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« LA MODE N’EST PAS UNE NÉCESSITÉ »

- PAR ANNE BEREST PHOTOS JULIEN LIÉNARD

LE CRÉATEUR AVAIT DISPARU DES RADARS IL Y A DEUX ANS, AU MOMENT DE SA RUPTURE AVEC LE GROUPE LVMH. IL REVIENT AUJOURD’HUI AVEC UNE DOUBLE ACTU : LE LANCEMENT DE SA MARQUE DE PRÊT-À- PORTER POUR HOMMES, ET LA DIRECTION ARTISTIQUE D’AZZARO. LA ROMANCIÈRE ANNE BEREST L’A RETROUVÉ POUR NOUS. Les romanciers sont toujours curieux de rencontrer des personnage­s de fiction. Maxime Simoëns en est un. Tout est là : la précocité, l’ambition, les rêves et la fragilité. Alors qu’il n’est qu’un jeune garçon, son destin bascule, en une nuit, à cause d’une émotion esthétique. Il décide alors de devenir styliste, du jour au lendemain. Son talent se révèle dans cette voie, et sa particular­ité, reconnue par tous, accélère son parcours de façon exceptionn­elle. Il sort major de sa promotion à la Chambre syndicale de la couture parisienne, puis force sa chance pour rentrer chez Jean-Paul Gaultier, avant de travailler pour Dior, Saab et Balenciaga. Ensuite il monte sa propre maison, M.X, intègre officielle­ment le calendrier de la Couture et défile pour la première fois en janvier 2011. Convoité par les stars, qui se penchent sur son berceau comme les merveilleu­ses fées des contes, le jeune homme promène sa frêle silhouette dans un monde que l’on sait cruel. Je le rencontre dans une boutique qui porte son nom, à la veille de son premier défilé en tant que directeur artistique d’Azzaro. Il n’a que 32 ans. D’abord, je suis frappée par sa façon claire et précise de parler. Comme les personnage­s de roman dignes de ce nom, il a sa « langue », bien à lui. Une langue claire, affûtée, sans ambages et sans faux modernisme. Pendant que nous parlons, j’essaye de retenir le dessin des traits de son visage. Comme les héros des livres, Maxime Simoëns est indéniable­ment beau. Ses lèvres en particulie­r, charnues et viriles, lui donnent l’air d’un très jeune homme dont l’enfant habite encore la peau. Maxime est un homme que l’on regarde. Pourquoi ? C’est injuste et inexplicab­le, et cela s’appelle le charme. Dans les séries comme au cinéma, lorsqu’on construit un personnage, il faut écrire sa « bible » : définir tout ce qui fait de lui un être à part, tout ce qui dessine sa trajectoir­e narrative. Alors voilà. J’ai décidé de mener cet entretien sous forme de bible, et de poser à Maxime Simoëns les mille questions que je me serais posées à moi-même, si j’avais dû faire de lui un personnage sorti de mon esprit. Quel fut le moment de la révélation pour toi ? Maxime Simoëns : Un soir, au concert de Madonna. En voyant les costumes de Jean-Paul Gaultier reproduits dans le programme. Je me suis dit que c’était cela que je devais faire. Comment le destin s'est-il incarné ? J’étais à la Chambre syndicale, quand j’ai réussi à décrocher un stage, justement, chez Jean-Paul Gaultier. Pouvoir côtoyer un aussi grand créateur, c’était un rêve impensable. Pourtant je me suis retrouvé, moi le tout petit stagiaire, à 19, 20 ans, à pouvoir dessiner des accessoire­s. Quel fut le chemin pour y arriver ? Ce fut une longue histoire ! Je voulais impérati-

« LA NOUVEAUTÉ ? UNE MANIÈRE D’INTERPRÉTE­R LES CHOSES QU’ON A VUES, MAIS SOUS UN AXE CONTEMPORA­IN. »

vement travailler pour lui et je m’étais demandé quel était le meilleur moyen pour pouvoir capter l’oeil des personnes intermédia­ires ? Je me suis dit qu’il fallait faire la lettre de motivation la plus improbable possible. Et donc j’avais créé un corset en cuir avec les découpes de Jean-Paul, j’avais chiné une peau de python où j’avais fait ces découpes dans un corset blanc, puis j’avais peint la peau de python qui était à l’intérieur, écaille par écaille. Cela formait une forme de marinière, aléatoire. Et j’ai brodé tout le texte à la main, et les mots essentiels je les ai mis sur des organzas. Il y avait un pochon blanc avec de l’organza rouge – donc on voyait la lettre en transparen­ce. Le tout était dans une grosse boîte en bois que j’avais construite moi-même. Et c’est comme ça que j’ai réussi à passer toutes les étapes. En juste un coup. Comme quoi, quand on veut vraiment et qu’on montre qu’on a envie, ça finit par payer. Parce que je n’avais pas du tout de connexions dans la mode. Qu'est-ce qui, à ce moment-là de ta vie, faisait de toi quelqu'un de différent des autres ? J’étais assez timide, déjà. Je savais ce que je voulais. Et j’avais toujours envie de faire mieux. Non pas dans le sens d’être compétitif, qui est un sentiment assez présent dans le milieu de la mode – mais qui est tellement loin de moi. C’était dans un rapport à moi-même : j’avais toujours envie de bien faire et de donner plus. Je n’ai pas changé, je veux toujours faire le maximum, pour que ce soit le plus parfait possible. Une phrase qui a tout changé ? Je me souviens d’une professeur­e, qui m’avait dit que j’étais beaucoup trop structuré et que ça ne marcherait jamais pour moi. Ce jour-là, en moi, je me suis dit : je te prouverai le contraire. Elle m’avait tellement pris de haut ! Comme je n’aime pas les conflits, je n’avais rien répondu sur le moment. Mais c’était resté gravé en moi. Une erreur de jeunesse ? C’est d’avoir cru que les très grands pouvaient amener très loin. De quoi la robe violette est-elle le nom ? Ma robe violette ?! Ah ! Ce fut l’élément déclencheu­r. Je l’avais faite pour le festival d’Hyères. C’était un plastron des années 20, que j’avais chiné à la braderie de Lille. J’ai ajouté des perles de jais noires que j’avais dénichées pour 80 euros. À l’époque pour moi, c’était beaucoup d’argent. J’étais parti de ça et un soir, pris dans un élan, je l’ai dessinée. Jamais je n’aurais pensé que, deux ans plus tard, elle serait portée par Beyoncé sur la couverture de son album. Sur le mo- ment, je ne me suis pas rendu compte de sa portée. Et par hasard, en voyant un documentai­re sur Beyoncé dans l’avion, j’ai compris que cette robe avait cristallis­é quelque chose. Est-ce que tu as aujourd'hui la vie que tu espérais avoir lorsque tu étais adolescent ? Je voulais m’exprimer. Donc de ce point de vue-là, je pense que j’ai réussi, et j’espère réussir à m’exprimer toute ma vie librement. En revanche, je ne m’attendais pas du tout à être créateur de mode ! Je voulais être réalisateu­r. Est-ce que l'enfant que tu étais autrefois serait ami avec l'adulte que tu es aujourd'hui ? Oui, d’autant que j’adore les enfants, je suis en général très ami avec eux. Ils ont des visions qui ne sont pas du tout celles marquées par notre vie, et qui parfois nous limitent. Est-ce que tu veux avoir des enfants ? Oui, ça c’est sûr. Je ne me vois pas vivre sans enfants. Je me vois bien père et le fait d’avoir une sexualité différente n’est pas du tout impactante dans la manière d’éduquer. L’important, qui que l’on soit, est d’être prêt psychologi­quement. Et savoir apporter des choses à l’enfant, lui apprendre. C’est cela, l’essentiel. Quel est le livre que tu offres aux gens que tu aimes ? Au Bonheur des dames.

De quoi as-tu peur ? Du manque d’objectif. Je fonctionne par objectifs donc quand je n’en ai pas en tête, ça m’angoisse. Est-ce que tu as changé en 10 ans ? Je suis moins naïf. Je ne sais pas si c’est bien d’ailleurs ! Quand on est naïf, qu’on a plus d’innocence, tous les rêves sont possibles. Mais au final, avec le temps et l’expérience, on s’aperçoit qu’il y a des murailles qui sont assez lourdes et épaisses. Te sens-tu parfois abandonné ? Non. Parce que j’ai la chance d’avoir une famille présente, qui m’encourage. C’est peut-être ce qui me permet de me donner une forme d’assurance. Psychologi­quement, la famille et les amis ont une énorme influence sur ce qu’on est, sur ce qu’on devient, et sur la manière de voir les choses. « Les soleils, surtout ceux de la gloire, sont durs parfois à supporter », c'est de Françoise Sagan. Qu'en penses-tu ? C’est vrai, il y a des revers qui sont parfois un peu violents, des jalousies auxquelles on ne s’attend pas et qui veulent à tout prix détruire les autres. Mais je me dis toujours : les gens vraiment jaloux sont ceux qui n’ont pas la force d’accomplir leurs rêves.

Te sens-tu parfois illégitime ? Parfois je me pose la question, c’est normal. Ce qui me rassure, c’est d’être un gros travailleu­r. Donc au moins, le travail me donne la sensation que je ne vole pas ma place. Quel rapport entretiens-tu avec ton corps ? J’y suis très attentif. J’aime bien faire du sport, me dépenser, aller au-delà de mes limites, toujours aller plus loin. Les autres trouvent ça parfois un peu too much, mais moi j’ai besoin de cette vigilance. Et avec le corps des autres ? C’est le paradoxe entre le vêtement et le corps : je trouve très beaux les corps nus, la peau, la texture. Et pas forcément sexuelleme­nt parlant. Je trouve que ça raconte des histoires. Même les expression­s des visages, les rides. Quand on me raconte des histoires, j’ai toujours besoin de voir le visage des gens dont on parle, alors je demande toujours à me montrer une photo. J’ai besoin de mettre un visage sur des émotions, sur des expression­s. Qu'est-ce que tu oublies toujours, et qui est pourtant très important ? Que c’est avec le temps qu’on concrétise les plus grands rêves et que ça ne sert à rien de se mettre la pression. Quand je fais les choses, je me dis parfois que j’aurais dû être plus patient. Qu'est-ce que tu utilises dans ton travail ? Je me nourris beaucoup de musique, bizarremen­t, même si c’est quelque chose d’abstrait. Une collection, je la fais avec une musique en tête. Une ou deux. Cela me permet d’avoir une attitude, une silhouette. J’aime aussi travailler avec, au loin dans la pièce, un film qui passe… je ne le regarde pas… mais un endroit de mon cerveau va en capter une inspiratio­n. Qu'est-ce que la nouveauté ? La nouveauté n’est pas forcément une chose qui est, à première vue, complèteme­nt différente de ce qu’on voit ordinairem­ent. La nouveauté est peut-être une manière d’interpréte­r les choses qu’on a vues, mais sous un axe contempora­in ou plus actuel. Et petit à petit, ce changement d’axe engrange un « style » nouveau. Lorsqu’on regarde l’évolution de l’histoire de la mode, on se rend compte que ce sont les petits détails qui transforme­nt la totalité. Qu'est-ce que le classicism­e ? Pour moi, c’est une idée de la justesse, qui perdure, de saison en saison. Une petite robe noire, un jean coupé de manière assez neutre, vont rendre un style classique, avec une notion d’élégance, d’intemporal­ité et de permanence. Il n’y a rien de plus beau qu’une femme ou un homme qui arrive à imprimer un

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