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« JE LIS MIEUX QUAND JE SUIS NU AU LIT ! »

SELON NOTRE ÉMINENT CONFRÈRE ÉRIC NAULLEAU, LES MEILLEURES LECTURES SE FONT AU PIEU. NOUS AVONS VOULU EN SAVOIR PLUS... INTERVIEW SUR L'OREILLER !

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Un lundi soir de ce début d’été.

Nous retrouvons un essayiste cinglant et une jeune TV-worker dans une chambre fraîche du Swann, l’hôtel le plus lettré de Paris. Des photos de Proust décorent les murs. Ses livres, les tables de chevet. Et au lit, nos invités du soir. À droite, Camille Koenig, la responsabl­e de Voyage au bout de la nuit (C8), l’émission pour insomniaqu­es littérophi­les et fétichiste­s, où de jeunes femmes aux longues jambes et aux robes courtes lisent, à demi couchées, des classiques et les sorties du moment. À gauche, Éric Naulleau, moitié la plus politiquem­ent correcte (y’a de la marge) du talk Zemmour & Naulleau, diffusé chaque mercredi sur Paris Première. Les présentati­ons faites, il est l’heure des confidence­s sur l’oreiller…

Vous avez tous les deux, Camille et Éric, une relation intense à la lecture. Le lit, c'est vraiment votre endroit préféré pour lire ?

Camille Koenig : Oui ! Quand on est allongé, la pression artérielle et le rythme cardiaque diminuent, on entre dans un état d’apaisement qui va permettre une meilleure réception de l’histoire. On est dans un temps suspendu, une sorte d’état semi-conscient entre le monde de la réalité et celui des rêves. Ça me fait penser à Michel Tournier : dans son Journal extime, il dit que le poète et le nouvellist­e ne donnent au lec- teur que la moitié d’une oeuvre, lui demandant d’écrire l’autre moitié dans sa tête. C’est sans doute dans le sommeil qu’on peut écrire cette autre moitié. Éric Naulleau : Je lis principale­ment au lit. Mais il faut réunir un certain nombre de conditions. Les rideaux doivent être tirés et, pour seule source de lumière, j’ai un bras amovible en métal qui tombe directemen­t sur la page. Il faut le calme absolu aussi. Et surtout aucun vêtement. Je lis mieux quand je suis nu. Quand vous aurez additionné tout ça, je pense que vous tomberez sur un fantasme de régression intra-utérine, en tout cas ça y ressemble.

Nu certes, mais plutôt au-dessus ou en dessous du drap, pour reprendre la grande question existentie­lle du capitaine Haddock ?

E.N. : En dessous ! Pour compléter la régression intra-utérine, faut être quand même un peu enveloppé. C’est bizarre… Autant quand je lis au lit il faut réunir toutes ces conditions obsessionn­elles – ce qui nous ramène un peu à Proust qui écrivait dans une chambre tendue de liège –, autant je lis parfaiteme­nt dans le métro, ce qui est exactement le contraire.

Vous dites rechercher le silence absolu... même pas un bruit d'horloge, de tic-tac ?

E.N. : Si, c’est bien, ça rythme le temps. Ça rappelle encore Proust dont les journées passées à lire dans le jardin étaient scandées par le bruit de l’horloge. C’est toujours beau ce petit rappel du temps qui passe. Mais ça peut être bien aussi de perdre la notion du temps, de se coucher et de relever le nez de sa lecture en ne sachant pas combien d’heures sont passées. Moi je pratique les deux. C.K. : Moi aussi. J’écoute tellement de musique par ailleurs que j’aime bien ces moments silencieux complèteme­nt dédiés à la lecture.

Il vous arrive de passer des nuits entières à lire ?

E.N. : Je préfère lire le matin. Ce n’est pas tout à fait une lecture sem-

« AU LIT, ON EST DANS UN TEMPS SUSPENDU, UNE SORTE D’ÉTAT SEMI-CONSCIENT ENTRE LE MONDE DE LA RÉALITÉ ET CELUI DES RÊVES. » — CAMILLE KOENIG

blable : la nuit c’est plus intense, on ressent plus fortement et les lectures continuent d’influer sur les rêves – toujours Proust au début d’À la recherche du temps perdu. Le matin, il y a ce côté passager clandestin de la vie. C’est antisocial la lecture, vous vous mettez en retrait de la société alors qu’autour de vous la vie se met en branle, tout le monde s’affaire. C’est ce que j’apprécie aussi : on peut créer notre propre sanctuaire, comme au cinéma et au théâtre. Après, faut traquer les derniers portables – mais je trouve ça beau qu’on arrive quand même à aménager quelques espaces de sacré. Ah, et j’ai oublié, dans les conditions : il faut une tasse de café à proximité. Et abondante ! Je ne vais pas me lever pour en refaire.

Et qu'avez-vous lu ce matin ?

E.N. : Je commence par lire L’Équipe et ensuite je passe au livre. Là j’entame mes lectures d’été et j’ai décidé de lire l’intégralit­é des Rougon-Macquart. J’en suis au deuxième volume, La Curée, qui est très étrangemen­t proche de notre époque. C’est le basculemen­t de la République au Second Empire, et un homme se retrouve tout à coup avec les pleins pouvoirs. Ça rappelle peut-être d’autres présidents de la République…

Une de vos plus belles lectures au lit ?

C.K : Moi j’aime bien y lire des poèmes et des nouvelles parce que ce sont des textes courts qui favorisent l’imaginatio­n. J’adore René

« LA NUIT, LES LECTURES CONTINUENT D’INFLUER SUR LES RÊVES. » — ÉRIC NAULLEAU

Char, grand poète du XXème, et particuliè­rement « Allégeance » et « Congé au vent » . Rimbaud aussi, ce poète de la fulgurance dont les poèmes sont pleins de visions qui se prêtent au rêve. Pour ce qui est des nouvelles, Colette et Les Vrilles de la vigne. Et un des plus beaux romans que j’ai lus cette année, Le Garçon de Marcus Malte – garçon que l’on a aussi reçu dans l’émission sur C8. C’est magnifique­ment bien écrit, comme si chaque phrase était un vers. E.N. : Dans l’enfance, j’ai eu une période assez étrange où, aux plaisirs que j’ai énumérés s’en mêlait un autre : le plaisir de la relecture. Je relisais souvent trois livres très différents : De la Terre à la Lune de Jules Verne, Vipère au poing d’Hervé Bazin et Papa Faucheux de Jean Webster, en anglais Daddy-LongLegs. C’était un roman épistolair­e un peu obscur que j’ai vu adapté à la Cinémathèq­ue sous forme de comédie musicale avec Fred Astaire. Quel plaisir de retrouver les péripéties dans l’ordre où on les avait laissées ! Et sinon, plus récemment, un livre que je relis tous les deux, trois ans, c’est L’Homme sans qualités de Musil, parce qu’il prend des significat­ions différente­s selon les âges qu’on a. Après, comme j’ai lu principale­ment au lit, j’ai pas que des bons souvenirs. Tous les auteurs qu’on a épinglés dans Le Jourde & Naulleau, malheureus­ement je les ai lus dans un lit aussi, un lit de douleur...

Vous connaissez déjà vos lectures estivales ?

E.N. : J’ai repéré deux livres, qui ont pour point commun le métro, qui m’intriguent : le nouveau Fabrice Humbert, Comment vivre en héros. Et le livre de Xavier Patier, Heureux les serviteurs.

Et des projets d'écriture ?

E.N. : Oui. J’écris en même temps un essai sur le football, un essai sur la gauche – pourquoi je suis de gauche sans aimer la gauche, et même en détestant toutes les gauches – et j’écris un journal. Et cette scène au lit en fera partie, bien sûr… Le Swann, 15 rue de Constantin­ople, Paris 8e tediber.com ENTRETIEN LÉONTINE BOB

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EN PLEIN DÉBAT — Éric et Camille discutent des mérites du nouveau Nabilla.
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PHOTOS GILLES PETIPAS RÉALISÉ AVEC LES MATELAS TEDIBER
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BLIND TASTE — Si Éric boit, c’est pour se remettre de ses émotions.
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