON EST OBLIGÉ DE REGARDER DEVANT, ON NE PEUT PAS ÊTRE JUSTE UN PAYS MUSÉE. »

Madame de La Fayette, le général de La Fayette, les Galeries Lafayette… Zemmour, pourtant tatillon, n'y trouverait rien à redire : Lafayette, voilà un pseudo qui fleure bon la France. « C’est un nom

de chez nous » , comme dirait Frédéric Berthet. Le Lafayette dont il est question ici n'est ni une comtesse comme la première, ni un marquis comme le deuxième, mais un garçon moderne de 37 ans qui vit dans une maison aux Lilas avec sa femme et sa fille. Il est aussi chanteur. Sorti en mai dernier, son single « La mélancolie française » aurait dû être le tube du printemps : mélodie crampon, mélange de clavecin et de synthé ; texte dans l'air du temps, avec son narrateur évoquant entre autres les rois et les colonies, la résistance et le plein-emploi, Satie et Debussy, Baudelaire et Flaubert, le château Margaux

et la fusée Ariane… « Je la sens dans vos âmes, dans vos yeux et dans vos bleus / La mélancolie française / Elle vit en vous, elle vit en moi / La mélancolie française ». Sur le site des Inrocks, un stagiaire timoré trempait ses draps lors de la mise en ligne du clip : « Lafayette chante tout ce qui a fait l’histoire de France, à grand renfort de paroles sacrément réacs. On ne sait pas trop si on devrait y voir du

second degré, si on doit être gêné ou fasciné. » Le pauvre chéri. Sa maman peut-elle venir lui mettre une couche ?

Depuis, on a écouté en boucle l'excellent album que Lafayette sort ce mois-ci. Un disque qui met fin à l'ambiguïté. Non, Lafayette n'est pas un descendant tête brûlée de Joseph de Maistre (celui-là, on l'attend toujours !). Oui, il nourrit quand même une

vraie tendresse pour la France d'avant. Alternant morceaux tristes et facétieux, il pourrait être le fils de Burgalat, le petit neveu de Jacno et François de Roubaix. Sa musique est évidente, son succès l'est moins. Pourquoi, en 2016, un mec comme lui se trouve marginalis­é au lieu d'être aussi grand public que le Dutronc de 1966 ? Mystère et boule de gomme ? Ou symptôme d'un glissement digne d'être décrypté ?

VENDEUR CHEZ APC

Pour tenter de répondre à cette épineuse énigme, on retrouve ledit Lafayette à la terrasse d'un restau sis près du Carreau du Temple. Ponctuel et affable, voix un brin snob, veste en seersucker, il fait BCBG plus que réfugié. On commande les premières pintes, je sors mes notes. Notre homme est né en 1979 à Rouen, ville où il vivra jusqu'au bachot. Son père est dans la banque, sa mère dans l'Education nationale, conseillèr­e d'orientatio­n – « plutôt classe

moyenne » . Ses parents n'étant pas des Pic de la Mirandole rock, il grandit en écoutant la radio, les Rita Mitsouko, les Beatles, Queen… Ado, la guitare le démange : il prend un an de cours et bricole un peu de musique avec un copain dont le père possède un home-studio.

A 18 ans, ayant réussi le concours de l'Ecole du Louvre ( « c’est pas si dur, sincèremen­t, mais tu peux le rater tellement c’est con » ), il s'installe dans une chambre de bonne à Paris. Viré à la fin de la première année, il tâte un peu d'histoire à la Sorbonne. Lafayette me raconte ça avec la nonchalanc­e amusée qui semble ne jamais le quitter. A 22 ans, la mort de son père lui fout quand même un coup de pied au cul : il arrête la fac, se lance à fond dans la musique, trouvant des petits boulots pour vivre. Le moins pénible ? Un job chez A.P.C., rue de Fleurus, où il habille parfois un échalas nommé Nicolas Godin : « J’étais vendeur à mi-temps – ce serait un bon titre

de chanson. Je travaillai­s avec Masaya (Masaya

Kuroki, ndlr). Il était lui aussi vendeur à mi-temps et essayait de monter sa boîte, Kitsuné. Je ne l’ai pas revu, mais ça a marché pour lui… Je bossais là-bas

trois jours par semaine, et le reste du temps j’étais avec Séverin, avec qui j’avais monté One-Two. J’étais pauvre, mais j’avais les fringues gratuites, les vendeuses étaient mignonnes, ça allait. Enfin, j’avais pas non plus envie que ça dure des années. » Un souvenir du boss, Jean Touitou ? « C’était mon patron, hein. Il avait un côté cool et un côté… hum… Un jour, il arrivait genre c’est la fête, on est potes, on fumait des pétards dans la boutique avec lui. Le lendemain, rien à voir, il fallait lui composer les numéros de téléphone et lui tenir le combiné. Tu te disais : qu’est-ce qu’il a, il faut qu’il redescende. Un type très lunatique. »

En 2006 sort le premier album de One-Two. Pendant trois ans, Lafayette pourra vivre de sa musique : « Les influences de One-Two, c’était les sixties et les synthés, les Kinks et Kraftwerk. Ou “Temporary Secretary”, la chanson de McCartney. On chantait en anglais, ce qui nous a permis de faire un peu le tour de l’Europe, Berlin, Londres, le festival Primavera à Barcelone, la première partie des Rapture au Bataclan. C’était Vice qui faisait notre promo, grâce à eux on se retrouvait à jouer dans des trucs improbable­s, dans le sud de l’Italie je me souviens… On marchait un peu, mais on n’a pas non plus explosé, et tourner nous a usés. T’es hyper content de dormir sur un canapé en Italie la première fois, la deuxième fois aussi. La quinzième fois, moins… Au bout d’un moment, c’est : foutez-moi devant France 3 et Questions pour un champion. »

« JE DEVAIS ME RÉINVENTER »

Après un deuxième album en 2008, One-Two se sépare : « Je ne gagnais plus d’argent, j’avais plus rien à foutre. J’étais un poil déprimé, pour dire la vérité. Je me traînais. J’avais été cool, je ne l’étais plus, et la trentaine arrivait. Il y avait un côté fin de l’été. J’ai fait de la veille audio pendant quatre ans à la Défense. Ce qui est dur, quand tu fais de la musique de kids, c’est que tout d’un coup toi tu n’en es plus un, et il y a un côté un peu pathétique à vouloir le rester. Il faut évoluer avec son âge. Je ne sais pas comment font les gens de 45 ans qui passent encore leur vie dans les clubs – à moins d’avoir la chance d’être complèteme­nt gogol, c’est pas tenable. Moi, je devais me réinventer. J’ai commencé à composer mes morceaux en français. » Huit ans plus tard, cela donne l'album Les dessous féminins et ce fameux single, « La mélancolie française ». Une clef de lecture, Lafayette ? « C’est un clin d’oeil aux débats politiques et sociétaux du moment. Je n’ai pas l’impression que la France soit foutue, mais il n’y a pas de vision d’avenir. On nous rebat les oreilles avec la grandeur de la France, grandeur qui est un peu passée, et nous écrase. Des amis architecte­s me disent que c’est l’enfer : Paris, c’est beau, mais ils ne peuvent rien y construire. Notre héritage finit par nous empêcher de proposer un truc neuf – alors qu’on est obligé de regarder devant, on ne peut pas être juste un pays musée. Pourquoi ma chanson n’a pas été un tube ? C’est un peu clivant. Comme ce n’est pas moral, que je ne dis pas “c'est bien” ou “c'est pas bien”, il y a un truc qui met les gens mal à l’aise. Un tube, c’est souvent une connerie, un slogan. J’aurais fait un morceau à la Zemmour, j’aurais eu un public. Bon, j’en aurais perdu d’autres ! » Ce fourbe de Lafayette essaierait­il de noyer le poisson ? Quand je l'entends me parler des belles villas anglo-normandes de Rouen ou de sa passion pour Fitzgerald dont il a lu toute l'oeuvre, je le sens quand même plus proche de Paul Morand que de Caroline Fourest… Allez, tu peux le dire que tu es nostalgiqu­e – ton album ne parle que de ça, non ? « Au niveau de la forme, ma musique est moderne. Après, c’est vrai, j’ai un peu une culture de vieux. Dans ma mythologie, il y a un côté Trente Glorieuses. C’est peut-être un tort, mais je connais plus Sagan que Beigbeder… »

« LA FRANCE S'EST RÉVEILLÉE »

Quand on s'arrête sur le paysage culturel actuel, ça laisse songeur : que ce soit par démagogie, jeunisme, complexe ou sottise, l'intelligen­tsia n'en a plus que pour le verbeux, la théorie du genre et le génie des banlieues. Des pitres aussi consternan­ts que Christine & The Queens ou Céline Sciamma sont portés aux nues. Nos confrères ne cessent plus de lécher les baskets de PNL – elles doivent

« C'EST PEUT-ÊTRE UN TORT, MAIS JE CONNAIS PLUS SAGAN QUE BEIGBEDER. »

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